Le lycée français pour filles de Guivat Washington est à la croisée des chemins. Cet établissement qui fonctionne depuis de nombreuses années, a vu passer de nombreuses jeunes filles qui, pour la plupart, ont ensuite fait leur alya. A la rentrée prochaine, c’est le Rav Yoël Kling qui prendra la direction du lycée, succédant à la légendaire Mme Gisèle Knobloch, après 18 années passées à la tête de cet établissement non moins légendaire. Ces deux acteurs centraux de l’éducation des jeunes olim nous répondent.
Un campus historique
Le lycée français de Guivat Washington se situe sur le campus du même nom, fondé en 1946. Celui-ci est très imposant et comporte diverses structures scolaires et universitaires. “J’ai commencé ma carrière en Israël à la tête de Bnot Tsion, oulpena qui a précédé celle de Guivat Washington”, nous raconte Mme Knobloch. ”Lorsque Bnot Tsion a fermé, le ministère de l’éducation a tenu à maintenir une structure pour les jeunes filles. Du fait de son emplacement, les jeunes françaises qui étudient à Guivat Washington bénéficient de toutes les structures de ce gigantesque complexe et côtoient au quotidien des jeunes israéliennes”.
Le concept de l’oulpena pour les Françaises est né du constat qu’il était difficile d’arriver de France, en classe de lycée, et de passer avec succès un Bac israélien. ”Il fallait permettre à ses élèves de continuer leur Bac français. Mais en parallèle, il était évident et indispensable que nous devions leur apprendre l’hébreu et proposer un bon niveau de kodech”, nous explique l’ancienne directrice. Et cela fonctionne. Gisèle Knobloch peut regarder avec fierté toutes ces années pendant lesquelles plus de 90% des filles ont fini par faire leur alya et ce, sans vivre d’échec scolaire.
“L’équipe pédagogique de l’oulpena est extraordinaire”, tient à souligner Mme Knobloch, ”Le personnel enseignant mais aussi les assistantes sociales et monitrices de l’internat ont eu un impact hors pair sur toutes les filles qui sont passées par Guivat Washington. Grâce à leur formation et leur capacité d’adaptation, le défi est relevé chaque année et le cap est maintenu, malgré les difficultés”. Mme Knobloch rend aussi hommage aux efforts du ministère de l’éducation, par ses subventions et la mise en place de programmes particuliers.
Gisèle Knobloch
Un profil d’élèves qui change
Pendant ses 18 années à la tête de l’établissement, Gisèle Knobloch a pu observer l’évolution du profil des élèves. Si au départ, la moitié des filles venaient sans leur famille, la récente vague d’alya a apporté au lycée des élèves dont les parents étaient sur place. ”Paradoxalement peut-être, la présence des familles a compliqué la situation des élèves. Les enfants voyaient clairement les difficultés d’intégration de leurs parents, ce qui influençaient leur comportement et leur motivation”. Pour l’école aussi, c’est plus difficile, les parents n’étant plus des interlocuteurs stables, parce qu’ils sont en proie à leurs propres soucis qui les rendent moins disponibles.
Et elle va même plus loin: ”Si les premières années, nous avions des élèves qui venaient de leur propre volonté, l’alya des familles a parfois été faite sans le consentement réel des adolescents qui auraient préféré rester en France, dans leur cadre, avec leurs amis”. Au sein de l’établissement, le dialogue avec les élèves a fait remonter ce constat et le personnel s’est efforcé de parler avec les filles et de les aider dans cette transition difficile.
”Le visage de la communauté française a changé aussi”: Mme Knobloch dresse un constat difficile. ”50% des familles ont vécu un divorce ou sont recomposées. Beaucoup ont des pères qui continuent à travailler en France et font des aller-retours. Cette situation est dramatique pour les enfants, aucune famille ne s’en sort ainsi”.
