Ayéka ? “Où es-tu ?”, c’est ainsi que D.ieu interpelle Adam après que celui-ci a consommé du fruit de l’arbre interdit. Une telle question ne se réfère certainement pas au lieu où se trouve Adam. Cette question n’est pas la question du “où” mais la question du “tu”. Selon Franz Rosenzweig, le sens profond de cette question devrait se formuler ainsi : “Où donc y a-t-il un Tu ?” (L’étoile de la rédemption. p.238).
Une telle question ne concerne pas l’autonomie de l’homme car Adam a déjà fait preuve de liberté en commettant le seul acte qui lui était interdit. Cette question vise la responsabilité humaine, or le “je” n’apparait ici que pour se dérober, “je me suis caché”, répond Adam. La responsabilité de la faute est rejetée sur des tiers (la femme, le serpent). D.ieu se retrouve sans interlocuteur car la présence d’autrui ne se décline que sur le mode de la responsabilité.
Il faudra attendre vingt générations pour que la réponse à la question originelle “où es-tu ?”, se fasse entendre. C’est Abraham qui la prononcera le premier : Hinéni, “Me voici”, réponse qui introduit au récit du sacrifice d’Isaac. Appel de D.ieu adressé à l’homme depuis la création et qui enfin trouve sa réponse. “Me voici” qui selon Isaïe signifie “envoie moi” (Isaïe.6.8) et que Rachi traduit par “Je suis prêt” (Genèse.22.1).
C’est en ce sens que Levinas pense que l’authentique profession de foi n’est pas : “je crois en D.ieu”, formule particulièrement vague, mais “me voici” : Don de soi dans l’oubli de soi.
La responsabilité est certes “réponse” comme l’étymologie nous l’indique, mais elle est aussi obligation à l’égard d’autrui comme nous l’enseigne le terme hébraïque Ahrayout qui renvoie à ahér (autrui).
À la question de D.ieu : “Où est Abel ton frère ?”, Caïn répond :”suis-je le gardien de mon frère ?”
Question, dont la formulation exprime la vocation biblique de l’homme : réponse en guise de question. L’homme n’est pas, comme l’affirme Heidegger, “le berger de l’Être”, pure abstraction, mais bien “le gardien de son frère”.
Responsabilité qu’Abraham, le premier, assumera dans sa tentative de sauver Sodome. Bonté (hésséd) infinie d’Abraham qui se considère comme “gardien” des pervers habitants de Sodome.
La pensée occidentale a procédé à une sacralisation de la liberté, elle l’a érigée en valeur absolue, elle en a fait la valeur des valeurs. A cette liberté comprise comme libre arbitre, la Torah, substitue une liberté comme responsabilité. Être libre ce n’est pas faire ce qu’on veut, être libre, écrit Levinas “c’est faire ce que personne ne peut faire à ma place.” (Au-delà du verset.p.172)
Être libre c’est être en mesure de répondre à l’éternelle question : “Ayéka ?”.
David Peretz