Joël Mergui, le Président du Consistoire central de France, s’est rendu la semaine dernière pour une visite hautement symbolique sur le Tombeau de Yossef à Sh’hem, avec le concours du Conseil régional de Samarie et a l’initiative de la Yechiva Elon Moreh.
Comme il l’a lui-même rappelé, cette visite a été l’occasion de rattraper une tentative qui n’avait pas abouti en mars 2011. N’ayant pas pu se joindre à une visite organisée sous protection militaire israélienne, Joël Mergui se tourne vers le Consulat de France pour accéder au site. Un véhicule officiel lui est affecté. En route, l’attachée culturelle du Consulat l’informe que les autorités palestiniennes locales interdisent l’accès au Tombeau à toute personne portant un signe religieux extérieur. En d’autres termes, on lui demandait de retirer sa kippa! ”Président du Consistoire, interdit de Kippa pour le Tombeau de Joseph, j’ai alors décidé de ne pas m’y rendre. Une évidence. A cause d’une exigence insensée imposée comme une simple formalité : un lieu saint juif, mais sans juif apparent ! Un pèlerinage ne s’achète pas au prix de son identité. Rien ni personne ne peut exiger d’un juif qu’il soit, même le temps d’un instant, même pour le Tombeau de Joseph, un juif «en secret», un juif «en cachette» d’un pouvoir dont l’intolérance impose sa loi”, écrira-t-il alors dans un édito daté du 11 mars 2011 pour Actu J.
Le P’tit Hebdo: Cette visite a-t-elle été aussi pour vous une sorte de revanche sur le diktat qui vous avait été imposé il y a 5 ans?
Joël Mergui: Il est vrai que mon vœu de m’y rendre il y a cinq ans ne s’est pas réalisé. Mais a posteriori, je me dis que cette occasion ratée était justifiée pour des raisons de sécurité. En effet, c’est le Shabbat qui a suivi, que Routhi et Oudi Fogel ont été assassinés avec trois de leurs enfants, à Itamar, non loin du Tombeau de Yossef. Peut-être était-ce inconscient de ma part d’avoir voulu m’y rendre sans la protection de l’armée. J’étais certes contrarié mais la France a fait preuve de bonne volonté à mon égard.
Ceci étant, c’est certain qu’on nous impose un diktat sur ce lieu qui est le fait des Palestiniens. Il est toujours révoltant de constater que les Arabes peuvent se promener librement, y compris avec des signes distinctifs, partout à Jérusalem, à Tel Aviv, et que les Juifs sont sous la menace permanente s’ils se rendent dans les Territoires palestiniens. C’est le message que j’ai voulu faire passer après cet épisode de 2011.
Lph: Qu’avez-vous ressenti cette semaine sur le kever de Yossef?
J.M.: Ce fut une grande satisfaction à la fois personnelle, mais aussi en tant que Président du Consistoire. Je veux montrer ainsi que chaque lieu saint doit être préservé, protégé. On ne renonce pas à notre histoire. Il est douloureux de penser qu’il faut y aller en pleine nuit, sous haute protection et je veux en profiter pour rendre hommage à Tsahal.
Ce fut aussi pour moi l’occasion de visiter la Yechiva d’Elon Moreh. J’attache une grande importance lors de chacun de mes voyages en Israël, à visiter des yechivot, surtout dans les endroits dits ”à risque”. Je tiens à encourager ces jeunes qui étudient.
Lph: Quel regard portez-vous sur l’actualité française au regard de la menace terroriste qui y est, aussi, très importante aujourd’hui?
J.M.: Nous avons pris un énorme retard dans la prise de conscience de ce qui se déroule sur le sol français. C’est par peur de l’amalgame, que nous avons préféré ne pas voir. Aujourd’hui, je sens que le monde est en train d’ouvrir les yeux. Les responsables politiques, et notamment le Premier ministre Manuel Valls, nomment le mal: l’islamisme radical, le djihadisme. De ce point de vue, je note une évolution.
