Alors que beaucoup d’entre nous avaient les yeux rivés sur l’Hexagone et son élection présidentielle étonnante, se jouait ici un autre style d’élections. En effet, le chef du parti Habayit Hayehoudi, se soumettait aux suffrages des membres de son parti pour être reconduit à sa tête. En face de lui, deux candidats: Yonathan Baransky et le Rav Itshak Zaga, deux hommes beaucoup moins médiatisés jusqu’à ces élections. Ils prétendaient représenter les oubliés de Bennett, ceux qui ne se reconnaissaient plus dans ce sionisme religieux porté par leur parti.
Au final, le candidat sortant, le ministre Naftali Bennett, a emporté cette primaire haut la main avec 80% des voix contre 12% pour Baransky et 7,5% pour le Rav Zaga.
Cette élection a attiré notre attention. En effet, aurait-elle mis en exergue les différents visages du sionisme religieux? Même si Bennett est le grand vainqueur, il convient de noter que près de 50% des encartés n’ont pas pris la peine d’aller voter et que bien que perdants, les deux candidats en lice contre le chef du parti ont montré qu’une contradiction existait au sein du parti particulièrement et du sionisme religieux en particulier.
Nous nous sommes entretenus avec une figure historique du sionisme religieux, le Rav Itshak Levy. Chef du Mafdal – l’ancêtre de Habayit Hayehoudi – dans les années 1980, le Rav Itshak Levy a occupé plusieurs fonctions ministérielles. Il a, par ailleurs, laqué la porte du gouvernement à deux reprises: en 1999 pour marquer son opposition aux discussions engagées par Ehoud Barak à Camp David et en 2004 contre le désengagement de Gaza. Il finira sa carrière politique en 2008 sur les bancs des députés du Ihoud Leumi.
Aujourd’hui, bien qu’en retrait de la vie politique, sa voix est encore très écoutée.
Le P’tit Hebdo: Quelle est votre définition du sionisme religieux?
Rav Itshak Levy: Le sionisme religieux est une idéologie qui place en son centre la foi en D’ieu et en la Torah. Elle voit dans notre Etat les prémices de la Délivrance finale qui commence avec le rassemblement des exilés pour aboutir au Beth Hamikdash avec le Mashia’h.
Celui qui a défini cette idéologie n’est autre que le Rav Kook, zatsal. Il nous a appris comment l’approfondir et en faire un mouvement réel.
Lph: Cette définition a-t-elle évolué dans le temps?
Rav I.L.: Elle est la même depuis toujours même s’il existe, bien entendu, des nuances au sein du sionisme religieux.
Lph: Parmi ces nuances, la place que l’on accorde aux Rabbanim. Certains pensent que le sionisme religieux ne les consulte pas assez ou du moins ne se sent pas engagé par leur parole. Quelle est votre position?
Rav I.L.: Le rapport aux Rabbanim est effectivement sujet à discussion au sein du sionisme religieux. Cela tient d’abord au fait que dans ce mouvement, contrairement au monde haredi ou hassidique, il n’y pas qu’une seule autorité reconnue. Notre monde comprend beaucoup de Rabbanim et aucun ne prédominent sur les autres. Chacun se fait son Rav et décide du rôle qu’il doit jouer dans ses décisions. Il en va de même pour la direction du parti. Il n’existe pas de ligne précise quant à la place que l’on doit accorder aux paroles de nos Rabbanim, plusieurs opinions sont présentes. Les Rabbanim sont des chefs spirituels, il convient tout à fait qu’ils expriment leurs opinions politiques comme tout le monde. Que l’on décide de les suivre ou pas, cela ne porte pas atteinte au caractère religieux du parti.
Lph: Vous avez évoqué le lien à la foi, à la Torah. Qu’en est-il du lien à la terre? Il apparait comme un facteur déterminant du sionisme religieux. Vous-même avez quitté les gouvernements qui vous paraissaient être menaçants pour l’intégrité territoriale de notre Etat. Le sionisme religieux aujourd’hui est-il assez fort politiquement sur l’affirmation de ce lien?
