Ils étaient plus de 40 Rabbanim réunis pour le Shabbat Shoftim, à l’appel du mouvement Alya Latorah afin de discuter, réfléchir et faire des propositions pour encourager l’alya de France et faciliter l’intégration de ces olim. Parmi eux, des personnalités du monde rabbinique israélien, comme le Rav Shmouel Eliahou, Grand Rabbin de Tsfat, et de la communauté francophone comme les Rav Ouri Cherky et Yehuda Ben-Ichay. Le monde associatif aussi était représenté avec Qualita ou encore l’Agenc Juive avec Daniel Benhaïm, cadre de la Havaya Israelite.
Ils nous racontent leur vision du projet lancé lors de ce shabbat.
Rav Ouri Cherky
“Monter en Israël est un acte spirituel”
Le P’tit Hebdo: Pourquoi avez-vous accepté de participer à ce projet?
Rav Ouri Cherky: Le projet de Alya Latorah se concentre autour de deux axes: l’encouragement à l’alya de France et l’aide à l’intégration des olim. Sur ces deux points, la voix rabbinique doit se faire entendre. Ce projet permet de rassembler les autorités rabbiniques autour d’une communauté d’intérêts sur ces deux thématiques. Les Juifs de France, dans leur ensemble, sont sensibilisés au message de la Torah, nous devons le rendre plus accessible et plus évident.
Lph: Des Rabbins qui, depuis Israël, vont promouvoir le message d’une Torah sioniste auprès des Juifs de France: cela ne risque-t-il pas d’être perçu comme une ingérence?
Rav O.C.: L’ingérence serait d’empêcher les Juifs de monter en Israël. Mais, encourager l’alya ne peut, en aucun cas, être considéré comme une ingérence, puisque l’alya est une mitsva, un acte spirituel.
Lph: L’un des messages de ce shabbat serait-il qu’il manque une base spirituelle à l’alya qui expliquerait certaines difficultés d’intégration, voire certains retours en France?
Rav O.C.: Les retours en France sont très minimes. Les chiffres sont gonflés par certains groupes qui ont un intérêt à noircir le tableau. L’alya de France ne s’est jamais arrêtée. Je ne dirais pas qu’il lui manque une base spirituelle mais plutôt qu’elle a besoin d’être renforcée spirituellement.
Lph: Comment avez-vous trouvé ce shabbat du lancement de ce projet et quel rôle allez-vous jouer?
Rav O.C.: Pendant ce shabbat, nous avons ressenti une très forte émotion et un enthousiasme remarquable. Pour ma part, je suis à la disposition des décideurs, et je suis prêt à accepter tout rôle que l’on me confiera dans l’objectif de faire prendre conscience que l’alya est un acte spirituel, aidant ainsi à motiver les candidats et à intégrer ceux qui sont déjà là.
Rav Yehuda Ben-Ichay
”Faire découvrir la plus-value de l’alya”
Le P’tit Hebdo: Quel bilan tirez-vous de ce shabbat?
Rav Yehuda Ben-Ichay: Ce shabbat a permis de dégager trois points essentiels si l’on veut promouvoir l’alya de France et aider à l’intégration des olim.
Le premier est l’importance du modèle communautaire à la française, que les olim ont besoin de retrouver ici. En France, le Rabbin accompagne toutes les étapes de leur vie et ils se retrouvent au sein de leur communauté. Les candidats à l’alya doivent savoir qu’ils pourront retrouver ce modèle ici avec des Rabbins francophones.
Le deuxième est la nécessité de créer une coopération entre les Rabbins en Israël et ceux en France. Beaucoup de Rabbins de France font leur alya, parfois même avec tout ou partie de leur communauté. Il faut qu’ils aient des contacts de Rabbins en Israël. Ces derniers peuvent aussi être des interlocuteurs, lorsque des membres d’une communauté voudront faire leur alya. Le Rabbin en France saura les orienter et ils auront sur place, une adresse, une personne pour les accompagner.
Enfin, les Rabbins qui se sont réunis lors de ce shabbat, sont tous déjà connus des communautés en France et possèdent une attache avec les Juifs de France. Le fait d’apparaitre ensemble, d’échanger des idées et de coopérer entre nous mais aussi avec les Rabbins en France, est un signal fort.
Lph: N’a-t-on pas consacré assez d’énergie jusqu’à aujourd’hui sur le pan spirituel de l’alya?
