Cette semaine, j’eus l’agréable surprise de recevoir un paquet que je n’avais pas commandé: un livre sur les parachiot, écrit par un ami que je n’avais pas revu depuis de longues années! Nous nous étions rencontrés, il y a plusieurs décennies, sur les bancs de la fameuse Yechiva de Montreux, alors dirigée par notre Maitre, Rav Moshé Botchko zatsal. Il dirige aujourd’hui le centre pulmonaire de l’hôpital « Shaaré Tsédek » de Jérusalem où il sauve quotidiennement de nombreuses vies. Or Gavriel vient d’avoir l’excellente et généreuse idée d’envoyer son livre aux dirigeants actuels des 2 yechivot dans lesquelles il étudia jadis, Rav Shaoul David Botchko de Kohav Yaakov (Montreux a depuis longtemps fait son alya…) et Rav Sabato de Maalé Adoumim et il leur demanda de bien vouloir envoyer gratuitement son ouvrage aux anciens des deux établissements, en signe de reconnaissance pour la Thora qu’il avait apprise chez eux! Le geste est assez peu commun pour être signalé. Merci donc Gavriel de cet émouvant cadeau.
C’est en parcourant son livre que j’eus ma seconde surprise. Loin d’être un recueil de différents commentaires plus ou moins connus, comme c’est souvent le cas dans ce genre d’ouvrages, le livre de Gavriel présente la précieuse qualité d’être absolument inédit. Les commentaires sont le fruit des réflexions personnelles de l’auteur, obtenues en préparant les divré Thora qu’il délivrait ensuite autour de la table du chabbat.
Ainsi à propos de l’affaire Yossef, il revient sur l’épisode de la vente lu la semaine passée dans Vayéchev. « Ils le jetèrent dans le puits. Le puits était vide, il n’y avait point d’eau » (37,25). Gavriel se demande ce que veut nous apprendre le très célèbre midrash cité par Rachi: « si le puits était vide, c’est qu’il n’y avait pas d’eau! Pourquoi donc doit-on préciser explicitement qu’il n’y avait point d’eau? C’est pour t’enseigner que de l’eau, il n’y en avait pas. Mais il y avait des serpents et des scorpions! » Qu’est-ce que la présence de ces scorpions nous enseigne? Selon toute évidence, le verset cherchait à relativiser la gravité du geste des frères. Ils ont vérifié qu’il n’y avait pas d’eau avant de le jeter au puits. Ils ne cherchaient donc pas à le noyer. Ils s’étaient probablement laissés convaincre par Réouven qui leur avait demandé de « ne pas commettre de meurtre » (verset 21). Mais le midrash semble renverser la tendance du verset: il n’y avait pas d’eau, certes, mais il y avait des serpents et des scorpions! Que doit-on en déduire? Qu’ils voulaient quand même le tuer? Pourquoi alors avoir vérifié qu’il n’y avait pas d’eau? Quelle importance si on le tue par noyade ou par le venin des reptiles? A moins de dire qu’ils n’ont pas vu les serpents? Dans ce cas, ils n’ont pas voulu sa mort et le midrash ne nous apprend rien de nouveau!
Gavriel propose l’interprétation suivante. Ils n’ont pas vu les serpents mais ils auraient dû se douter de leur présence, somme toute fort probable, au fond du puits. Si vraiment ils ne souhaitaient pas sa mort, ils auraient dû mieux examiner le puits et ses profondeurs. En fait, ce qui les intéressait, c’était de ne pas commettre directement le crime en le jetant dans un puits rempli d’eau. Mais si d’aventure, des serpents sont cachés dans les interstices, ma foi… Nous aussi, rajoute-t-il malicieusement, nous avons commis une erreur similaire: on a lu le verset sans trop s’y attarder et nous en avons déduit que le puits était complètement vide. Le midrash nous invite à mieux examiner le verset (comme ils auraient dû le faire pour le puits) et à constater la précision inutile « il n’y avait pas d’eau », découvrant ainsi les serpents et les scorpions qui s’y cachent!
Cette explication m’a permis de résoudre une énigme qui me préoccupe depuis longtemps. Ce midrash sur les serpents se trouve dans le traité talmudique de Chabbat (22 a) au beau milieu des passages traitant de Hanouka! Beaucoup ont tenté d’expliquer, parfois de façon profonde et convaincante, le rapport entre Hanouka et l’affaire Yossef (mais ce n’est pas ici le lieu pour y revenir) et je comprends donc parfaitement pourquoi le Talmud tient à mentionner un épisode de l’histoire de Yossef au beau milieu des pages consacrées a Hanouka. Mais pourquoi avoir choisi précisément celui-ci ? C’est sans doute que Hanouka est une forme de « réparation » de la vente de Yossef. Les frères, suggère Gavriel, se préoccupaient surtout qu’on ne puisse pas les accuser d’avoir tué Yossef de leur main! Que du point de vue de la loi stricte, ils ne puissent être inquiétés! La célébration de Hanouka, elle, est tout entière placée sous le signe du dépassement de la Loi. Les Makabim veulent à tout prix allumer la Menora avec de l’huile d’olive pure alors qu’il est probable que les circonstances les auraient autorisés à allumer avec de l’huile impure (voir le fameux Pné Yéochoua sur Chabbat 21b)! Nous-mêmes allumons notre hanoukia en augmentant chaque jour le nombre de bougies (« mehadrin min hamehadrin ») alors que la halakha n’exige d’allumer qu’une seule bougie par jour et par famille!
Pour employer une expression populaire israélienne, nous dirions que si les frères de Yossef l’ont joué « rosh katan », nous faisons tout à Hanouka pour réparer leur faute en cherchant précisément à avoir vis-à-vis de la loi, le « rosh » le plus « gadol » possible…
Arrêtez-moi si je dis des bêtises….
Rav Elie Kling