Le nouveau gouvernement a annoncé vouloir mener une réforme des conversions orthodoxes pour permettre aux 500 000 hommes, femmes et enfants israéliens de père ou de grand-père juifs de devenir juifs, par un processus moins exigeant que celui qu’impose actuellement le grand-rabbinat d’Israël. Une position défendue par le rabbin orthodoxe Haïm Amsellem, ancien député et ancien rabbin de communauté en Israël et à l’étranger. Selon lui, il est vital pour l’État d’Israël de revenir au fonctionnement des conversions tel qu’il existait encore il y a quarante ans, « avant que la position ultraorthodoxe lituanienne ne nous amène à un point de non-retour qui nous expose à un risque d’assimilation menaçant même le caractère juif de l’État d’Israël ».
LPH. Où en est la réforme de la conversion annoncée par le gouvernement ? Les choses avancent-elles ?
Rav Haïm Amsellem. Nous avons essayé de travailler avec le rabbinat d’Israël, mais il ne reconnaît qu’une seule et unique conversion : pour lui, le converti doit devenir extrêmement pratiquant. C’est une exigence presque impossible et que la plupart des candidats refusent. Le converti voit tous ses amis juifs vivre de manière traditionnelle, alors pourquoi lui demander plus ? Cela fait vingt ans que j’essaie de faire avancer ce dossier. Chaque année, en Israël, environ 12 000 citoyens entament le processus de conversion, puis ils l’arrêtent à cause des obstacles qu’ils rencontrent. Ils ont l’impression qu’on cherche à les dégouter et à les décourager. Est-ce cela que l’on veut : faire de la conversion une mission impossible ? Et parmi les 1300 candidats qui arrivent jusqu’au bout du processus, une grande partie ment sur sa pratique future et revient à sa vie habituelle au lendemain de la conversion. On les pousse à mentir et à camoufler leur volonté de pratique réelle.
LPH. C’est un sujet particulièrement crucial, dans un pays où des centaines de milliers d’Israéliens vivent comme des Juifs sans pourtant être reconnus comme tels…
Rav Haïm Amsellem. Environ 500 000 Israéliens sont ici parce qu’ils ont bénéficié de la loi du retour, qui propose la nationalité israélienne à tous ceux qui ont un parent ou un grand-parent juif. Avec tout le respect que j’ai pour les non-Juifs, comment peut-on considérer ces descendants du peuple juif qui ont fait le choix de s’installer sur la terre de leurs ancêtres et d’y vivre leur identité comme tous les Juifs, de la même manière que des Goyim qui, parfois, ne veulent se convertir que par intérêt, par exemple pour se marier ? Et comment peut-on exiger d’eux, pour accepter de les convertir, un tel niveau de pratique que la plupart vont renoncer ? Je m’occupe d’eux. Ce ne sont pas des Goyim, ce sont des non-Juifs avec une identité qui s’appelle « Zéra Israël », « graine d’Israël ». C’est notre mission et notre mitzva de les convertir.
LPH. Que deviendront ces 500 000 « Zera Israël » dans un pays qui ne les reconnaît pas comme juifs ?
Rav Haïm Amsellem. C’est une bonne question. Ils ont un nom de famille juif, qui leur a parfois valu des insultes antisémites en France ou ailleurs, ils vivent en Israël, ils y font leur service militaire pour l’État juif et ils vont vraisemblablement rencontrer une fille ou un garçon juifs en Israël. Quand l’un d’eux se présente à nous parce qu’il se sent juif, qu’il a grandi dans l’amour du judaïsme, et qu’il n’est mû par aucun autre intérêt, pourquoi lui refuser la conversion ? Ces Israéliens ont une mezouza à la porte de leur maison, ils font faire circoncire leurs fils, jeûnent à Kippour, font le kiddouch et allument les bougies de chabbat. Que veut-on ? Des couples mixtes ? Des enfants non juifs ?
Ce n’est pas en France ou ailleurs en Diaspora que le danger de l’assimilation devient le plus crucial, c’est en Israël. Si nous ne convertissons pas ces candidats, ils vont développer un rejet du judaïsme et de ceux qui les excluent. Nous sommes déjà un tout petit peuple, un tout petit pays, alors nous avons besoin de ces 500 000 personnes qui, demain, seront traditionalistes et s’intégreront dans notre pays. Nous ne pouvons pas créer une seconde société, avec autant d’Israéliens non juifs ; ce serait extrêmement dangereux.
La réponse que j’apporte à ce problème crucial a toujours été la position des rabbanim, jusqu’à ce que le monopole des décisions relatives aux conversions échoie aux rabbins ashkénazes à la vision ultraorthodoxe et non sioniste. La question de la Terre d’Israël et celle de la défense du pays leur importent peu. Les autres autorités religieuses se sont alignées sur eux, et elles ont tourné le dos à leurs principes et à la Halakha. Le vent a tourné il y a une quarantaine d’années.