Rav Y.B-I.: Comme je l’évoquais, les Rabbins francophones s’investissent depuis de nombreuses années pour l’alya de France. Mais, il est certain qu’il existe un décalage entre l’importance de cet aspect de l’alya et les moyens et la publicité qui lui sont consacrés. Finalement, ce qui fait que les gens font leur alya, restent et se sentent bien en Israël, c’est le sentiment qu’ils n’ont pas perdu, qu’ils ont quelque chose à gagner. Avoir un emploi et un logement, c’est important, mais ce sont des choses que tout le monde avait déjà en France. L’alya est une avancée, donc on ne peut pas se contenter de résoudre les questions du logement et de l’emploi pour la réussir. Si l’on ne se préoccupe pas des questions spirituelles, on le ressentira sur le long terme. Le rôle des Rabbins se trouve précisément ici : faire découvrir la plus-value de l’alya, qui réside dans des aspects spirituels que les olim ne connaissaient pas.
Daniel Benhaïm
“Ne pas oublier les Juifs en dehors d’Israël”
Le P’tit Hebdo: Quelle était la raison de votre présence à ce ”shabbat de Rabbins”?
Daniel Benhaïm: J’ai été convié en tant qu’ancien directeur de l’Agence Juive en France et donc connaisseur du terrain.
Lph: Quelles sont vos observations et vos conseils?
D.B.: La notion de communauté est très importante. Le regroupement autour d’une synagogue est le fondement de la vie religieuse et sociale des Juifs de France. Le Rabbin a, en ce sens, un rôle clé à jouer dans l’accompagnement des familles de olim.
Transposé en Israël, ce modèle communautaire peut se décliner autour de centres d’intérêt communs, créer non pas des ilots déconnectés de la société israélienne mais bien des passerelles, des lieux de mélange et de rencontres.
Surtout, je souligne que nous devons être capable d’accepter qu’il n’existe pas qu’un seul et unique modèle d’intégration. Ce mot a un sens très large. On pourrait le définir comme se sentir bien là où l’on est. Et cela ne veut pas forcément dire qu’il faut vivre coupé de la communauté ou de la langue françaises. L’intégration a plusieurs visages.
Lph: Qu’est-ce qui fait défaut pour que le chiffre de l’alya de France augmente?
D.B.: Malheureusement, la majorité des Juifs de France n’attend pas, valise à la main, de monter dans un avion, si seulement l’Etat d’Israël leur offrait des conditions idéales. Il faut être honnête : les Juifs de France qui ne font pas leur alya, ne veulent pas faire leur alya. Et c’est sur cela que nous devons travailler. Si c’était juste une question de logement et d’emploi alors on devrait observer une augmentation de l’alya des 18-25 ans, or ce n’est pas le cas. Dans cette tranche d’âge aussi, on observe une baisse. Le lien avec Israël, la centralité de la terre doivent être travaillés. Cette tâche doit être accomplie avec beaucoup d’humilité, sachant qu’il s’agit d’un travail de longue haleine.
Lph: Comment pensez-vous que ce projet émanant de Rabbins d’Israël sera perçu en France?
D.B.: Concernant le volet intégration, il sera très bien accueilli. Le modèle communautaire proposé va séduire.
Sur la partie renforcement du lien avec Israël, pour le moment, je pense que les responsables communautaires le verront d’un bon œil, à condition de présenter les choses finement. Il ne s’agit pas d’arriver avec une banderole: ”Faites votre alya”. Le message doit être transmis de façon intelligente et ne pas être dans l’immédiateté. Nous ne devons pas conditionner notre amour pour les Juifs qui vivent en dehors d’Israël, à leur volonté de faire leur alya. Comme l’a fait remarquer le président du Mizrahi mondial, le Rav Doron Peretz, lors de ce shabbat, on s’est tellement préoccupé, ces dernières années, de construire Eretz Israël, que l’on a oublié les Juifs qui étaient en dehors. Nous devons réparer cela.
Lph: Ce projet est-il politique ou religieux, à votre avis?
D.B.: Le Rabbin est un guide spirituel, il est le vecteur de la transmission des connaissances. Cela va au-delà d’une simple action religieuse. Concernant l’aspect politique, même s’il m’a semblé que la majorité des Rabbins présents appartenaient à une certaine tendance, je suis d’avis que l’alya ne doit pas devenir un sujet politique. L’alya dépasse les clivages, on ne doit pas l’enfermer dans une case politique. Ce Shabbat a été extraordinaire de ce point de vue, parce qu’il nous a permis de nous rendre compte de la quantité de forces vives francophones qui agissent en Israël.
Propos recueillis par Guitel Ben-Ishay