C’est le 9 Av que les Enfants d’Israël ont refusé de monter en Israël. C’est aussi le 9 Av le Temple a été détruit. « Vous avez pleuré pour rien, alors ce jour deviendra un jour de pleurs pour toutes les générations » [1], dit Dieu. Quelle a été la cause de ce refus aux si funestes conséquences ?
Dans la paracha de Chela‘h Lekha[2], la Thora raconte en détail l’expédition des explorateurs et la révolte qu’ils fomentèrent à leur retour. Notre paracha traite, entre autres, des circonstances dans lesquelles ils furent envoyés. On nous précise d’abord que ce sont les Enfants d’Israël qui prirent l’initiative d’envoyer des éclaireurs[3] :
« Tous, vous vous êtes approchés de moi et vous avez dit : “Envoyons des hommes et qu’ils explorent le pays et qu’ils nous rapportent par quel chemin il faut l’approcher et quelles sont les villes qu’il faut conquérir d’abord.” »1,22″
Pour nombre de commentateurs, cette initiative est le commencement de la faute. En effet, il n’était pas nécessaire d’explorer le pays. Dieu avait annoncé qu’il était bon, Ses affirmations n’avaient pas besoin d’être vérifiées. Le Ramban, lui, justifie la demande des Hébreux. Leur but était de préparer les batailles futures. Il n’est pas permis de se confier aux miracles divins. L’homme a le devoir de prendre en main son avenir et, tout en étant conscient que l’aboutissement de ses efforts dépend de la volonté de Dieu, il ne doit négliger aucun détail pour arriver à son but.
Comment une action dont les intentions étaient louables a-t-elle pu se transformer en une tragédie dont, aujourd’hui encore, nous mangeons les fruits amers ?
« Tous, vous vous êtes approchés de moi. » C’est peut-être cette phrase qui met en lumière les causes profondes du drame. Les Hébreux seraient-ils tous devenus des stratèges ? Avaient-ils tous assez d’expérience pour se permettre de donner des conseils à Moïse ? Certes, non. Leur exigence n’était autre qu’un délire collectif.
Même si l’on considère – avec le Ramban – que la demande des Enfants d’Israël était en elle-même sensée, la manière n’est pas excusable : tout le peuple se rassemble et se dirige sur Moïse ! À qui s’adressent-ils donc ? À Moïse, qui les a conduits sans faillir depuis la sortie d’Égypte ! Aussi, cette demande raisonnable masque-t-elle en fait de la part des Hébreux une profonde méfiance envers leur guide.
De plus, le moment est mal choisi : Moïse vient de leur donner l’ordre de conquérir le pays : « Monte, prends possession du pays comme Hachem, Dieu de tes pères, te l’a ordonné[4]. » Et voici que la proposition des Enfants d’Israël fait diversion. On a cherché et trouvé un prétexte pour retarder l’échéance. « Lorsqu’une mitzva vient dans tes mains, ne la laisse pas passer », enseignent nos Sages[5].
Après que la punition tombe et que Dieu interdit à toute cette génération de monter en Israël, il y a à nouveau un mouvement de foule : « Vous avez clamé votre volonté de monter sur la montagne[6]. » Sans attendre une approbation qui ne vient jamais, sans aucune préparation, ils se précipitent vers la montagne et se font massacrer par les Emorites.
Vatahinou, que nous avons traduit par clameur vient du mot hen qui signifie « oui ». En d’autres termes, lorsqu’une masse de gens suit hystériquement une voie, il n’y a rien de profond ni de vrai dans ses mouvements. C’est une foule dangereuse.
Lorsque Moïse a demandé aux Hébreux de monter en Israël, ils auraient dû respecter l’ordre de Dieu. Ils auraient dû répondre oui sans attendre. Notre enthousiasme est sain lorsque nous prenons conscience qu’il est une réponse à une mitzva, un appel, une invitation de Dieu. Le oui immédiat a alors une assise spirituelle, une assise profonde dans le cœur de chacun.
Le Temple de Jérusalem représentait cette harmonie entre une pensée réfléchie et un attachement sans faille. C’est le 9 Av qu’il a été détruit.
[1] Taanit 29a.
[2] Nombres, xiii.
[3] Deutéronome i, 22.
[4] Deutéronome i, 21.
[5] Mekhilta s/Exode xii, 17.
[6] Deutéronome i, 41.
Extrait de l’ouvrage A la Table de Shabbat du Rav Shaoul David Botschko