LPH. Quel type de conversion proposez-vous pour ces descendants de Juifs qui vivent déjà en Israël ?
Rav Haïm Amsellem. Il faut, comme cela a toujours été fait, que le candidat prouve sa sincérité, et qu’il montre qu’il a des connaissances et une pratique traditionaliste de la religion. Israël est un pays juif. Si quelqu’un veut pratiquer, tout lui est simplifié. La nourriture est cacher, personne ou presque ne travaille pendant le chabbat et les fêtes. Israël est l’endroit où l’on vit le judaïsme de manière personnelle mais aussi sociétale. Alors, si quelqu’un se sent juif et demande à être juif, pourquoi être dur avec lui ? Pourquoi exiger de lui plus que ce que font la plupart des Juifs ? Pourquoi, si une femme refuse de se couvrir la tête, lui dit-on : « Reste goya ! » ? Nous devrions aujourd’hui être quelque 20 millions de Juifs dans le monde ; nous sommes 13 millions et nous avons perdu 6 millions d’âmes à cause du monde rabbinique qui ne sait pas voir l’avenir et les dangers qui pèsent sur nous.
LPH News. En France, quelle est la position du Consistoire ?
Rav Haïm Amsellem. Il est juste qu’il y ait une différence entre Israël et la Diaspora en ce qui concerne les conversions. Mais les autorités religieuses de France se comportent comme le petit frère du rabbinat israélien. Les anciens rabbins français séfarades ne sont plus en fonction, ceux qui les ont remplacés ont été influencés par la position israélienne. Le grand-rabbin Kaplan et les rabbins de sa génération avaient une vision beaucoup plus souple de la conversion, notamment pour les enfants de père juif.
LPH. Pensez-vous que la réforme de la conversion a une chance d’aboutir ?
Rav Haïm Amsellem. Elle doit absolument aboutir ! Aujourd’hui, de nombreux rabbins israéliens pris conscience de la gravité de la situation dans laquelle nous nous trouvons et ils acceptent la formule de conversion pour les gens qui veulent entrer dans la tradition. Le monde orthodoxe, lui, n’aime pas la formule traditionnelle – ou plutôt, il l’aime comme le pêcheur aime le poisson : pour le faire frire dans la poêle. Pour lui, la tradition est du simple folklore. Non ! Faire une brit mila à son fils n’est pas du folklore ! Une décision a été prise par le gouvernement, et bientôt la loi sera votée à la Knesset. Il est évident qu’il y aura de fortes résistances, mais cela devrait entraîner un changement au sein du grand-rabbinat d’Israël. De ce point de vue, ce gouvernement est un miracle pour le monde juif – et je ne parle pas d’un point de vue politique, mais de Halakha. C’est la première fois que nous avons l’occasion de changer les choses, de revenir à ce qu’est vraiment la position de nos rabbanim.
« Zéra Israël » signifie « semence d’Israël ». Selon l’association – fondée par le rav Haïm Amsellem et Arie Toledano – qui en porte le nom, les Zéra Israël sont les descendants de Juifs qui ne sont pas légalement juifs selon les critères religieux. Selon la Halakha, telle qu’on la trouve exprimée dans la Michna, Traité Kiddouchin, chapitre 3, les descendants d’un père juif et d’une mère non juive ont un statut religieux de non-Juifs. Il existe toutefois un débat en cours au sein de la communauté juive concernant l’accueil des enfants dont le père est juif et la mère non juive. Ce débat prend en considération les aspects socioculturels de leur vie et soulève la question de savoir si le judaïsme doit les traiter comme des non-Juifs au même titre que les descendants de deux parents non juifs.
Haïm Amsellem est un rabbin et un homme politique israélien, ancien député à la Knesset. Né à Oran, en Algérie, il a fait son alya en 1970 depuis Genève où il était rabbin d’une communauté orthodoxe séfarade. Il a ensuite officié à Netivot et à Jérusalem. Il a débuté sa carrière politique en 2006 en tant que député du parti orthodoxe séfarade Shas, qu’il a quitté en 2011 pour divergences d’opinions sur des questions liées à la conversion, à la conscription des orthodoxes dans Tsahal et ce qu’il considère comme leur nécessaire intégration à la société israélienne via le travail. Le rabbin Haïm Amsellem, qui propose des conversions orthodoxes aux enfants de père juif, a donné de nombreuses conférences et écrits mains articles sur le sujet. Il est soutenu dans son combat par de nombreux rabbins et autorités religieuses, dont le rav Eliezer Melamed et le rav Haïm Botschko.
Interview réalisée par Eve Boccara, parue dans LPH Magazine 985