Afin de dresser un tableau de la situation économique israélienne aujourd’hui, LPH a interrogé Yitshak Adda, économiste, conseiller auprès de l’OCDE. Avec lui, nous abordons les questions qui touchent notre quotidien et nous nous interrogeons sur la réalité du miracle économique israélien.
Le P’tit Hebdo: Qu’évoque pour vous l’expression couramment utilisée de ”miracle économique israélien”?
Yitshak Adda: Cette expression reflète une réalité partielle. Il y a, certes, un miracle de la High-Tech, mais on ne peut pas, à proprement parler, évoquer un miracle économique à l’échelle du pays. Il est vrai que le taux de croissance du PIB est plus élevé que celui des autres économies développées. Mais le progrès du niveau de vie se mesure en prenant en considération la croissance démographique. En Israël, la population augmente d’environ 2% par an. Ainsi, lorsque le PIB progresse de 2,5% an comme en 2014, 2015 et 2016, le PIB par habitant n’augmente que de 0,5% par an, soit un rythme inférieur à celui de la moyenne des pays de l’OCDE. Sur le long terme, la croissance du PIB par habitant est plus élevée, de l’ordre de 1,5% par an, mais pas plus que celle des Etats-Unis. Ainsi, sur les 20 dernières années, on n’observe pas de rattrapage du niveau de vie américain, l’écart restant constant autour de 40%. Par rapport à l’Europe c’est différent parce que la croissance y est pratiquement nulle depuis la crise de 2008.
Lph: D’où vient alors cette réputation d’économie florissante?
Y.A.: La réputation économique d’Israël repose sur les prouesses de la high-tech qui sont réelles. Mais la high-tech ne représente que 10% des emplois et ses effets d’entrainement sur le reste de l’économie sont limités. Le résultat est qu’on a une économie qui marche à deux vitesses : une partie branchée sur le marché mondial, très performante, et une autre tournée vers le marché intérieur ou exposée à la concurrence des pays à bas salaires, qui vivote. Comme l’a déclaré récemment un dirigeant de la high-tech israélienne, Shlomo Waxe, Israël ne doit pas se contenter d’être une start-up nation, elle doit devenir une high-tech nation. L’un des problèmes est que dès qu’une start-up décolle suffisamment, elle est vendue. Cette vision de court terme permet à quelques personnes de s’enrichir mais empêche l’émergence de sociétés phares comme Google ou Amazon. A cela s’ajoute que la high-tech a longtemps bénéficié de la manne scientifique apportée par l’Alyah russe dont les ingénieurs arrivent aujourd’hui à l’âge de la retraite. Or, le système éducatif israélien est, faute d’investissement, peu performant et ne forme pas suffisamment d’ingénieurs, au point que le gouvernement se propose d’offrir des permis de travail à des centaines d’ingénieurs étrangers pour des salaires de départ de 20000 shekels par mois.
Lph: En 2010, Israël adhère à l’OCDE. Le ministre des finances de l’époque, Youval Steinitz, salue alors: ”une victoire historique”. Qu’est-ce que cette adhésion apporte à Israël?
Y.A.: Les responsables israéliens se sont félicités de cette entrée parce que l’OCDE est assimilée à un club de pays développés. L’adhésion à cette organisation marque la reconnaissance des progrès d’Israël et son statut d’économie avancée.
L’OCDE publie régulièrement des rapports très complets sur la situation économique de chaque pays membre, ce qui implique une très grande transparence. Ces rapports ont une large couverture médiatique, ce qui expose les points forts et les points faibles de l’économie et contribue au débat public. L’OCDE n’a pas de pouvoir coercitif, elle ne peut faire que des recommandations. Mais par ses analyses comparatives, elle permet d’alerter l’opinion et donne l’occasion aux responsables de bénéficier de l’expérience des autres pays.
Lph: Le dernier rapport de l’OCDE, publié en janvier 2016, a pointé du doigt un certain nombre de problèmes. Les Israéliens ressentent ces difficultés au quotidien. Un des points noirs est le niveau bas des salaires. Comment expliquer ce phénomène?
Y.A.: Il s’agit d’une question importante. L’administration fiscale israélienne a publié au début de l’année des chiffres qui montrent que la moitié des salariés israéliens perçoivent un salaire inférieur à la première tranche fiscale qui est de 5000 shekels par mois. On sait, par ailleurs, que 30% des salariés touchent le salaire minimum.
Le haut niveau des inégalités de revenu qui caractérise notre pays s’explique d’abord par la forte hétérogénéité de la société israélienne. Le modèle éducatif varie d’un secteur à l’autre et pour certaines catégories de la population, Arabes israéliens et Harédim en particulier, le niveau de formation est très insuffisant, ce qui tire la moyenne des salaires vers le bas. A quoi s’ajoute que le pays a un recours massif à la main-d’œuvre immigrée et au travail journalier des Palestiniens.