Lph: On a tout de même le sentiment que cette capacité à designer le mal mais aussi les victimes n’est toujours pas suffisamment répandue: la tribune des représentants musulmans qui condamnent les attentats en ”omettant” les victimes juives en est un exemple.
J.M.: Apres l’assassinat du prêtre de Saint-Etienne de Rouvray, le Président Hollande a reçu les représentants de toutes les religions. J’ai alors répété aux responsables musulmans que nous savons que tous les musulmans ne sont pas en guerre. Mais l’Islam est atteint d’une maladie, le djihadisme en est issu, c’est incontestable. L’Islam a un travail à faire en France mais dans les autres pays où il est présent aussi. Dénoncer le djihadisme, ce n’est pas condamner tous les musulmans. Nous avons mis du temps à designer les auteurs des crimes antisémites. Aujourd’hui, tout le monde est concerné par les attentats. J’ose espérer que la société française a compris que les Juifs n’étaient que les premiers à être ciblés, que le monde prendra la mesure du tournant dans lequel nous nous trouvons: nous devons ensemble combattre les islamistes.
Je le dis depuis plusieurs années, le terrorisme est le même partout. Ceux qui justifient le terrorisme palestinien par le conflit avec Israël se trompent et je pense que de plus en plus de personnes s’aperçoivent de cette erreur. On observe une meilleure compréhension de la réalité et des combats que mène Israël. Ceci étant, il est clair que tant que l’on établira des différences entre les victimes, ce ne sera pas bon.
Lph: En tant que haut responsable communautaire, que pensez-vous de la vague massive d’olim en provenance de France ces dernières années?
J.M.: La communauté juive française qui s’est reconstruite progressivement après la Shoah et a accueilli les Juifs d’Afrique du Nord, s’est remise aujourd’hui en mouvement. Depuis 2000, la montée de l’antisémitisme et de l’antisionisme ont encouragé cette mise en marche.
Personne n’a le droit de juger ceux qui partent. D’ailleurs nous leur souhaitons beaucoup de réussite et de bonheur, nous les accompagnons dans leur démarche et nous sommes même en contact régulier avec les autorités israéliennes pour nous assurer des meilleures conditions d’intégration pour ces Juifs de France qui font le choix de l’alya.
Parallèlement, ma responsabilité est avant tout de faire vivre le judaïsme français: beaucoup sont partis mais la majorité reste en France.
Lph: Comment se porte justement la communauté juive française compte-tenu du fait que beaucoup des olim sont des piliers communautaires?
J.M.: La vie juive est encore exceptionnelle dans plusieurs centres comme Villeurbanne, Marseille, Sarcelles ou Créteil, pour ne citer qu’eux. Mais il est vrai qu’une partie du leadership communautaire part. Nous devons repenser le judaïsme français, promouvoir l’accueil à l’intérieur de nos communautés. Soyons attentifs au grand réveil identitaire des Juifs de France, ne le ratons pas. Nous devons donner les moyens à ceux qui restent de conserver leur identité. Nous devons faire revenir les Juifs les plus éloignés. Chacun compte.
Lph: Vous avez été réélu récemment pour un deuxième mandat à la tête du consistoire. Comment voyez-vous votre mission?
J.M.: Je suis arrivé, en France, du Maroc à l’âge de 14 ans et j’ai fait des études de médecine. Mes cousins, eux, sont partis en Israël et ont rejoint Tsahal. Je pense que chacun a le devoir de consacrer de son temps au peuple juif. J’ai le privilège de servir notre communauté, c’est une énorme responsabilité, surtout à notre époque. Nous sommes menacés par des risques physiques mais aussi par l’assimilation et des tentatives d’atteinte à notre liberté religieuse.
J’engage tout le monde à mettre ses compétences au service de la communauté, à consacrer de l’énergie à notre destin commun.
Propos recueillis par Guitel Ben-Ishay
Credit photo: Yechiva Elon Moreh