A quelques jours de Yom Kippour et au lendemain d’une campagne électorale qui a semblé diviser notre peuple, LPH s’est entretenu avec une figure légendaire de la politique israélienne: le Rav Itshak Lévy. Prônant l’union dans le peuple, cet ancien homme politique, a marqué l’histoire de la Knesset et du sionisme religieux en particulier.
ELEMENTS BIOGRAPHIQUES |
Arrivé du Maroc à l’âge de 10 ans, la vie du Rav Itshak Lévy aura toujours été tournée vers l’action en faveur du peuple et de l’Etat d’Israël. Son père, Daniel, était déjà engagé, puisqu’il a été député du Mafdal (ancêtre du Bayit Hayehoudi) entre 1965 et 1974. |
Le Rav Itshak Lévy, élu député du Mafdal pour la première fois en 1986, succèdera au légendaire Zevouloun Hammer, z”l, à la tête du Mafdal en 1998. A partir de 1996, il occupera de nombreuses fonctions ministérielles : ministre des transports, de l’énergie, de l’éducation, des cultes, de la culture, du logement, du tourisme. Il est un des cadres incontournables de la politique israélienne pendant 22 ans. |
Sa carrière sera marquée aussi par son opposition farouche aux discussions de Camp David, lorsqu’en signe de protestation, il démissionnera du gouvernement d’Ehoud Barak. Par la suite, il démissionnera de son poste de ministre d’Ariel Sharon pour protester face au plan de désengagement de Gaza, puis quittera le Mafdal, en février 2005, en désaccord avec la décision du parti de ne pas quitter la coalition responsable de ce retrait. Accompagné d’Effi Eitam, ils créent le parti A’hi, qui rejoint le Ihoud Leumi. Le Rav Itshak Lévy restera membre de cette formation jusqu’à son retrait de la vie politique en 2008. |
Sur le plan personnel, le Rav Itshak Lévy a été touché par un drame, celui de la perte d’une de ses filles, Ayelet Hasha’har, H’yd, dans un attentat à la voiture piégée près du Marché Ma’hané Yehouda en 2000. |
Lorsqu’il quitte la vie politique, il souhaite s’investir dans l’éducation à Hemdat Hadarom. Pour cet habitant de Kfar Maïmon, de longue date, il était naturel d’aller offrir ses services à la mi’hlala de sa région. Mais il essuie un refus de la direction, en raison de son manque de diplômes universitaires, et ce, même s’il était un ancien ministre de l’éducation ! |
Il passe alors une licence à Hemdat Hadarom puis une maitrise à l’université de Bar Ilan et commence à enseigner. Depuis trois ans, maintenant, il est le président de la mi’hlala de Hemdat Hadarom. |
Le P’tit Hebdo: Quel est aujourd’hui votre rôle politique? Vient-on vous consulter?
Rav Itshak Lévy: J’ai définitivement quitté la politique et cela ne me manque pas, à vrai dire. Je ne me reconnais aucune influence directe sur les évolutions politiques du pays. Cela arrive, en effet, que des personnages politiques actuels me consultent, surtout dans le monde sioniste religieux. Naftali Bennett m’avait appelé avant d’annoncer son départ d’Habayit Hayehoudi, par exemple.
Lph: Qu’avez-vous pensé de la démarche de Bennett et Shaked? Etait-elle justifiée?
Rav I.L.: Elle était peut-être justifiée mais elle a été concrétisée d’une mauvaise manière. Ils ont quitté le parti subitement, à quelques semaines des élections. Ils ont laissé un parti dans une situation difficile et il a fallu reconstruire la maison qu’ils avaient détruite. J’ai pris une part active dans cette reconstruction.
Pour Bennett et Shaked, Habayit Hayehoudi n’a pas été une maison assez large, capable de réaliser leurs ambitions. Ils ont fait leur choix et n’ont pas réussi leur pari.
Lph: Aujourd’hui, Hayamin Ha’hadash est à la Knesset et ils ont annoncé qu’ils se séparaient de Habayit Hayehoudi.
Rav I.L.: Je ne crois pas qu’ils se sépareront. Ils n’y ont pas intérêt. Hayamin Ha’hadash représente aujourd’hui seulement trois mandats. On ne fait rien avec cela.
Lph: D’après vous Naftali Bennett et Ayelet Shaked ont-ils un avenir politique?
Rav I.L.: Ils ont clairement perdu de leur aura politique et publique, ces derniers mois. Mais tout dépendra de la façon dont se déroulera la succession de Netanyahou au Likoud et de ce qu’il adviendra de ce parti après le départ du chef actuel.
Lph: Comment jugez-vous la situation du sionisme religieux aujourd’hui?
Rav I.L.: Lors de ces dernières élections, le sionisme religieux était représenté dans 6 partis! Nous avons une force qui représente environ 15 mandats et nous n’en obtenons que 7. Il ne fait aucun doute que si nous réussissions à nous unir – comme cela a été le cas lors des élections de 2013 où Habayit Hayehoudi avait obtenu 12 mandats – alors nous serions plus forts. Prenons exemple sur Yahadout Hatorah, composée de plusieurs tendances du judaïsme orthodoxe et qui, à chaque élection, savent se rassembler. J’ai du mal à comprendre comment les leaders du sionisme religieux ne sont pas conscients du fait que ces divisions entrainent une perte de mandats et nous condamnent à être un petit parti.