L’ancienne directrice nous affirme qu’avec les années, elle et son personnel ont progressivement changé de métier: ”d’enseignants et éducateurs, nous sommes devenus assistantes sociales. Les olim doivent comprendre que venir en Israël, ce n’est pas changer de quartier mais changer de vie. On ne fait pas son alya pour être plus confortablement installé dans un quartier sans Arabes. On perd ses repères, on change de mode de vie. Si en France, les enfants étaient habitués à vivre dans une bulle, ici ils doivent apprendre l’indépendance et de manière intelligente et raisonnable. Surtout, je tiens à rappeler qu’il ne faut pas perdre de vue que faire son alya est une mitsva et qu’à ce titre, nous nous devons de faire les efforts nécessaires pour la mettre en œuvre”.
Rav Yoël Kling
Evoluer pour optimiser
Si des efforts sont demandés aux olim, l’école de Guivat Washington ne se défile pas pour autant face à ses responsabilités. Gisèle Knobloch témoigne de la pertinence d’avoir pendant toutes ces années proposé le Bac français aux jeunes filles. ”Ce n’était pas un frein à l’intégration, au contraire. Le Bac français est reconnu en Israël et permet même de gagner des points pour les psychométriques. C’est un ticket d’entrée aussi dans les universités israéliennes. Cette formule a évité à bon nombre d’élèves de se retrouver en situation d’échec scolaire”. Et Mme Knobloch ne s’est pas contentée de ces résultats puisqu’elle a aussi réussi à introduire dans son école des filières technologiques, afin de toucher un éventail plus large de filles.
L’école sait toutefois observer les changements qui s’opèrent à la fois dans la société des olim de France et dans l’approche française au baccalauréat, comme nous l’explique le nouveau directeur de Guivat Washington, le Rav Yoël Kling: ”A partir de la rentrée prochaine, nous laisserons les classes de 1e et de Terminale terminer leur Bac français. Les élèves entrant en classe de 2 d, quant à elles, étudieront le cursus pour le Bac israélien”. Pourquoi un tel changement, alors que la formule précédente semblait faire ses preuves? “La première raison vient de la réforme du Bac engagée en France. A partir de la 2 d, les élèves n’auront plus d’obligation de faire des sciences. Il est clair qu’un enfant de 14 ou 15 ans préfèrera toujours la solution de facilité et le nombre d’élèves qui étudieront les matières scientifiques sera en baisse. Le Bac français va perdre de son prestige. Ainsi, il sera aussi moins réputé en Israël et cela risque de créer des freins à l’entrée à l’université pour les filles qui étudient ici”.
A ceux qui s’inquiètent de la difficulté évoquée plus haut de s’intégrer dans le système du Bac israélien à un âge déjà avancé, le Rav Yoël Kling répond: ”Nous tenons compte de cela. C’est pourquoi j’ai, avec l’aide d’autres partenaires, effectué un travail important auprès du ministère de l’éducation nationale pour défendre les droits des olim lycéens. Tout enfant olé qui passe le Bac israélien a non seulement le droit de recevoir les épreuves dans sa langue maternelle, mais il peut aussi les rédiger dans sa langue maternelle”.
Et de ce point de vue, Guivat Washington possède la structure idéale puisque ce lycée propose un enseignement en français, par des enseignants parfaitement bilingues. A cela s’ajoutent les 10 heures hebdomadaires d’oulpan au milieu d’un grand campus israélien. “Nous proposons une évolution qui optimise encore nos capacités d’accueil et d’intégration d’olim hadashim ou même plus anciens mais qui n’ont pas réussi à s’adapter aux écoles israéliennes”.
Et pour parfaire le tableau, le Rav Kling nous assure que l’équipe de Guivat Washington travaille aussi à l’amélioration de l’internat, ”structure étrangère à la mentalité française, mais si naturelle en Israël”. Des activités extra-scolaires, des shabbat pleins, mais aussi un soutien aux devoirs ou des conférences, on promet un internat très vivant. ”Les jeunes d’aujourd’hui sont très isolés, en partie en raison du développement des réseaux sociaux qui rendent les contacts totalement artificiels et virtuels. Ils ne savent plus vivre en société. L’internat à l’adolescence est un idéal, à mon avis, pour apprendre à vivre en commun et tenir compte de son prochain”.
Pour conclure, Gisèle Knobloch insiste: ”Tout le monde mérite de faire son alya. C’est la raison pour laquelle les structures éducatives se battent pour proposer les programmes les plus adaptés”.
Guitel Ben-Ishay