Je peux vous enregistrer?
Cela fait déjà quelques années qu’avant presque chacun des cours ou des conférences qu’il m’arrive de donner ici ou là, quelqu’un m’aborde pour me poser gentiment la question.
J’accepte systématiquement. D’abord parce que savoir que dans un coin reculé de la Terre Sainte ou de l’Hexagone, quelqu’un voudra peut être un jour écouter mes modestes leçons, ne laisse pas mon ego indifférent et j’ai déjà pu constater que j’aimais bien lui faire plaisir. Et puis, parce que notre principal objectif reste bien la diffusion la plus large possible de la Thora, non ? Or, depuis que n’importe quel adolescent possède sa caméra incorporée à son iPhone et surtout depuis l’incroyable développement des réseaux sociaux, la diffusion des cours à des centaines, voire des milliers d’auditeurs, est devenue à la portée du premier clic.
Et pourtant, je dois vous avouer que ces derniers temps, j’hésite à répondre favorablement à la requête du cameraman amateur. Non point que je craigne d’être filmé sous mon mauvais profil (quoique…), mais parce que l’actualité démontre chaque jour quel usage malveillant on peut faire de ces images auxquelles nous nous prêtons en toute confiance. Il suffit de constater qu’il n’est pratiquement plus possible de briguer un poste important dans la fonction publique sans que quelqu’un ne ressorte une phrase prononcée il y a 15 ans dans un contexte particulier, alerte les réseaux sociaux, obligeant ainsi le prétendant au poste à retirer sa candidature, le temps d’éclaircir l’affaire et de s’expliquer. Assez longtemps en tout cas pour que le poste soit déjà pourvu au moment où votre innocence aura été prouvée !
Rassurez-vous: je n’éprouve aucune velléité à briguer dans un avenir proche un poste politique. Même lorsqu’il est surdimensionné, mon ego ne va pas jamais jusque-là. Mais la légèreté avec laquelle on peut aujourd’hui détruire la réputation d’un homme ou de son institution commence à m’effrayer.
« Légère » retouche
Considérez l’exemple suivant: un rabbin est interrogé sur le passage de la “yeffat toar” (Devarim 21, 10 à 15). La Thora autorise en tant de guerre le soldat hébreu, ébloui par la beauté d’une jeune fille rencontrée en territoire ennemi, à la ramener chez lui et à l’épouser un mois plus tard. A condition toutefois de lui interdire en attendant d’entretenir sa beauté. S’il tient toujours ensuite à l’épouser, qu’il le fasse. Sinon, qu’il la libère.
Le texte est choquant pour un esprit moderne. Comment peut-on autoriser un soldat à épouser une captive sans son consentement? Notre rabbin sait qu’il n’aura pas beaucoup de mal à répondre à l’accusation. Au contraire, dira-t-il: la Thora lutte ici contre l’une des coutumes guerrières qui fut longtemps appliquée par tous les soldats du monde: le viol des femmes ennemies vaincues. Les atrocités de la guerre tendent à libérer le soldat des scrupules moraux qui d’habitude l’habitent. Il trouve donc facilement des justifications à assouvir ses instincts les plus bas. Un proche de cette jeune fille, se convainc-t-il aisément, a sûrement tué un de mes amis au combat. Il est normal qu’elle paie pour lui. Et ainsi la guerre se transforme en véritable zone libre, libre de toute entrave morale, de toute retenue.
Connaissant la nature de l’homme, son hypocrisie et sa faiblesse, la Thora sait qu’interdire purement et simplement au soldat de s’approcher de la jeune fille ne servira à rien. Elle décide donc de l’aider à vaincre son penchant criminel. Le but recherché par les conditions qu’elle lui impose avant de pouvoir épouser sa captive est précisément de lui faire renoncer à son projet. La passion qui l’avait envahi dans le feu des combats sera retombée et, ayant enfin retrouvé ses scrupules moraux, il libèrera la jeune fille. C’est ainsi qu’explique le Talmud (Kidouchin 21,b) et, après lui, l’ensemble de nos commentateurs (voir en particulier Rachi sur les versets 11 et 12).
Imaginez maintenant que cette réponse du rabbin soit enregistrée, ou qu’il l’ait écrite en réponse à une question posée sur Internet et que la tournure d’une des phrases qu’il a employée soit maladroite. Il n’en faut pas plus pour que, des années plus tard, la veille de sa nomination à un poste important, la phrase, retirée de son contexte et retouchée “légèrement” pour l’occasion, fasse la une de certains journaux et compromettent ainsi sa nomination.
La mésaventure du Rav Karim
En fait, n’imaginez rien. C’est exactement ce qui vient d’arriver au Rav Karim, officier de commando dans la prestigieuse “sayeret matkal”, qui aurait dû être nommé il y a quelques jours au poste de Grand Rabbin de Tsahal. Yediot Aharonot a trouvé judicieux de titrer sur toute la largeur de sa une: “Pour le nouveau Grand Rabbin de Tsahal, le viol est autorisé en temps de guerre”, et en sous-titre: “D’après lui, les soldats ont le droit de coucher avec de belles non-juives contre leur gré”!
Les députées Meretz qui ne ratent jamais l’occasion de tirer sur tout ce qui porte barbe et kippa ont même porté plainte devant la Cour suprême, qui a ordonné de suspendre la nomination.
La première leçon de l’histoire est qu’il est grand temps que nos rabbins prennent conscience que, de nos jours, chaque mot, chaque tournure de phrase, doit être pesée et repesée avant d’être publiée. Les énormités prononcées par certains d’entre eux que l’on découvre parfois sur YouTube ont de quoi alimenter les sites antisémites les plus virulents pendant des semaines (et ils ne s’en privent pas)!
La seconde est qu’il devient urgent de punir très durement les journalistes et les politiciens qui, sans vergogne, se permettent de diffamer sans risque tous ceux qu’ils ont dans le collimateur!
Arrêtez-moi si je dis des bêtises….