Rav I.L.: Aujourd’hui et depuis le début de son existence politique, le sionisme religieux a fait tout ce qui était en son pouvoir pour préserver la terre d’Israël. Personnellement, j’avais ma ligne de conduite. Ceci dit, je ne pense pas qu’il faille sortir du gouvernement en raison du retrait d’un petit point d’implantation. On ne doit pas quitter la coalition pour chaque désaccord. La majorité du sionisme religieux est d’accord avec cette affirmation. Et c’est d’autant plus vrai que l’influence que le sionisme religieux possède dépend fortement de son poids en termes de mandats et de l’importance de l’atteinte territoriale dont il est question. Le parti actuel donne vraiment le maximum.
Lph: Vous semblez dire que Habayit Hayehoudi est dans l’exacte continuité de ce qu’était le Mafdal, que le sionisme religieux demeure globalement le même. Pourtant, certains croient voir dans la façon dont le parti est dirigé, une tentation de créer un ”Likoud bis”, par une ouverture vers le monde laïc. Quel est votre regard sur cette évolution?
Rav I.L.: Bien qu’en retrait de la vie politique aujourd’hui, je suis en contact direct et régulier avec les cadres du parti, et en particulier Naftali Bennett. Je n’entends pas ce que vous décrivez. Il n’y a aucune opposition à avoir avec les laïcs, du moment qu’ils s’identifient à notre cause. Je n’ai pas non plus le sentiment, que des appels plus importants sont faits en direction du monde laïc. A un moment donné, il a été question de donner plus de pouvoir au chef du parti par un changement de son traité fondateur. Finalement, cela n’a pas été le cas. Bennett n’a plus autant de places réservées sur la liste et donc aucune révolution n’est en marche. Les laïcs ne font pas partie, à proprement parler du sionisme religieux, mais nous devons travailler avec ceux qui partagent nos idées sur le plan politique et qui se retrouvent dans nos valeurs.
Lph: Nombreux sont les olim de France qui se sentent proches du sionisme religieux. Sont-ils un de ses visages?
Rav I.L.: Je connais bien l’alya française puisque je vis à Kfar Maïmon où se trouve un lycée français notamment. Il est vrai que l’alya française est en majorité sioniste religieuse. Mais à mon grand regret, elle ne se fait pas suffisamment remarquer. Elle n’influence pas assez au sein de ce mouvement. Nous y perdons beaucoup parce que les olim de France ont beaucoup de qualités à mettre au service de notre cause. Je souhaiterais tellement qu’ils s’investissent davantage, ne serait-ce que sur le plan local.
Lph: Aujourd’hui, le parti sioniste religieux, Habayit Hayehoudi, possède 8 mandats, c’est le double de ce que faisait le Mafdal, mais moins que dans la précédente Knesset. Quel est selon vous le vrai potentiel électoral du sionisme religieux?
Rav I.L.: Potentiellement, nous pouvons avoir deux fois plus de mandats. Pour cela, nous devons continuer à travailler dur et présenter une bonne liste aux prochaines élections. Cette liste devra représenter toutes les nuances du public sioniste religieux et donc obligatoirement poursuivre sa collaboration avec le Ihoud Leumi d’Ouri Ariel. Nous formons deux parties d’un même ensemble, nous devons être indissociables, il en va de notre avenir politique. Enfin, pour parvenir à ce résultat, nos prières sont importantes aussi.
Lph: Au soir de sa victoire aux primaires pour la tête du parti, Naftali Bennett a annoncé son intention d’être le parti qui dirigerait le gouvernement. Est-ce réaliste?
Rav I.L.: Je ne pense pas que cela soit réaliste pour les prochaines élections. Nous devons encore grandir. Nous avons déjà un bon niveau d’influence avec notre force actuelle, poursuivons sur notre voie, les espoirs sont permis et réels.
Propos recueillis par Guitel Ben-Ishay
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