Après l’électrochoc du vendredi 13 novembre, après la douleur ; après le deuil national, la France comprend peu à peu que rien ne sera plus comme avant, que quelque chose s’est brisé dans le « naturel » français. Dans son discours à la Nation devant le Congrès réuni à Versailles, François Hollande a pris la dimension du drame et tenté d’avancer des réponses susceptibles de rassurer les Français. Comme un leitmotiv, le président de la République a martelé avec conviction le même message : « La France est en guerre et elle la gagnera ». Pourtant l’expérience et une certaine mentalité française, ont prouvé que ce défi aura bien du mal à être relevé par les dirigeants français. Analyse.
Devant l’Assemblée nationale et le Sénat exceptionnellement réunis en Congrès, lundi à Versailles à la fin des trois journées de deuil, consécutives aux terribles attentats du vendredi 13, François Hollande a prononcé un discours de détermination, de mobilisation, d’émotion aussi et de rassemblement unitaire, mais aussi un discours qui masque une réalité plus problématique. Sur le plan international, le président a indiqué qu’il allait rencontrer sous peu Barack Obama et Vladimir Poutine pour coordonner leurs positions en vue de frapper plus douloureusement les forces de Daech, en Syrie, en Irak et si nécessaire en Libye. Le président comprend que la France ne viendra pas à bout de l’État islamique seule et qu’il a besoin, pour espérer le vaincre, du soutien actif des américains et des Russes, mais aussi la caution du Conseil de Sécurité des Nations unies. Toutefois, l’une des conclusions majeures du sommet du G20 d’Antalya (Turquie) auquel Hollande, par la force des choses n’a pas pu participer, c’est le rapprochement entre Obama et Poutine sur un point capital et précis : la nécessité pour frapper un coup fatal à Daech, de maintenir, même provisoirement au pouvoir le principal responsable du massacre du peuple syrien, le président Bashar El Assad. Pour tenter d’abattre Daech, Hollande va donc pactiser avec le diable. Et il n’est pas impossible que la fin justifiant tous les moyens, il amorce aussi une alliance avec Hassan Rohani, qu’il devait accueillir en grandes pompes à Paris cette semaine, s’il n’y avait pas eu les attentats. En d’autres termes, pour combattre le terrorisme le plus abject, Hollande risque de devoir s’allier à d’autres maestros du terrorisme d’État. Problématique, n’est-ce pas ?
En dehors de cela, Hollande a soigneusement évité de parler de l’option d’une offensive terrestre des forces françaises. Et ce, alors que tous les experts militaires affirment qu’il faudra tôt ou tard s’y résoudre. Pourquoi ? Probablement parce que même si le président veut la guerre, il n’est toujours pas prêt à la faire jusqu’au bout. Problématique également.
Toujours dans son discours, Hollande a indiqué que la menace de Daech n’était pas seulement extérieure, mais qu’elle était surtout interne au cœur même du territoire français. Pour lutter efficacement contre les cellules terroristes plus ou moins dormantes qui se sont implantées en France, François Hollande a annoncé la prolongation de l’état d’urgence de trois mois, une mesure quasiment sans précédent dans la Ve République. En effet, la seule fois où un tel régime a été appliqué, c’était en 1961, au plus fort de la guerre d’Algérie, après le putsch des généraux contre De Gaulle. Mais pour Hollande, ce n’est pas tout : la prolongation de cet état d’urgence doit être accompagné d’une réforme exceptionnelle, elle aussi de la Constitution. L’objectif d’une telle mesure est de permettre aux forces de sécurité de perquisitionner sans entrave de la justice au domicile des suspects d’activité terroriste ; de mettre ces derniers sur écoutes téléphoniques, de réviser le droit d’asile, de maintenir fermées les frontières du pays et le cas échéant, si la culpabilité est prouvée, et si le suspect à une double nationalité de le déchoir de sa nationalité française. Pour les autorités françaises, le défi majeur sera ici de trouver l’équilibre – c’est le mot-clé – entre les impératifs sécuritaires de lutte contre Daech et le respect des droits de l’Homme et du citoyen. Un défi que les dirigeants israéliens connaissent parfaitement