Impossible d’oublier cette sortie de shabbat du 6 adar beth 5771 (11 mars 2011). Nous apprenions alors que la famille Fogel avait été victime d’un terrible attentat: les parents, Oudy et Routhy, et trois des enfants, Yoav (11 ans), Elad (4 ans) et Hadas (3 mois), H’yd, sont sauvagement assassinés. Les trois autres enfants de la famille ont miraculeusement survécu: Tamar, Roï et Ishay, respectivement 12, 8 et 2 ans et demi au moment des faits.
Cet attentat a bouleversé le pays et particulièrement la communauté francophone, puisque Routhy était la fille du Rav Yehouda et de Taly Ben-Ichay.
Il y a quatre ans, à quelques jours de Yom Hazikaron, nous nous étions entretenus avec Taly Ben-Ichay. Sa vive émotion, sa douleur incurable ne l’empêchaient pas de nous transmettre un message d’espoir et de confiance en l’avenir et en notre peuple.
Le P’tit Hebdo: Vous avez fait votre alya, il y a de nombreuses années. On peut vous décrire comme une famille viscéralement attachée à la terre et au peuple d’Israël. Qu’est-ce que le drame de l’assassinat de vos enfants a changé?
Taly Ben-Ichay: Notre attachement à Israël n’en est devenu que plus fort. Une partie de notre vie, de notre corps nous a été arrachée. Mais nous contribuons aux sacrifices qui sont, apparemment et malheureusement, inévitables pour avoir un Etat après 2000 ans d’exil. Ce sont des douleurs terribles pour les familles qui vivent cela dans leur chair, mais au niveau du peuple, il faut le voir comme des douleurs d’enfantement. Le prix à payer est terriblement douloureux, mais nous savons nous relever de nos cendres. L’héroïsme de nos soldats, qui sont prêts à tout donner, pour défendre notre pays et les victimes du terrorisme, sont aussi une partie de notre reconstruction.
Lph: La douleur est bien sûr d’abord celle des familles, mais tout le peuple souffre. Comment peut-on y voir un signe de renaissance?
T.B-I.: Les familles sont atteintes au plus profond d’elles-mêmes, c’est une douleur qui ne s’éteindra jamais. Et avec elles, le peuple pleure chaque victime. Le peuple d’Israël est un seul corps: chaque blessure, même petite, se fait ressentir. Mais cette souffrance au niveau du peuple, l’amène à un autre niveau. Nous venons de célébrer Yom Hazikaron lashoah, nous savons trop combien nous coûte de ne pas avoir un Etat. Alors certes, nous prions pour que nous ne soyons plus jamais confrontés à la douleur, mais le prix à payer pour avoir un Etat n’est pas comparable avec celui que nous avons payé quand nous n’étions pas revenus sur notre terre. En une journée à Auschwitz étaient gazées plus de personnes que celles qui sont tombées depuis 71 ans que nous sommes revenus en Israël.
Lph: Parfois, on peut tout de même être tenté de penser que tout ceci est trop lourd à porter. Combien de vies arrachées, de destins brisés?
T.B-I.: Ma fille Routhy, H’yd, vivait avec sa famille, dans le Goush Katif, à Netsarim, avant d’en être expulsée et de s’installer à Itamar. Là-bas, les attaques étaient devenues incessantes. Un jour, je lui ai demandé s’il était vraiment judicieux de vivre à cet endroit. Je n’ai pas élevé mes enfants, dans un environnement où le danger était aussi proche. Je garde en mémoire la réponse qu’elle m’avait faite: ”Ima, je n’aurais pas voulu vivre ailleurs, à une autre époque”. La douleur est grande, mais on assiste sous nos yeux à la reconstruction du peuple sur sa terre. Et nous voyons, barou’h Hashem, la réussite du peuple à tous les niveaux, sa force, sa volonté de continuer, sa jeunesse dynamique qui tient à servir son pays. Le bilan est très positif même si, malheureusement, nous vivons beaucoup de douleurs en chemin. Il fait bon vivre dans notre pays.
Lph: Que représente pour vous Yom Hazikaron?
T.B-I.: Cette journée n’est pas réellement destinée aux familles endeuillées. Nous vivons cette perte terrible de façon constante. C’est surtout le peuple qui rend hommage à toutes les victimes.
A notre niveau, nous nous réunissons toute la famille pour Yom Hazikaron. Les enfants et les petits-enfants viennent, nous sortons des photos, nous parlons. L’année dernière, nous avions fait un film avec des images d’Oudy et Routhy et des enfants H’yd. Ce fut un moment très difficile, surtout pour Ishay, qui était tout petit lorsqu’ils ont été assassinés. Nous l’avons beaucoup entouré, il était important pour lui de le voir.
Par ailleurs, chaque année, nous nous rendons à la cérémonie officielle de Yom Hazikaron. Notre perte n’est pas qu’une perte au niveau individuel, elle est aussi nationale. Nous avons besoin, en ces instants, de nous retrouver avec le peuple.
Lph: Comment vivez-vous le passage sans transition de la tristesse de Yom Hazikaron, à la joie de Yom Haatsmaout?
T.B-I.: Ce passage peut paraitre difficile pour le peuple. Mais, à notre niveau, il symbolise toute notre vie depuis 8 ans. Depuis, nous avons appris à tout vivre en même temps: la douleur de façon intense et les joies de façon intense aussi. Cela ne s’est pas fait du jour au lendemain, il nous a fallu du temps pour parvenir à cela. Mais si la douleur est immense, nous nous efforçons aussi de vivre chaque joie que D’ nous donne.
Yom Hazikaron symbolise une douleur terrible et même dans ces moments, nous avons en nous cette volonté de voir le bien, cette capacité de vivre à la fois dans la lumière et dans l’obscurité.
Lph: Quels vœux formulez-vous à la veille du 71e anniversaire de l’Etat d’Israël?
T.B-I.: Il n’y a qu’une chose qui pourrait me consoler: c’est la reconstruction du Beth Hamikdach avec la résurrection des morts. Il ne s’agit pas d’un bâtiment, mais de la révélation du divin dans le monde. Je suis confiante, nous sommes en route, cela prendra du temps, le chemin est jonché aussi de ronces, mais nous continuons. C’est la force extraordinaire de notre peuple.
Je souhaite que les Juifs qui vivent encore en galout, nous rejoignent, rejoignent leur peuple le plus rapidement possible, montent dans le train de notre histoire.
Nous avons un rôle précis sur terre, celui d’être une lumière pour les nations, dans ce monde de plus en plus obscur. Nous devons remettre les vraies valeurs en tête, c’est que les nations attendent de nous. Alors, ainsi, nous arriverons à la reconstruction du Beth Hamikdash.
Je souhaite que notre peuple arrête de souffrir, que D’ieu nous comble de bénédictions. Nous y parviendrons.
Submergée d’émotion à la lecture des paroles de Tali Ben Yshai et de l’interview du Professeur Elie Picard. Tous deux touchés au plus profond de leur chair et pourtant porteurs d’un message d’espoir et de tant d’amour pour Israël et son Peuple. Des exemples à méditer chaque jour de l’année
אמן