La montée des inégalités n’est toutefois pas spécifique à Israël. Dans le monde entier, la mondialisation place les économies en concurrence les unes avec les autres et exerce une pression très forte sur les salaires. Comme toutes les économies de petite taille, Israël est obligée d’exporter beaucoup pour pouvoir acheter à l’étranger tout ce qu’elle ne peut pas produire. L’économie est donc très exposée à la concurrence globale. La seule façon d’y faire face tout en distribuant des salaires élevés est d’élever le niveau des qualifications et donc d’investir massivement dans l’éducation et la formation, ce que notre gouvernement ne fait pas assez.
Lph: Quand on évoque le salaire, on pense automatiquement au pouvoir d’achat. Or, beaucoup d’Israéliens considèrent que ce dernier est réduit. D’ailleurs le rapport de l’OCDE montre que le coût de la vie est élevé dans notre pays. Quelle analyse faites-vous de la vie chère dans des branches très importantes pour notre quotidien: l’alimentaire, le logement et les banques?
Y.A.: En effet, la vie continue d’être chère en Israël, même si l’inflation est négative depuis quelques temps. Concernant l’alimentation, notre pays se trouve dans une situation très particulière du fait des exigences de cacherout, qui rendent l’ouverture du marché plus difficile. A cela s’ajoute la forte concentration de l’offre, avec quelques grosses sociétés qui dominent la production et la distribution.
La question du logement est ancienne: en Israël la demande est structurellement supérieure à l’offre, ce qui pousse les prix de l’immobilier à la hausse. La Banque d’Israël s’efforce de freiner la demande en réglementant plus strictement les crédits, ce qui n’est pas facile lorsque les taux d’intérêt sont proches de zéro. Le problème majeur est que l’offre de terrains est insuffisante et que là où elle existe, dans les régions périphériques, les infrastructures sont insuffisamment développées pour attirer la population. En outre, l’Etat s’est totalement désengagé du logement public depuis une quinzaine d’années.
Dans le secteur bancaire, la concentration est extrêmement forte avec deux banques (Leumi et Hapoalim) qui dominent le marché, ce qui explique les commissions importantes qu’elles prélèvent. Il faudrait ouvrir le secteur à la concurrence mais ce n’est pas facile. En effet, la taille du marché n’est pas assez importante pour attirer les groupes bancaires étrangers. Le gouvernement tente actuellement d’apporter une solution en proposant de transformer les sociétés de cartes de crédit en banques. Or ces sociétés n’ont pas d’agences qui collectent les dépôts du public. Ce qui signifie que leur financement ne peut reposer que sur des emprunts sur les marchés financiers, ce qui n’est pas une garantie de stabilité.
Lph: Vous prônez plus d’intervention de l’Etat pour remédier à ces failles. L’Etat-Providence: est-ce la solution?
Y.A.: De nos jours, le débat économique n’oppose plus le capitalisme au socialisme. La plupart des économistes s’interrogent, de façon pragmatique, sur les rôles respectifs du marché et de l’intervention publique dans chaque domaine de façon à maximiser à la fois l’efficience et l’équité. Je pense que l’Etat a un rôle important à jouer dans l’encadrement des marchés, en tant que régulateur mais aussi de correcteur des effets indésirables du marché en matière de distribution des revenus et de protection sociale. Il doit aussi œuvrer à la préparation d’un avenir meilleur, en investissant dans l’éducation, la formation et la recherche notamment.
Lph: Apres avoir analysé l’économie israélienne et ses lacunes ou les points sur lesquels elle pourrait encore progresser, pourriez-vous nous donner les points positifs de cette économie, ceux dont on peut s’enorgueillir?
Y.A.: Ce qui fait la richesse d’un pays, c’est sa population. Le pétrole, le gaz que nous avons trouvé sont des atouts mais ce n’est pas notre véritable richesse. Notre point fort, c’est la richesse extraordinaire de notre population, sa diversité, sa créativité et sa confiance dans l’avenir. De ce point de vue nous sommes le pays le mieux doté au monde. Encore faut-il donner à chacun la possibilité de réaliser son potentiel, ce qui suppose entre autres d’améliorer notre système éducatif !
Lph: Malgré les difficultés économiques que les Israéliens peuvent rencontrer, ils se déclarent, dans leur immense majorité, heureux! Comment l’économiste que vous êtes explique cette apparente contradiction?
Y.A.: Israël n’est pas un pays comme les autres. Le pays s’est construit et se nourrit de l’alya. Les gens arrivent ici avec une motivation incroyable, avec des idéaux, même si cet idéalisme ne se transmet pas facilement d’une génération à l’autre. La qualité de la vie ne se limite pas au revenu par habitant. Ici, face aux difficultés matérielles, on sait garder la foi, la ”Emouna”, on ne cesse jamais d’espérer en l’avenir !
Propos recueillis par Guitel Ben-Ishay