Le premier signe, ce fut quand, au matin de Hochana Rabba, on a déposé le loulav pour la dernière fois de l’année. Et puis l’après-midi, on a dit affectueusement au revoir à la souka en évoquant l’espérance messianique et l’étrange souka en peau de leviathan sensée nous y attendre. Le soir, pour la première fois depuis presque deux mois, on n’a pas récité le psaume « ledavid hachem ouri » qui nous était devenu si familier. Les choses se précisaient donc, inexorablement. Et lorsque l’on s’est mis à demander la pluie dans la prière journalière, le doute n’était plus possible : les fêtes étaient bel et bien terminées, l’année pouvait réellement commencer.
C’est l’occasion pour nous de nous pencher sur cette fameuse bérakha, la neuvième des 19 qui constituent la amida, la « birkat hachanim », dans laquelle nous demandons la pluie entre la fin de soukot et le début de pessah’. Selon que vous soyez ashkénaze ou séfarade, la version de cette bérakha sera différente. Mais dans tous les cas, nous remplacerons le « donne la bénédiction » estivale par le « donne la rosée et la pluie » qui nous accompagnera tout l’hiver.
« Si un particulier a besoin de pluie en été, il n’est pas autorisé à en faire la demande dans la birkat hachanim. Il devra le faire dans la bérakha réservée aux besoins particuliers, « choméa téfila », stipule le choulkan aroukh (O.H 117, 2). En effet, depuis que les mots de la amida ont été institués et sont les mêmes pour tout le monde, les prières personnelles, requêtes et autres demandes ont une place réservée : dans la 16eme bérakha, « choméa téfila », où vous pouvez, dans vos mots à vous, composer la prière qui vous est propre. Ainsi, si vous devez remplir votre piscine en juillet et que pour cela, un bon orage serait le bienvenu, c’est dans la 16ème bérakha que vous le demanderez, pas dans la 9ème dont la formulation doit respecter les dates fixées une fois pour toutes comme définissant « l’été » ou « l’hiver ».
Et le Choulhan Aroukh d’ajouter: « même si une ville entière , aussi grande que Ninive ( a besoin de pluie en été), même si des pays aussi grands que l’Allemagne ou que l’Espagne (sont dans ce cas), leur demande est considérée comme une demande « privée » et la communauté de cette ville ou de ce pays ne pourra pas demander la pluie dans birkat hachanim qui est une bérakha réservée au public (« tsibour »). »
On peut se demander légitimement pourquoi les Juifs d’Allemagne, de France ou d’Espagne n’auraient pas le droit de demander la pluie au moment où ils en ont effectivement besoin dans la bérakha consacrée à cet effet ! Le Rosh (Rabbenou Asher, 13ème siècle), s’étonne en effet: « tout le monde sait que dans nos pays l’essentiel de la saison des pluies se situe précisément entre pessah et chavouot. Or, c’est justement à ce moment-là que nous arrêtons de la demander ! La michna qui fixe les dates de la fameuse bérakha n’a-t-elle pas été écrite en Erets Israël pour les habitants de la Terre Sainte? Là-bas, en effet, les récoltes doivent sécher durant le mois de Iyar et les pluies sont alors malvenues. Mais ici?! » Mais la logique du Rosh n’a pas été retenue par les décisionnaires et, de Reykjavik à Istanbul, de Toronto à Avignon, les Juifs ont de tout temps et sous toutes les latitudes demandé la pluie en fonction des saisons d’Erets Israël!
Le Minhat Hinoukh (Ukraine, 19ème siècle) met les points sur les « i »: « C’est parce que les communautés de Diaspora ne sont pas juridiquement considérées comme collectivité (« tsibour »). Même très nombreuses, elles ont le statut d' »individus ». Ceci est vrai pour la demande des pluies comme dans d’autres domaines. Ainsi, elles n’ont pas autorité à instaurer un jeûne collectif avec tout ce que cela implique. »
Voilà pour la raison formelle. Mais nos Sages ont tenu à ajouter une raison psychologique : « Même ceux d’Orient, mêmes ceux des îles lointaines qui ont besoin de pluies en plein mois de Tamouz (juillet), ne demanderont la pluie qu’au moment où Erets Israël en a besoin. Car sinon, ils risquent de se croire chez eux alors qu’il est impératif qu’ils se considèrent comme étant de passage, dans une auberge provisoire, alors que leur cœur et leurs pensées sont dirigés vers la Terre d’Israël! Et s’ils ont vraiment besoin de pluie, que chacun d’entre eux en fasse la demande dans « choméa téfila » (Michnat Rabbi Eliezer, Paracha 3)
Arié Dulzin, qui fut président de l’Agence juive dans les années 80, était originaire de Russie et sa famille émigra en Amérique du Sud avant de faire leur Alya. Il raconte qu’étant adolescent, il posa un jour à la synagogue la question à son père: « Pourquoi devons-nous aujourd’hui, sous prétexte que nous sommes Chemini Atseret supplier pour demander la pluie? Il tombe dehors un vrai déluge et les rues de Mexico sont inondées ! Nous sommes arrivés trempés pour l’office et voilà que le hazan supplie que Dieu veuille bien faire pleuvoir! N’est-ce pas un tantinet ridicule ? ». Ce à quoi son père lui répondit : « Quelle pluie? Ah, ce que tu entends dehors ? Mais ça, ce n’est pas notre pluie, Arié! Nous, nous prions pour notre pluie! »
Parmi les jeunes filles courageuses qui ont compris que le temps est venu de quitter leur auberge pour vivre au rythme des saisons de leur vrai pays, se trouvent également celles qui constituent la 24ème promotion de Hemdat Hadarom et qui viennent d’arriver pour retrouver avec nous la dimension collective de leur identité juive. Bienvenue donc à Aure, Abigail, Naama, Liora G., Rahel, Dana, Yaelle, Eva, Elianor, Noa de Paris , Noa de Strasbourg, Salomé A., Salomé C, Rebecca, Liora D., Naomie B, Hanna, Tania, Naomie S., Anael, Eden, Talia, Liora T., Sara, Shona, Elona et Aurélie. Et béhatslaha!
Arrêtez-moi sui je dis des bêtises…
Rav Elie Kling