Il y a quelques jours, Elie Ishay a rebattu les cartes de ces élections en décidant de retirer sa liste de la course à la Knesset et de soutenir Yahadout Hatorah. Pour cet homme déjà ministre à plusieurs reprises et qui a consacré sa vie à l’action publique, la décision n’a pas été facile à prendre.
Il nous explique les dessous de cet acte politique et moral et ses ambitions pour la suite.
Le P’tit Hebdo: Pourquoi avez-vous décidé de retirer votre liste de la course à la Knesset?
Elie Ishay: Depuis les élections précédentes, le seuil d’éligibilité est élevé. Alors qu’auparavant, il suffisait d’obtenir 2 mandats pour entrer à la Knesset, il en faut désormais 4. Compte-tenu de la situation de mon parti Yahad, le risque était grand que nous ne passions pas le seuil d’éligibilité et qu’ainsi nous fassions perdre des voix au bloc de droite. Il est vrai que la décision que j’ai prise est très rare dans le monde politique, mais en 30 ans de service auprès du public, j’ai toujours cherché à faire ce qui est bon pour le peuple d’Israël et pas pour moi. Le fait que je prenne le moindre risque pour le peuple me préoccupait. J’ai parlé de ce dilemme au gaon, le Rav Meïr Mazouz. Nous avons décidé de nous retirer.
Lph: N’est-ce pas pour ne pas revivre la mauvaise expérience des élections précédentes?
E.I.: En effet, ce fut une expérience malheureuse. Tous les sondages nous donnaient au-dessus du seuil d’éligibilité. Nous avions même déjà été sollicités pour entamer des négociations en vue d’entrer dans une coalition. Finalement, Netanyahou nous a pris un mandat et comme le taux de participation a été particulièrement élevé, il nous aurait fallu encore plus de voix pour passer le seuil d’éligibilité.
Cela étant, il n’y a pas de règle et un parti qui ne passe pas lors d’une élection n’est pas condamner à échouer à la suivante. La décision que j’ai prise était fonction des données du moment.
Lph: Pourquoi personne ne vous a-t-il intégré sur sa liste?
E.I.: Nous avons mené des négociations avec Habayit hayehoudi et Ihoud Leumi. C’était pour moi l’alliance la plus naturelle, la meilleure pour le peuple d’Israël. J’étais prêt à être à la 4e position. J’ai même accepté la 5e ou la 6e. Mais cette place était réservée à une femme. Finalement on m’a proposé la 9e place. Comment puis-je convaincre mes électeurs d’aller voter pour un parti où je suis en 9e position? Une telle alliance aurait été historique. C’est une perte dommageable.
Lph: Quel rôle a joué Binyamin Netanyahou?
E.I.: Il m’a proposé de négocier que j’ai la 8e place avec un poste de ministre. Il avait réussi à faire accepter l’idée au Rav Peretz et à Betsalel Smotrich. J’ai accepté d’en parler avec le Rav Mazouz qui m’a donné sa bénédiction. Le lendemain, Netanyahou m’appelle et me dit: je suis désolé, mais Arié Derhy a mis son veto. Il ne veut pas que tu sois nommé ministre. Netanyahou a peur de perdre le soutien de Derhy bien que ce dernier le lui ait assuré. En effet, il suffit de remonter au début des années 90 lorsque pendant la campagne, Arié Derhy promettait qu’il irait avec Shamir et finalement, il s’est allié avec Rabin après les élections.
Je n’éprouve aucune haine envers Derhy, je ressens même de la compassion pour un homme qui peut en arriver à ce point de haine. Je regrette d’être obligé d’en parler, je ne cherche pas à le défier. Ce n’est pas l’image de l’action politique que je veux donner aux citoyens.
En tout cas, nous sommes passés à côté d’un acte politique historique qui aurait été bénéfique au peuple d’Israël.
Lph: Vous avez annoncé votre soutien à Yahadout Hatorah. Pourquoi?
E.I.: Nous avons beaucoup réfléchi qui soutenir. Nous avons même mené des négociations avec les hommes de Derhy, qui a accepté seulement si le Rav Mazouz – et non moi – parlait avec eux. Il leur a proposé de faire la paix et que je revienne à Shass, pour que la droite et le monde de la Torah soient préservés. Arié Derhy s’y est opposé. Nous avons préféré aller avec un parti qui écoute les Rabbanim, qui va suivant l’avis de la Torah. Yahadout Hatorah s’est engagé à aller uniquement avec Netanyahou et à préserver l’intégrité d’Israël. C’est le choix qui nous a paru le plus juste pour préserver et la Torah et le bloc de droite. La décision a été difficile et montre, une fois de plus, la grandeur du Rav Mazouz qui va, d’abord, en fonction de sa vérité et de ses valeurs.
