Les kabbalistes désignent parfois D. sous le nom de « l’Infini Beni Soit-Il ». C’est une désignation par voie négative, de même il est dit qu’Il n’a ni corps, ni quoi que ce soit qui y ressemble (le quatrième des 13 principes de foi dus à Maïmonide). Impossible de faire autrement, nous dit Maïmonide.
En fait, ce nom exprime non seulement l’absence de fin, mais aussi celle de début. L’infini de l’éternité, exactement ce que dit le poème Adon Olam; Il était, Il est, et Il sera. En fait, passé, présent et futur apparaissent ensemble dans le nom de 4 lettres: היה, הווה, יהיה. Tout simplement parce que le temps est lié à l’homme, il fait partie de la Création, et n’est pas une caractéristique du Créateur.
Il y a quelques années, une chercheuse israélienne en éducation mathématique a comparé l’acquisition de la notion mathématique d’infini chez des étudiants israéliens et chez des étudiants sud-coréens. Il est apparu que ces derniers ont moins de difficulté avec la notion d’infini que les Israéliens, car elle n’existe pas dans la culture ambiante. Il n’y a pas conflit cognitif.
Le concept d’infini apparaît chez les philosophes grecs, plus tard chez les mathématiciens. Le mathématicien allemand Georg Cantor, homme religieux dans sa religion, a formalisé la théorie des ensembles, dans laquelle apparaissent des ensembles finis et des ensembles infinis.
Intuitivement, un ensemble est une collection d’objets appelés éléments. Par exemple, l’ensemble des végétaux brandis à Souccot a 4 éléments. Il y a des ensembles très grands, comme l’ensemble des citoyens israéliens, qui compte plus de six millions d’éléments.
Un ensemble est fini s’il est possible de « compter » ses éléments et que le décompte s’arrête à un moment. On peut compter: Etrog – 1, Lulav – 2, Hadas – 3, Arava – 4, et c’est tout. Voici un ensemble avec 4 éléments.
Cantor a identifié d’autres ensembles. L’ensemble des « nombres entiers naturels » est celui que nous utilisons justement pour compter: 1, 2, 3, 4, … . Cette énumération ne s’arrête pas, chaque entier est suivi d’un nouvel entier, les musiciens diraient ad libitum. Le décompte est sans fin, et l’ensemble des nombres entiers naturels est dit infini.
Observez maintenant un segment de droite d’extrémités A et B. Vous pouvez choisir un point C entre A et B, puis un point D entre A et C, et un point E entre A et D, etc. En fait, entre deux points différents, on peut toujours en trouver un autre. Le segment AB contient une infinité de points: le segment AB est continu, sans trous, alors qu’entre 1 et 2, entre 2 et 3, etc., il y a des trous. Après tout le nombre 1.5 existe (il apparait même dans la Torah!), mais il n’appartient pas à l’ensemble des entiers.
On dénote le « nombre » d’entiers par א0 et celui des points d’un segment de droite par א1. Intéressant! On a choisi la lettre qui ne peut pas être entendue, et qui a comme valeur numérique 1. Une inspiration divine aurait-elle parlé un peu fort dans le subconscient de quelqu’un? Je ne sais. En tout cas, ça ne s’est pas passé en Corée.
On distingue deux sortes d’infini: un infini actuel est un infini où « tout est là », présent devant nous. Difficile à appréhender. L’ensemble des points d’une droite est un infini actuel, mais personne ne pense jamais à cette infinité-là. La droite est objet de géométrie. L’infini des nombres entiers peut être vu comme un infini potentiel. Tout n’est pas présent face à notre regard, mais petit à petit on progresse.
Peut-être cette distinction nous aidera à comprendre le processus de Techouva comme décrit par un infini potentiel? C’est ce que dit le Prophète Amos: שובה ישראל עד ה’ א-לוקיך, et les Sages de demander de faire le chemin jusqu’à toucher D.? La réponse est négative, comme l’a dit R. Yehouda Halevi: – חקור פעליו, רק אליו אל תשלח ידך explore Ses actions, mais ne porte pas la main sur Lui.
Rabbi Yossef Gikatilia (dans son livre Caare Ora) décrit un continuum infini de nous vers D. Comme cette idée de continuum est difficile à intérioriser, on utilise une approximation comportant des sauts, parfois même une approximation avec un nombre fini de sauts: les 4 échelons de l’échelle de Jacob, les 4 mondes du poème que nous lisons à Yom Kippour avant la Kedoucha de Cha’harit, les 50 degrés de l’Omer pour aller des bas-fonds de l’Egypte vers l’élévation (infinie) du Sinaï, etc.
Une chose courante dans la Torah est l’utilisation d’un grand nombre pour exprimer l’infini. Par exemple dans Nombres 23,4: un descendent de Ammon ou de Moab ne pourra pas se joindre au Peuple Juif, même a la dixième génération. Ici le nombre 10 exprime « jamais », un temps infini.
Le processus de rapprochement avec D. est un infini potentiel, car après chaque étape, il y a encore à faire.
Une définition est un énoncé qui indique les limites d’une notion, là où elle finit. On ne peut donc pas définir D., seulement dire ce qu’il n’est pas. De cette façon, on laisse encore une infinité de possibilités. Les noms de D. qui apparaissent dans la Torah (et le livre de Shemot – les noms – est bien nommé tant il y en a dedans) représentent à chaque fois un attribut divin, celui qui est à l’œuvre à ce moment-là.
Maïmonide dit que le but de la vie est לדעת את ה’ connaître D., au sens biblique une connaissance très intime. Nous pouvons nous approcher de cet infini actuel, à l’aide d’un processus d’infini potentiel.
Pr Dana-Picard