Entretien réalisé par Laëtitia Enriquez, publié dans Actualité Juive numéro 1647
Pour la vice-présidente de l’association Langage de Femmes, la lutte contre le racisme et l’antisémitisme passe par la rencontre entre celles qui éduquent et qui transmettent. Elle explique ici le sens de son engagement.
Comment travaille l’association Langage de Femmes ?
Suzanne Nakache : Notre force tient au débat. Notre objectif est de lutter contre le racisme, l’antisémitisme et, surtout, de déconstruire les préjugés car ce sont eux qui mènent à la haine. À Paroles de femmes, on s’exprime et on s’écoute. Nous sommes une organisation de femmes, mais pas une organisation féministe car nous savons
que nous avons besoin des hommes pour parvenir à la paix. Cela dit, le fait d’être entre femmes permet une plus grande libération de la parole, sans la présence des maris, parfois plus réticents à l’idée de nous rencontrer.
Comment se déroulent vos actions ?
S.N. : Parce que l’éducation et la transmission passent par les femmes et parce qu’elles sont le vecteur de tous les messages qui concernent la famille, nos actions rassemblent souvent des grands-mères, des mères et des filles. Dans les premières années de l’association, nos voyages annuels à Auschwitz, rassemblaient une vingtaine
de personnes. Aujourd’hui, nous affrétons un avion tout entier et devons parfois mettre des personnes sur liste d’attente. Notre association est aussi une façon d’incarner la transmission. Parmi ces femmes, on trouve des musulmanes, des juives, des catholiques et des protestantes en égale représentation. Nous avons également organisé un grand dîner à l’Unesco qui a rassemblé 150 femmes face auxquelles Beate Klarsfeld est venue prendre la parole. C’était une soirée très réussie et dont le succès tient aussi à la façon dont nous organisons
ces dîners. À chaque table, nous plaçons volontairement des femmes issues de milieux très différents. Des cheffes d’entreprise ou des élues politiques avec des femmes sans profession ou venant de milieux sociaux différents. Des femmes de générations différentes aussi. Ce mélange permet des rencontres extraordinaires qui, en
dehors de ce cadre, ne se seraient sans doute jamais produites. Là, chacune voit comment l’autre pense.
Paroles de Femmes cherche-t-elle à convaincre l’autre de changer ses a priori ?
S.N. : Non, nous sommes là avant tout pour expliquer des choses que l’autre ne sait peut-être pas. On retourne des situations. On demande d’imaginer si. On parle de manière simple, naturelle et authentique. Et ces paroles font du chemin dans nos têtes et font que l’on en vient à réfléchir différemment. Ainsi, on n’est pas toujours d’accord mais on finit toujours par s’embrasser. On a des avis divergents sur Israël ou sur le burkini, mais nous sommes heureuse d’échanger ensemble.
Sentez-vous chez certaines de vos participantes une volonté de hiérarchiser les causes et les souffrances historiques ?
S.N. : Non, mais si cela devait être le cas, on aborderait cette approche de manière pédagogique. Le travail autour de la mémoire de la Shoah nous est extrêmement important, sachant que nous venons du Projet Aladin, dont la vocation est de s’appuyer sur l’enseignement de l’histoire de la Shoah pour encourager le dialogue
judéo-musulman. Pour autant, il s’agit aussi d’aborder les autres traumatismes de l’histoire. Nous nous sommes récemment rendues au Mémorial de l’abolition de l’esclavage de Nantes. J’ai vu dans le regard d’une des participantes cap-verdienne toute la douleur qu’elle ressentait dans sa chair. Je suis allée la voir pour lui dire que
son sentiment était exactement le même que celui que je ressentais lorsque je voyageais à Auschwitz. Il y a peut-être aussi une dimension féminine supplémentaire dans l’empathie et la sensibilité.
Face au repli communautaire, comment garder la foi en un véritable rapprochement entre les communautés ?
S.N. : Le problème est vaste, on le sait, et on a bien conscience que l’on ne va pas résoudre à nous seules les problèmes. Il n’empêche que l’on est là. On fait en sorte de maintenir une présence, un lien, une découverte mutuelle. Faute de quoi, les personnes issues de communautés différentes ne se rencontreront plus. On s’enrichit
mutuellement par la découverte de l’autre, qui ne nous ressemble pas forcément.
Entretien réalisé par Laëtitia Enriquez, publié dans Actualité Juive numéro 1647