bien et qu’ils tentent de relever au quotidien depuis que le terrorisme palestinien a appris à manipuler à son avantage, les règles avantageuses et libérales de l’État de Droit. Rappelons, au passage qu’il y a moins d’un mois, certaines européens, peut-être même des Français avaient vivement protesté lorsque Byniamin Nétanyaou avait envisagé de déchoir de leur nationalité israélienne (partielle) les habitants du camp palestinien de Chouafat, devenu le repère de terroristes au couteau. Sur ce point, Hollande aura fort à faire et s’il veut réellement obtenir des résultats tangibles, il devra trancher entre la politique ferme menée par Manuel Valls et Bernard Cazeneuve qui arrêtent les suspects, et l’approche plus conciliante du garde des Sceaux Christiane Taubira, qui a la fâcheuse tendance de les libérer. Mais ce qui est le plus étrange, certains diront le plus choquant, c’est le réveil tardif des dirigeants français. Pourquoi avoir attendu qu’il y ait 130 tués à Paris pour instaurer cet état d’urgence. Pourquoi ne l’avoir pas décrété, début janvier, au lendemain des attentats contre Charlie Hebdo et l’Hypercasher de Vincennes. Pourquoi les enquêteurs ont procédé en début de semaine à près de 170 perquisitions soit autant qu’ils en ont réalisées depuis le 11 janvier dernier !! Est-ce une question macabre de nombre de victimes ? Ou peut-être, et ce serait terrible, serait-ce parce que les journalistes de Charlie étaient ciblés parce que caricaturistes ayant « offensé » Mahomet. Serait-ce parce que finalement, en tant que Juifs les clients de l’Hypercasher appartenaient à une population « à risques » ? Problématique, n’est-ce pas ?
Enfin dans son allocution, François Hollande a parlé des Français comme d’un peuple ardant vaillant et courageux. Disons pour être plus précis qu’il y a eu dans l’histoire de la France des Français vaillants et courageux, ceux de la Résistance qui ont combattu la bête nazie, ceux qui ont caché des enfants et des familles devenant pour l’Eternité des Justes des Nations. Mais il y a également eu des Français collabos, des pétainistes qui ont opprimé les Juifs durant la Shoah même lorsque les Allemands n’étaient pas derrière eux. Il y a eu la France de Guy Mollet et Mendès France qui a aidé Israël à se doter de l’arme nucléaire et la France de De Gaulle qui a abandonné Israël au pire des carrefours de son histoire. Il ne faut pas l’oublier, mais il ne faut pas également s’y attarder. Car la problématique aujourd’hui est ailleurs. Hollande répète que la France est en guerre et qu’elle gagnera cette guerre. Peut-être. Il faut l’espérer. Mais le fait est que pour gagner des guerres comme celle qui s’est invitée en France, il faut d’abord un véritable leader charismatique, imposant, capable de dynamiser son peuple, de lui présenter la réalité en face, de lui expliquer que les prochaines années seront dures. Il faut un homme de l’envergure de Churchill, capable d’appeler à l’union nationale contre l’ennemi, capable de nommer l’ennemi de son nom sans tergiverser. Est-ce qu’Hollande, jusque là si impopulaire, si penaud, répond à ce critère. On peut en douter. Preuve en est : à peine les trois jours de deuil passés, la droite républicaine s’est empressée de critiquer certaines des mesures qu’elle aurait probablement prises elle-aussi dans de telles circonstances.
Et enfin une ultime question : est-ce que la nation française peut gagner une guerre, alors que depuis la fin de la Shoah et plus précisément depuis la fin de la guerre d’Algérie, elle a tout fait pour bannir de son vocabulaire le mot « guerre ». Peut-on comprendre qu’aujourd’hui, la guerre est la seule option après que pendant des décennies, on l’a considérée comme tabou. Peut-on persuader les élites intellectuelles de ce pays « éclairé », celles des médias si prompts à critiquer par exemple les « va-t-en guerre » israéliens, de tolérer en silence sans les considérer comme « disproportionnées » les mesures d’exception annoncées par Hollande ? Difficile à imaginer. Problématique, avons-nous dit ? Voilà celles qui en dépit de la meilleure volonté, risque d’entraver la marche de François Hollande vers la victoire sur les terroristes de Daech .
Daniel Haïk pour Hamodia