Résumé épisode 11 :
Fuyant le nazisme, en arrivant à Marseille Moszek Feinstein, grand-père de Moïse et fondateur du « Kibboutz Diamantkring », s’est rapproché de la Résistance et de la French Connection. Pour subvenir aux besoins de sa famille, il a participé à la contrebande de cigarettes, pour le compte des parrains corses. Exilé en Corse, il est devenu agriculteur et a rencontré Aya. A la demande du Milieu, il est intervenu auprès du Préfet Papon, pour qu’il ferme les yeux sur le transport d’armes achetées par « l’Agence Juive » pour Israël.
L’attaque du Kibboutz
Kibboutz Diamantkring – Haute Galilée, nord Israël, samedi 9 mai 1998
Cinq hommes bardés de fusils, de revolvers, de couteaux et d’armes de guerre entrèrent dans le réfectoire. La musique s’arrêta, les danseurs se figèrent, semblant jouer au « jeu de la sentinelle ». La posture des nouveaux arrivants indiquait qu’ils étaient très jeunes, mais leurs visages étaient dissimulés. Deux portaient des djellabas et des chèches bleus qui ne laissaient apparaître que leurs yeux, un avait un Keffieh rouge et blanc, les deux derniers portaient des vêtements occidentaux avec des capuches.
– Où est Feinstein ? Demanda un des hommes portant une djellaba bleue, parlant avec un fort accent arabe. Il s’adressa ainsi, de manière menaçante à un jeune militaire. Le seul Feinstein du kibboutz étant le grand-père de Moïse, très apprécié. Visiblement cet homme connaissait et cherchait le responsable du village. Acculé dans le fond de la pièce, pris au piège, le groupe de kibboutznikim restait silencieux.
– Feinstein ! Na’al din abouk ! Hurla l’homme une seconde fois, brandissant un fusil de chasse. Faites-le venir ! Ou vous allez tous mourir sales Juifs !
– Ben zona !
En guise de réponse Shlomo le bien nommé, un jeune militaire portant un uniforme de Tsahal sortit un revolver, un Glock 17 et tira. Le tir était précis, l’homme à la djellaba reçu le projectile au milieu du front. Il s’effondra, sous le regard stupéfait des quatre hommes qui l’accompagnaient.
La riposte fut presque immédiate, Shlomo fut la première victime. Plusieurs coups de feu choquèrent la nuit, des notes suspendues comme en ouverture d’un opéra macabre. Tout y était, les premières mesures en adagio, la mort, la cadence crescendo, une rhapsodie de larmes, une symphonie tragique, des musiciens funestes, des trémolos et des assassins qui déchaînèrent leur partition de terreur dans le réfectoire.
Les tirs étaient imprécis mais nombreux.
Des bourreaux sous substances – cocaïne, diront les autorités – libérèrent leurs pulsions morbides. Ils actionnèrent des armes lourdes, à la cadence si caractéristique. Les kibboutznikim essayèrent de se cacher derrière des tables, en vain. Les balles atomisaient leurs maigres protections. Les plaintes, les os brisés, les chevrotines qui pénètrent la chair, les corps qui s’affaissent, laissèrent bientôt la place à un silence effroyable. D’autres coups de feu retentirent dans les bâtiments proches. Les assaillants dans le réfectoire n’étaient pas seuls.
Le père et la mère de Moïse, avaient assisté à la scène du réfectoire depuis le jardin. Ils s’étaient rapprochés en entendant les premières détonations, mais étaient restés dissimulés. Le père eu le réflexe de se précipiter vers les assassins mais la mère le stoppa : – Ella ! Moïse ! Mes parents !
Elle se mit à courir en sens inverse. Le père la rattrapa et la pris dans ses bras.
– Doucement, on y va sans faire de bruit.
– Les enfants !
– On y va, fais-moi confiance, dit-il sur un ton rassurant. La petite d’abord, Moïse et tes parents vont s’en sortir !
