Le pardon gratuit est une idée chrétienne. Pour le judaïsme, la condition primordiale pour obtenir de Dieu l’expiation des fautes est la téchouva, le repentir. Maïmonide, dans ses Lois relatives à la repentance[1], explicite ainsi cette règle : un homme qui a transgressé un commandement de la Thora, qu’il s’agisse d’un commandement positif ou d’un commandement négatif, qu’il l’ait transgressé intentionnellement ou par inadvertance, lorsqu’il revient à de meilleures dispositions, est tenu de se confesser et de se repentir. Ainsi, un sacrifice expiatoire n’aura d’effet que si celui qui l’offre se repent ; de même, l’homme condamné à mort ou à la flagellation ne sera pardonné que s’il s’est repenti ; de même celui qui a blessé son prochain ou qui a porté atteinte à ses biens, même s’il l’a dédommagé, ne sera pardonné que s’il se confesse, et qu’il s’engage envers lui-même à ne plus recommencer.
Le refus du pardon gratuit prend sa source dans la haute considération dont jouit l’homme dans le judaïsme. Créé à l’image de Dieu, il est libre et donc responsable de ses actes. Aussi, aucun acte magique, aucun rituel, ne peuvent se substituer à l’introspection, à la mise en question de soi-même et à l’effort pour retourner vers Dieu.
Certes, le Talmud enseigne que certaines fautes ne sont pardonnées qu’à Kippour[2]. Le Méiri, un des grands commentateurs du Moyen-Âge met en garde le lecteur de ce texte : il ne faut pas croire que le 10 Tichri possède une force mystérieuse, dispendieuse de pardon. C’est plutôt, le sérieux, la sainteté et l’atmosphère qui planent sur ce jour redoutable qui aident l’homme à se repentir complètement ; mais pour le Méiri, celui qui arrive à ce même degré d’élévation un autre jour est pardonné immédiatement[3].
Pourtant le Talmud présente l’opinion de Rabbi[4] selon lequel : « Le jour de Kippour permet l’expiation, que l’homme se soit repenti ou qu’il ne se soit pas repenti, sauf pour trois crimes : celui qui ne reconnaît pas Dieu, celui qui ridiculise la Thora par ses commentaires et celui qui annule l’alliance de la chair (la circoncision[5]). »
Comment comprendre Rabbi, qui défend ici une opinion qui semble contraire aux fondements mêmes du judaïsme ? De plus Rabbi lui-même enseigne dans une célèbre michna des Pirqé Avot[6] : « Considère trois choses et tu n’en viendras pas à fauter : sache qui est au-dessus de toi, un Œil qui voit, une Oreille qui entend et toutes tes actions sont consignées dans le livre. » Mais si les pages du livre sont arrachées chaque année, cette consignation n’aura plus d’effet dissuasif.
Une lecture attentive de la Guémara Kéritout 7a qui apporte la source de l’enseignement de Rabbi, en restreint singulièrement la portée : la Guémara désigne dans ce texte les 36 fautes punies de karet[7] et Rabbi explique que pour les trois seules fautes qu’il a mentionnées la punition est définitive si l’homme ne se repent pas ; pour toutes les autres, la punition sera levée à Kippour, il suffit pour cela qu’il ne commette pas cette faute à nouveau après Kippour. C’est la raison pour laquelle Rabbi a écrit dans la Michna[8] : « Tout Israël a une part dans le monde à venir. »
C’est ainsi que même d’après Rabbi, Kippour n’efface pas les lignes que nos actions ont inscrites dans le grand livre. Mais il permet que nos fautes ne soient pas un obstacle définitif au rapprochement avec Dieu. C’est ce que dit en d’autres termes le Tossafot Yechanim : « Kippour ôte le karet, mais n’expie pas complètement. »
Rabbi a également voulu réfuter la notion d’un lien trop étroit, en quelque sorte automatique, entre repentir et pardon. Aussi Dieu dit à Kippour : Je vous pardonne de tous vos péchés. Plus de punitions, plus de menaces. La téchouva, le vrai repentir est alors possible. Le repentir, lui-même ne doit pas être une formule magique pour échapper aux punitions. La téchouva doit être un effort authentique pour se rapprocher de Dieu. C’est ce que laisse entrevoir Kippour en permettant de libérer l’homme du carcan créé par la peur de la punition.
C’est avec amour que nous revenons vers Dieu.
Extrait de l’ouvrage du Rav Shaoul David Botschko ”A la table de Shabbat”
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[1] Chapitre i, règle 1.
[2] Yoma 85b.
[3] Méiri s/Yoma 85b.
[4] Rabbi Juda le Prince, aussi appelé rabbi Juda le Saint, le rédacteur de la Michna.
[5] Yoma 85b.
[6] Chapitre ii, michna 1.
[7] « Retranchement », c’est-à-dire destruction de l’âme qui, après la mort, ne jouira pas du monde à venir.
[8] Sanhédrin chapitre 11, michna 1.