La Paracha évoque notamment la « tsaraat », une affection de la peau qui touchait un individu ayant tenu des propos médisants. Cette maladie lui donnait le statut de lépreux et le contraignait à l’exclusion. Ceci est vraiment étonnant : une faute, en l’occurrence la médisance, se manifeste concrètement sur un homme ! En règle générale, si une personne transgresse la volonté divine, rien ne laisse transparaître sur lui qu’il s’est mal comporté. Or ici le rapport de cause à effet est évident.
Le récit de la création nous rapporte que lorsque D.ieu insuffla dans les narines de l’homme un souffle de vie, ce dernier fut défini en tant que « néfech ’haya », une âme vivante (Genèse II, 7). Pour donner plus de consistance à cette définition, la traduction araméenne de la Torah propose de comprendre l’expression dans le sens de « être parlant ». À la différence de Descartes qui définissait l’homme comme un être pensant (« je pense donc je suis »), la Torah le positionne comme un être social. La définition du philosophe va générer l’orgueil et l’égocentrisme alors que celle de la Torah posera les fondements de la relation humaine dans sa plus noble expression : le dialogue. En tenant compte de cette donnée essentielle, il nous est possible de comprendre la gravité de la faute de médisance et la portée de ses conséquences. L’exclusion de la communauté venait signifier qu’avec des propos médisants, le lépreux avait porté atteinte à la définition même de son existence, à sa raison d’être. Dès lors, s’il pervertit cette dimension, il doit naturellement s’attendre à être rejeté de la communauté des hommes, n’ayant pas assumé son rôle social.
À CHAQUE INSTANT
Nos Maîtres dégagent de cette déduction une autre idée, tout aussi importante, et relative à l’essence même du judaïsme : chaque être humain a été créé avec un but spécifique dont il ne peut, en aucune façon, se départir. L’adéquation entre l’individu et la fonction qui l’accompagne est déterminante pour l’équilibre de la Création. Ce qui signifie entre autres que dès que l’un d’entre nous n’assume pas sa fonction, il entraîne un dysfonctionnement et un désordre dans le monde, qui affecte son environnement personnel et l’humanité dans son ensemble. Il est donc urgent, à tout instant, d’encourager chaque individu à pratiquer les commandements de la Torah car leur négligence peut causer du tort, personnellement à son auteur comme à son prochain et cela même si ce dernier est physiquement loin de lui.
ENTRE DEUX EXTRÊMES
Pour aller plus loin, on peut développer une troisième idée qui explique notre étonnement rapporté au début de cette réflexion. Comment une parole peut-elle avoir une incidence sur le monde physique ? Il est évident que la conséquence n’est pas palpable de prime abord. Chacun d’entre nous est malheureusement souvent amené à tenir des propos médisants sans que pour autant la dérive soit visible à l’œil nu. À l’époque du Temple cela était possible Mais de nos jours, ce phénomène miraculeux ne se produit plus. Toutefois l’idée porte en elle une certaine vérité qui peut s’appliquer même aujourd’hui partiellement. La force de la parole réside dans sa position par rapport aux deux autres moyens par lesquels un être humain s’exprime. De nombreux textes de la tradition juive expliquent que l’homme manifeste son identité par trois canaux : la pensée, la parole, et l’action. La pensée est une expression immatérielle alors que l’action affecte le monde physique. Entre ces deux extrêmes se situe la parole qui possède en elle une partie des caractéristiques des deux autres moyens d’expression. D’une part, la parole n’est pas un phénomène palpable, les mots n’ayant aucune consistance matérielle, mais elle est aussi le fruit d’un mouvement physique des lèvres, de la langue, de la gorge et des dents. C’est la raison pour laquelle elle peut avoir une influence sur le monde physique, voire même le transformer. C’est dire combien nous devons redoubler de vigilance avant de parler.
RAV YAACOV SPITEZKI
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SHORASHIM
Le centre pour les étudiants francophones
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