Réponse : J’attendais cette question ! A vrai dire, je ne cesse de me la poser…
L’homme questionne. Dès sa naissance, l’Ange lui fait oublier la Torah qui contenait les réponses à l’énigme de la Vie et de la Mort, du bien et du Mal et désormais il ne cessera pas de questionner, avant même de disposer de mots pour le faire. Le regard même du nouveau-né est un poignant point d’interrogation : que fais-je ici ? Dans quel monde suis-je arrivé ? Très tôt jaillissent les questions que l’on dit philosophiques : où étais-je avant d’être né ? Que faisait Dieu avant de créer le monde ? S’Il existe, pourquoi ne le voit-on pas ? Comment sait-on ce qu’il y aura après la mort ?
Grandir signifie souvent cesser de poser les questions restées sans réponse, ou se contenter de la réponse à tout : tu sauras un jour…ou jamais…
Les sociétés se distinguent les unes des autres par l’accueil qu’elles font aux questions. Ainsi les sociétés gouvernées par les mythes, récits sur l’origine du monde et son fonctionnement mystérieux, sont des sociétés où, comme le disait un penseur tchèque, les réponses précèdent les questions. Les dogmes religieux et leur version sécularisée, les idéologies, sont allergiques aux questions. Souvenons-nous de ces questionneurs impénitents que furent Socrate, Galilée, Spinoza, et de nos jours les journalistes courageux qui osent mettre en question la doxa officielle. Bien souvent ils payent cette audace de leur vie.
Et pourtant… Dans la Torah, Dieu est celui qui pose la première question à Adam :איכה?, Où es-tu ? Où en es-tu ? « C’est à Dieu qu’il incombe d’exprimer la question humaine par excellence : Où est l’homme ? Comme s’il fallait en quelque sorte un Dieu pour que l’interrogation de l’homme puisse atteindre son altitude et son ampleur… » (Maurice Blanchot, L’Entretien infini). Qui sommes-nous, que faisons-nous de nous- mêmes, que faisons-nous de notre prochain, de tous les Abel, nos frères humains ? Dans son commentaire sur la question posée par Dieu à Caïn : où est Abel ton frère ? Rachi explique : Dieu savait comment Abel avait disparu mais il voulait éveiller Caïn à sa responsabilité. La question de Dieu n’attendait pas une réponse mais une transformation.
Dans la Torah, la question est l’amorce d’une réflexion éthique et d’un dialogue portant sur le Bien et sur le Mal, ou sur le sens de la vie. Ainsi la question qu’Abraham adresse à Dieu : Le Juge de toute la Terre ne ferait-Il pas la Justice ? Question jugée légitime, question de conscience et de confiance. Abraham, dit Dieu au début du texte dans lequel celui-ci met en question la justice divine, est digne de la confiance du Créateur, car il transmettra à ses descendants sa passion pour la justice en osant poser les bonnes questions.
N’oublions pas que le Talmud est le livre du questionnement infini. La première Michna ouvre sur la première question : à partir de quand lit-on le Chema le soir ? Et le Talmud, dès ses premiers mots fait écho à la Michna en demandant : l’auteur de la Michna, sur quoi s’appuie-t-il pour poser sa question ? Question sur la question !
A l’opposé du récit mythique, le Talmud fait précéder les questions aux réponses et ne craint pas de laisser ouvertes les questions les plus graves, telle la question que Moïse adresse au Tout-Puissant lorsque celui-ci lui fait voir le supplice de Rabbi Akiva : Maitre du Monde, c’est cela la Torah, et c’est cela son salaire ? Et Dieu répond : Tais-toi, c’est-ainsi que la pensée m’est venue…
Rabbi Na’hman de Breslav commente ainsi cette non-réponse : si Dieu avait répondu a Moïse, le Prophète aurait posé une question encore plus profonde, et ainsi de suite, à l’infini… La question du mal infligé aux innocents est d’une profondeur abyssale et mieux vaut ne pas se hâter d’y répondre. Une question ouverte est préférable à une réponse bien-pensante semblable à un pansement sur une plaie ouverte.
Un Rabbi du Talmud qui eut la bonne fortune de rencontrer le Prophète Elie lui demanda : Quand viendra notre Maître le Messie ? Aujourd’hui, répondit Elie. Et le Rabbi : La journée est passée et il n’est pas venu ! Et Elie de lui citer le verset des Psaumes : Il viendra aujourd’hui…si vous entendez Sa voix…
Sa voix est une question qui nous met en question. Certes, disent les Sages, le Messie répondra à toutes les questions, aujourd’hui même…si nous acceptons de nous mettre en question. Le voulons-nous ? Toute la question est là !
Rav Daniel Epstein