Le moins que l’on puisse dire c’est que l’actualité va vite en Israël, très vite… LPH a souhaité revenir sur l’un des sujets brûlants de ces dernières semaines: la parole des militaires. A la suite de certaines déclarations du Chef d’Etat-major, Gadi Eizencott, et de son second, Yaïr Golan, le public israélien a commencé à s’interroger sur le droit et/ou le devoir de ces cadres militaires de s’exprimer sur tout, partout. Le débat a traversé les sphères politiques et médiatiques.
Nous sommes allés interroger plusieurs personnalités, anciens officiers et hauts responsables de l’appareil sécuritaire israélien. Voici leur point de vue sur cette question, typiquement israélienne!
Colonel de réserve. Ancien porte-parole de l’armée
Le P’tit Hebdo: Un officier de l’armée est-il tenu à un devoir de réserve?
Olivier Rafowicz: Un officier a le droit de dire ce qu’il pense à ses supérieurs, il en a même le devoir. Mais ces propos doivent demeurer dans le cadre de ce qui a trait à ses fonctions militaires et rester internes à l’armée. Ainsi, un officier devra exprimer son point de vue sur une opération en préparation ou en cours, sur des réflexions quant au domaine du combat militaire, on ne peut que l’encourager à avoir une pensée créatrice pour améliorer encore et toujours notre système.
Ceci étant, Tsahal n’est pas le lieu pour exprimer une opinion politique ou partisane. La force de Tsahal réside dans son union, au-delà des partis et des querelles politiques, union dans la défense de tous les habitants d’Israël, selon les ordres reçus.
Lph: Pourtant on a entendu ces derniers temps, plusieurs officiers s’exprimer publiquement.
O.R.: L’échelon qui a le droit et le devoir de s’exprimer est l’échelon politique, l’élu qui nomme les cadres de l’armée, en particulier le Chef d’Etat-major. Tout officier qui s’exprime dans la presse ou lors d’un évènement, le fait après autorisation du porte-parole de l’armée et dans des cas très précis. Ainsi, un officier israélien n’aura jamais le droit de participer, en tant que tel, à une manifestation politique, ou organisée par un organisme politique.
Lph: Les débats de ces dernières semaines concernant les propos de cadres de l’armée, montrent-ils que ces règles que vous énoncez ne sont pas respectées?
O.R.: Entre ce qui est permis et ce qui est interdit, se trouve une zone ”grise”, dans laquelle on fait appel à l’intelligence et à la délicatesse de celui qui s’exprime. Les débats viennent du fait que la population aime tellement son armée que dès qu’une parole malencontreuse est prononcée, alors les citoyens en sont fortement touchés.
Tsahal est une très grande armée et il ne faut pas faire d’incidents malheureux des généralités. L’hypermédiatisation de tout ce qui se passe à l’armée contribue à ce phénomène regrettable. Il faut laisser Tsahal en dehors de toutes ces querelles politiques. Les politiques ou les medias qui critiquent les militaires font une très grave erreur: ils portent atteinte à l’image de Tsahal. Lorsque des fautes sont commises par des militaires, il existe des sanctions militaires. Laissons l’armée régler ses affaires et n’utilisons pas Tsahal à des fins politiques!
Dany Yatom
Ancien directeur du Mossad. Ancien député travailliste
Le P’tit Hebdo: Faut-il conférer aux officiers de Tsahal un rôle d’éducateur en plus de leur mission militaire?
Dany Yatom: Pour être un meilleur soldat, nous devons savoir pourquoi nous sommes arrivés ici. Ainsi, un officier doit inculquer à ses soldats l’amour de la terre, du peuple, de la tradition, le devoir d’être un citoyen respectueux de la loi. Il doit aussi aider ses hommes à connaitre davantage l’histoire de l’Etat et du peuple d’Israël.
Parallèlement, un officier est là pour transmettre une certaine éthique militaire: même en temps de guerre, nous devons rester des hommes. En Judée-Samarie, par exemple, l’armée a souvent à faire à des civils qui ne sont pas partie prenante aux combats, ils doivent savoir se comporter avec morale.
