L’été s’annonce, et avec lui les vacances tant attendues. Avant de nous allonger sur la plage ou de faire la queue au guichet d’El Al pour un séjour « en dehors du pays » ne pourrions-nous pas consacrer un temps à la réflexion ? Accordez-moi qu’il s’agit d’une proposition qui ne demande pas de faire un emprunt à la banque…tout au plus un léger investissement de temps…Faut-il attendre les fêtes de Tichri pour nous demander où nous en sommes dans notre vie ? Vaste question, qui nous laisse désemparés. Question que nous sommes tentés de fuir, tant dans nos préoccupations quotidiennes que dans nos activités ou non-activités estivales.
Le philosophe Blaise Pascal (1620-1662) remarque dans ses Pensées (par. 172) :
« Que chacun examine ses pensées, il les trouvera toujours occupées au passé et à l’avenir…Le présent n’est jamais notre fin : le passé et le présent sont nos moyens ; le seul avenir est notre fin. Ainsi nous ne vivons jamais, mais nous espérons de vivre ; et, nous disposant toujours à être heureux, il est inévitable que nous ne le soyons jamais ». Remarque judicieuse, d’autant plus que nous vivons dans un temps accéléré. A peine s’engage-t-on dans une carrière que l’on se soucie de la retraite et les journaux ne cessent d’interroger l’avenir. Il est beaucoup question de la fin des temps, et contrairement à ce qu’enseignait Rambam à la fin de son Michné-Torah, on nous annonce urbi et orbi que la Délivrance est imminente. Le présent, avec ses multiples obligations et ses problèmes apparemment insolubles, parait bien moins intéressant. A cela on peut objecter que nous vivons plus que jamais dans l’instant. A tout moment le What’s app nous sollicite et le courrier électronique exige réponse immédiate. Mais si nous vivons au présent et sommes branchés sur l’info en « temps réel », sommes-nous vraiment présents, à nous-mêmes, à nos proches, à autrui, pour ne pas parler du Tout-Autre ? Ou bien, possibilité inquiétante, notre attention captée par de multiples appels n’est-elle pas une perpétuelle fuite en avant semblable à celle de Jonas ? Souvenons-nous que le prophète avait entendu un appel divin qui exigeait son intervention pour le salut physique et moral de la ville pècheresse de Ninive. Jonas décida alors que le moment était venu de prendre des vacances et une fois embarqué, il s’endormit d’un profond sommeil. Pourquoi, après tout, devait-il se soucier du sort d’idolâtres qui n’avaient surement pas de sympathie envers Israël ? Il se porta donc aux abonnés absents. Or que signifie être présent ? Est-ce vivre dans l’instant, mais comme un élève dont l’attention est ailleurs, ou être disponible à l’appel d’autrui ?
Cet appel ne cesse de se faire entendre, c’est l’appel du mendiant qui sonne à votre porte lorsque vous êtes sur le point de vous endormir, c’est l’appel de tous ceux que la vie a laissés au bord de la route, des sans-papiers et sans abri que le Créateur a confiés à notre garde et assistance. Dans notre beau monde hyper performant, l’Etat se décharge de ses obligations et laisse aux âmes charitables le soin des plus démunis. Plutôt que de répondre présent et d’assumer ses responsabilités, il déverse les indésirables sur la place publique, de préférence dans les quartiers défavorisés, et s’accorde un congé généreusement payé.
Mais en quoi sommes-nous meilleurs que cet Etat jonassien ? Nous nous soucions de nous-mêmes, de notre bien-être et du menu gastronomique proposé par l’agence touristique, sans oublier le label de cacherout. Mais sommes-nous présents à nous-mêmes, à autrui, au Créateur qui requiert notre présence « aujourd’hui », « hayom », comme le disent de multiples versets ?
Souvenons-nous cet été de la triple question de Hillel :
Si je ne réponds pas de moi, qui répondra de moi ?
Mais si je ne réponds que de moi, suis-je encore moi ?
Et si je ne réponds pas maintenant, quand répondrai-je ?
(Traduction d’E. Levinas)
Ni D.ieu ni les sans-toits ne partent en vacances, ni non plus les problèmes qui nous rattraperont à la rentrée…Alors pourquoi ne pas répondre présent, « hineni », dès à présent ?
Rav Daniel Epstein