Lph: Finalement, ces élections n’ont-elles pas montré que les petits partis n’avaient plus lieu d’être et qu’il valait mieux se regrouper sous une grande bannière comme celle du Likoud?
Rav I.L.: L’idéologie sioniste religieuse n’est pas assez marquée dans d’autres partis. Le Likoud est un grand parti mais il n’a pas une ligne claire sur les relations entre la religion et l’Etat. C’est ce point, précisément, qui caractérise le sionisme religieux et le différencie, ce qui justifie l’existence d’un parti.
Lph: Mais peut-être que les partis religieux effraient ceux qui sont traditionnalistes, lorsque, par exemple, on entend des discours qui parlent de ”medinat hala’ha”?
Rav I.L.: Cette expression ”medinat hala’ha” a été montée en épingle par la presse et les partis anti-religieux. Tout est parti d’un discours que Betsalel Smotrich a prononcé, dans une yeshiva. Il n’a jamais dit qu’il comptait installer une théocratie en Israël et tant mieux, parce que notre démocratie est très importante.
Ceux qui connaissent les sionistes religieux savent qu’ils n’ont rien à craindre. Nous sommes dans tous les domaines de la vie économique, sociale et culturelle et nous savons collaborer avec tout le monde en bon entendement. Tout le monde le sait. Ce que l’on a entendu n’était que de la propagande électorale.
Lph: Etes-vous favorable à la formation d’un gouvernement d’union nationale?
Rav I.L.: Je suis pour, c’est ce que les électeurs ont signifié. C’est assez difficile, mais je pense que nos politiques y arriveront.
Pour ma part, j’aurais agi un peu différemment. Je pense qu’il faut prolonger le gouvernement de transition jusqu’à ce que le procureur Mandelblit rende ses conclusions quant au sort de Netanyahou. Les auditions du premier ministre doivent avoir le lieu le 2 octobre. Attendons de conclure avec cette question qui est critique pour la formation d’un gouvernement. La constitution du gouvernement, pour l’heure, va demander des compromis douloureux et les cartes risquent d’être rebattues finalement. C’est une question de quelques semaines à patienter. Nous devons d’abord en finir avec cette histoire qui empêche vraiment d’avancer et de former un gouvernement stable.
Lph: Cette campagne électorale a donné l’impression que deux peuples juifs vivaient dans un seul Etat. Partagez-vous cette sensation ?
Rav Itshak Lévy : Mon impression est que le peuple reste uni. Les gens rejettent la division, chacun doit être ami avec son voisin, malgré les divergences. Vous savez, les différences ont toujours existé, cela ne nous a pas empêché de poursuivre la construction de notre pays.
Les politiciens peuvent s’entendre malgré toutes les paroles prononcées pendant la campagne. Cela s’est déjà vu. Il faut, certes, faire un effort, effacer des mots qui n’auraient pas dû être dits. Les leaders portent une responsabilité pour l’union de l’Etat.
Lph: Vous pensez vraiment cela possible quand certains préfèrent s’entendre avec les Arabes plutôt qu’avec les religieux ou avec notre premier ministre?
Rav I.L. : La situation actuelle n’est pas facile, la responsabilité n’en est que plus forte. Mais on ne peut pas se permettre de ne pas s’unir. Nos ennemis attendent de voir que notre Etat s’affaiblisse. La désunion est un signe de faiblesse. Nous avons besoin de cette union pour construire notre pays.
Les élections ont été rudes, mais je ne crois pas que le peuple soit scindé. Il est sain et intelligent. Il sait qu’il faut être ensemble et aller vers l’autre. On le voit dans les actes de charité et de bénévolat au quotidien.
Lph: Alors est-ce vrai que la politique n’est pas faite pour les gens biens, parce qu’il faut savoir tromper?
Rav I.L.: Je ne crois pas que ce soit vrai. Beaucoup de très bonnes personnes ont été et sont en politique. La campagne a été très difficile, il faut maintenant multiplier l’amour de son prochain.
Lph: Rav Itshak Lévy, une question plus personnelle, si vous le permettez. Comment surmontez-vous depuis près de 20 ans, l’assassinat de votre fille, Ayelet Hasha’har, H’yd?
Rav I.L.: La douleur est toujours là mais la consolation aussi. Notre fille, lorsqu’elle a été assassinée, avait une fille de 3 ans. Aujourd’hui, elle est mariée et elle-même maman d’un petit garçon. Lorsque je vois mon arrière-petit-fils, je me dis que ma fille serait grand-mère et que la continuité est assurée.
Lph: D’où vous vient cet optimisme?
Rav I.L.: L’amour et la foi dans mon peuple ont toujours guidé mes pas. C’est dans mon éducation et ma nature. L’histoire juive nous montre que la division nous a toujours mené à l’exil, donc nous devons agir en conséquence. Le Rav Kook enseignait que notre mission était d’augmenter la lumière. C’est ce que nous demande la Torah: ”Ya’had Shivté Israël” (Ensemble, les Tribus d’Israël).
Shana tova!
Photo à la une by Orel Cohen/FLASH90
Propos recueillis par Avraham Azoulay