Ils marchèrent sur cent mètres dans l’obscurité, jusqu’à un bâtiment de taille moyenne. La porte était ouverte. La mère se précipita dans la chambre où dormaient profondément sa fille Ella, âgée de quatre ans, deux adolescentes, les sœurs Hadassah et Rayna qui faisaient office de baby-sitters, ainsi qu’une dizaine de très jeunes enfants, garçons et filles. Les parents réveillèrent tous les enfants et les empêchèrent de parler. Un très jeune garçon se mit à pleurer, très vite imité par d’autres. Les parents et les deux adolescentes prirent les enfants et sortirent prestement, sans arriver à les réduire au silence, craignant à chaque pas de tomber sur des tueurs.
Le groupe marcha trois bonnes minutes sur la route quand un camion arriva à toute vitesse. L’homme surpris, en voyant les parents et les enfants dans ses phares manqua de se précipiter en contrebas. Il donna un coup de volant et s’arc-bouta sur les freins. Le véhicule immobilisé, il s’éjecta de la cabine et s’approcha du père.
– Il n’y a pas de blessés, tov ?
– De quel village êtes-vous ? Demanda le père.
– C’est moi ! Méchoulam Chamama, dit l’homme. Qu’est-ce qui se passe ?
– Il y a un attentat !
– Eifo ?
– Au Kibboutz !
– Maintenant ? Demanda le chauffeur, visiblement ému.
– Ken ! Ken ! Prends tous les enfants et ma femme avec toi. Allez voir la police !
– Pas question, dit la mère, je viens avec toi.
Le père compris qu’il n’y avait pas à discuter.
– D’accord, dit-il en se tournant vers le conducteur. Nous allons chercher mon fils Moïse. Va à Rosh Pina et envoie la police.
La mère embrassa Ella et regarda s’éloigner le véhicule, puis ils repartirent en courant vers le kibboutz.
– Viens ! On nous demande de coucher les enfants, avait dit Yaël à Moïse quelques minutes avant les premiers coups de feu, puis elle l’avait embrassé, au milieu du dortoir des enfants.
– French Kiss ! Riait Dora.
La scène du baiser avait fait rire la petite Shoshana, qui avait mis sa main devant la bouche en gloussant.
– Sababa ! S’exclama David.
C’est la dernière chose dont Moïse se souvienne, à part le coup de feu et la tâche rouge, sur la chemise blanche de Yaël. Il senti la main de Yaël serrer la sienne, puis glisser. Il se retourna, et a vu Yaël qui tombait, désarticulée.
Sa chute dura très longtemps, une éternité. Moïse entendit à peine les cris de David et de Dora, les hurlements des enfants et ceux plus éloignés dans le kibboutz, le dernier battement de cœur de Yaël. Le néant, « My Yiddishe Momme ».
Moïse entend des musiques, depuis toujours. Quand ses émotions lui échappent, quand il est heureux ou désespéré, une musique vient se superposer sur l’instant, un peu comme si quelqu’un venait d’allumer une radio. Pourquoi « My Yiddishe Momme » ? Moïse serait bien en peine de l’expliquer.
De l’autre côté du jardin, Thaddeus, Zechariah, Shmuel, les trois survivants de Treblinka, les trois copains de Lodz en Pologne fermèrent les yeux en même temps. Les grands-parents de Moïse qui étaient à deux pas, réussirent à s’enfuir, suivant un groupe de personnes âgées qui se dirigeaient vers l’abri sous-terrain. Moszek s’appuyant à peine sur sa canne, poussait Aya devant lui. Tous descendirent les escaliers en béton.
Au moment où Moszek entra à son tour, Aya poussa un cri. Une ombre, un homme avec un fusil venait d’apparaître dans l’ouverture de l’abri. Moszek protégea Aya de son corps. Dans le même temps, il actionna une petite boule en laiton, au niveau du pommeau de sa canne, ce qui fit remonter un percuteur. Moszek tendit la canne-fusil de calibre 9mm et fit feu vers la menace. L’homme tomba en arrière, comme retenu par un élastique.