Lph: Qu’avez-vous reçu en échange?
E.I.: Je n’ai rien demandé, si ce n’est la préservation des institutions éducatives, du Kotel, du Shabbat, de toutes les valeurs que défend Yahad, ce qui est acquis. On m’a annoncé que si le parti obtenait suffisamment de mandats, alors peut-être que Netanyahou me nommerait ministre. Mais je n’ai rien demandé, ce n’est pas dans ce but que j’apporte mon soutien, mais bien pour préserver nos valeurs. Le Rav Ovadia Yossef votait pour Yahadout Hatorah avant qu’il ne crée Shass. C’est le seul parti qui garantit aujourd’hui la préservation de la Torah et de la droite.
Lph: Pensez-vous que Binyamin Netanyahou sera premier ministre?
E.I.: Je l’espère vraiment. Je pense qu’il est le mieux placé, avec l’aide de D’ieu. Le risque existe néanmoins. C’est la raison pour laquelle nous soutenons Yahadout Hatorah.
Lph: Vous espérez que Netanyahou s’en souviendra?
E.I.: Je crois qu’un homme politique ne doit pas fonctionner au donnant-donnant. Je n’ai jamais agi pour me venger de qui que ce soit, mon moteur c’est le bien du peuple d’Israël. Dans ce but, je souhaite investir tous mes efforts pour que Netanyahou soit premier ministre et non Gantz. Je connais Gantz et je pense que Netanyahou est bien meilleur, dans tous les domaines.
J’ai siégé au cabinet de sécurité assez longtemps pour savoir le rôle de chacun et à quel point les décisions qui y sont prises sont lourdes de conséquences. Moi-même, il m’est arrivé à plusieurs reprises de ne pas en dormir. Je prenais conseil auprès du Rav Ovadia et tout le monde était suspendu à son avis. Je me souviens pendant l’opération Homat Maguen, le Hezbollah avait commencé à nous attaquer au nord. En pleine réunion du cabinet, j’ai demandé une interruption pour demander l’avis du Rav. Tous l’attendaient et étaient soulagés de partir avec sa bénédiction. La plupart du temps, le Rav me disait d’agir selon mon opinion, mais j’avais besoin de sa bénédiction. Il est important de prendre conseil, ce que je continue à faire avec le Rav Mazouz.
Je sais que Netanyahou est le mieux à même pour prendre ces décisions qui engagent l’avenir de notre peuple.
Lph: Le retrait de votre liste signifie-t-il aussi votre propre retrait de la vie politique?
E.I.: Certainement pas. Je suis un homme qui vit pour servir le public. Dans les jours qui restent jusqu’aux élections, je vais aider Yahadout Hatorah.
Nous réfléchissons déjà avec nos militants, dont Mickaël Journo, un francophone, qui fait un travail remarquable, à la façon dont nous mènerons la prochaine campagne. Vu la constellation politique et juridique autour de Netanyahou, beaucoup d’analystes pensent que la prochaine échéance électorale sera d’ici un an et demi. Nous serons prêts pour porter haut le parti Yahad.
Lph: Pourquoi êtes-vous si proche de la communauté francophone?
E.I.: La communauté francophone est très particulière. Aucune autre communauté n’a témoigné autant de solidarité avec Israël. Je suis proche de Tsvi Amar, qui mène une action extraordinaire. En tant que ministre de l’Intérieur, j’ai agi pour qu’ils reçoivent le sal klita, le panier d’intégration. Ils aiment tellement le pays, ils viennent quelle que soit la situation en Israël. Je veux agir pour eux, parce qu’ils apportent beaucoup à l’Etat d’Israël.
Lph: Que pensent votre épouse et votre famille de cet engagement politique ?
E.I.: J’étais dans l’action publique déjà avant de me marier. Il est vrai que depuis plus de 30 ans, je suis peu présent à la maison. Je me souviens mon épouse qui me demandait pourquoi j’allais à tous les mariages auxquels j’étais invité lorsque j’étais ministre. Je lui répondais que la joie que procure aux mariés, la présence d’un ministre était un hessed que je ne pouvais pas refuser.
A la suite de mon échec aux élections précédentes, j’ai eu une discussion avec ma fille. Elle m’a avoué que c’était la première fois qu’elle avait vraiment le sentiment de discuter avec moi, que je n’avais pas la tête ailleurs. Elle en a ri, mais cela m’a touché profondément. Mon épouse et mes enfants préfèreraient certainement que j’arrête la politique, mais ils savent que c’est en moi, que je vis pour servir le peuple d’Israël. Ils sont derrière moi.
Propos recueillis par Avraham Azoulay