Moszek fit un signe à Aya, puis essaya de fermer la porte, en vain. L’homme sur lequel il venait de tirer gisait sur le sol, sur le dos, bloquant la fermeture. Il remonta les escaliers et le tira avec toute la vigueur possible de ses 85 années. Deux autres hommes se ruaient vers lui.
Moszek ordonna à son épouse : – Aya ferme la porte !
La porte de plomb resta ouverte, délibérément. Il était totalement improbable qu’Aya puisse enfermer Moszek à l’extérieur. Elle empêcha même un homme de le faire : – Il faudra me tuer d’abord, espèce de lâche !
D’un mouvement sec, Moszek dévissa le pommeau de la canne, qui devint une baïonnette. Un geste qu’il maîtrisait bien. Quand le plus costaud des assaillants, un bédouin, fut sur lui, il fit un pas de côté et lui enfonça sa baïonnette dans la poitrine. Fin et souple, le vieil homme semblait exécuter des pas de danse à la Fred Astaire.
Le troisième homme ne brillait, ni par sa force, ni par son agilité, ni par son intelligence et encore moins par son courage. Ces derniers points, Moszek les avait éprouvés une semaine auparavant, quand le bédouin avait tenté de l’extorquer. Il s’était présenté avec cinq autres, comme des émissaires d’une des factions du village bédouin-musulman de Tuba-Zangaria. Ils proposaient leur protection contre les autres groupes qui rackettaient la région. Ces voyous étaient en guerre les uns contre les autres mais ils étaient d’accord au moins sur un point, l’ennemi était Israël et les Juifs. Ils voulaient tous s’approprier les biens des Juifs, qu’ils abhorraient. « Ils ne sont pas très dangereux » s’était dit Moszek Feinstein, en l’humiliant sciemment devant les autres, en le traînant jusqu’à la grille par l’oreille. Aucun n’avait réagi. Pour Moszek, l’attaque du Kibboutz ne pouvait pas être à l’initiative de ces hommes-là, ça ne collait pas.
La surprise fit perdre un avantage précieux au Kiboutznik, le bédouin était maintenant à deux mètres. Dans un geste souple, Moszek utilisa la baïonnette comme un couteau de lancer. Une telle virtuosité dans l’enchaînement des coups était stupéfiante, surtout de la part d’un homme d’un âge aussi avancé. Sa formation militaire et sa grande habitude des combats rapprochés, équilibraient le combat avec des hommes qui avaient visiblement le tiers de son âge. Hélas cela ne suffit pas. L’arme déchira la cuisse de l’homme, seulement.
Malgré la douleur ce dernier fit feu sur Moszek avec un fusil de chasse. Le chef du village fut projeté en arrière. L’homme retira la baïonnette de sa cuisse dans un cri rauque. Moszek éventré, mutilé par des plombs sur tout son corps, saignait abondamment. Le vieil homme trouva la force de se tendre une dernière fois, pour se jeter sur la lourde porte en plomb de l’abri. Elle ne se ferma pas davantage.
Moszek couché sur la porte murmura les premiers mots du « Shema Israël », il jouait sa dernière carte. En titubant, l’homme arriva à sa hauteur. Moszek entendit Aya qui l’appelait mais ne réagit pas. Il semblait trop las, une ruse. Dans un dernier effort, le vieux guerrier dégaina une arme qu’il avait dans la poche de sa veste et tira au jugé. La balle de petit calibre entra dans la gorge du bédouin et ressorti de l’autre côté de la boîte crânienne. Il s’effondra comme une marionnette dont on venait de couper les fils.
Aya suivie par deux hommes, visiblement du même âge, monta les escaliers. Les trois ramenèrent Moszek sous terre. Une fois tous descendus, un des hommes tira la porte, poussa la sécurité, bloquant ainsi l’ouverture.
Le carnage se poursuivait dans le kibboutz. Le réfectoire semblait à nouveau pris d’assaut, mais aussi le dortoir où étaient les enfants. Moïse restait pétrifié.
Rendez-vous la semaine prochaine pour le prochain épisode des « AVENTURES EXTRAORDINAIRES DE MOÏSE LEVY».
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