Enfin, un soldat doit savoir que la vie des citoyens de l’Etat est plus chère que la sienne.
Lph: Pensez-vous que les déclarations dans l’affaire du soldat de Hevron ou encore celles de Yaïr Golan, étaient appropriées?
D.Y.: Un officier doit donner son avis sur des sujets militaires, éthiques et moraux. Il ne peut pas parler sur tous les sujets en public et notamment il lui est interdit de s’exprimer contre le gouvernement.
Dans le cas de l’affaire du soldat de Hevron, les cadres qui se sont exprimés l’ont fait à juste titre. En effet, il s’agit d’une question militaire transférée sur la place publique par la mise en accusation de l’Etat-major, que l’on jugeait trop souple à l’égard des Palestiniens.
Concernant Yaïr Golan, il avait le droit de faire part de son observation selon laquelle des germes de comportements inquiétants étaient à déplorer dans une partie de notre société. Il a été mesuré mais le problème est qu’il a mal choisi son jour: il n’aurait pas dû évoquer ce sujet, Yom Hashoah, dans une cérémonie à la mémoire des victimes.
Lph: Comprenez-vous le débat qui s’en est suivi?
D.Y.: Ces débats sont liés au fait que l’échelon politique a utilisé ces déclarations à des fins politiques. Lorsque le Premier ministre réprimande Yaïr Golan publiquement, il se sert de l’armée comme d’un outil politique. Tsahal est l’armée du peuple, ne l’oublions pas!
Tout ce que nous entendons aujourd’hui vient du fait que les politiques prennent de plus en plus l’armée et ce qui s’y passe en otage pour faire avancer leurs propres intérêts. Il n’y a aucune raison de faire toute une histoire, en public, des déclarations récentes des cadres militaires. Le seul reproche que l’on peut faire, c’est le choix du lieu et du jour, mais ces éclaircissements auraient dû se faire en coulisses. La critique est à formuler contre l’échelon politique, uniquement. Que ces responsables se tiennent à leur place, évitent les fuites dans les medias et adoptent une attitude collégiale!
Lph: Le remaniement ministériel entre-t-il dans cet état d’esprit que vous dénoncez?
D.Y.: Binyamin Netanyahou est un génie politique. Il sait tirer à son profit les situations. Herzog a rampé vers lui, alors même que le fossé entre lui et le Likoud était énorme sur les questions économiques, politiques et sécuritaires. Le Premier Ministre a encore réussi une de ses combines politiques et aura fait exploser le parti travailliste…
Rav Avi’hai Ronsky
Ancien Grand Rabbin de Tsahal
Le P’tit Hebdo: Qu’avez-vous pensé des récentes déclarations de cadres militaires, notamment celles de Yaïr Golan?
Rav Avi’hai Ronsky: Yaïr Golan a parlé de choses qui ne relèvent pas de sa mission. Il est un homme d’armée, il n’a pas à donner son avis sur la société israélienne. D’autant plus qu’il a exprimé de vives critiques, contraires à nos valeurs.
Lph: A quoi se limite alors la mission des cadres de l’armée?
Rav A.R.: Les officiers de Tsahal doivent transmettre de la détermination, une volonté d’acier face à la mission militaire qui est la leur. Ils doivent diriger, sans balbutiements, leurs soldats dans leurs combats.
Dans cette optique, on peut comprendre le ministre de la défense sortant, Moshé Yaalon, lorsqu’il exhorte les officiers à dire ce qu’ils pensent. Mais ces propos doivent demeurer dans le cadre des valeurs de combat.
Lph: A la lumière de ces différentes déclarations voire prises de position, avez-vous le sentiment, qu’un nouveau vent souffle sur Tsahal, avec des relents politiques?
Rav A.R.: L’armée est un lieu de rencontres, d’échanges et d’amitié aussi, entre des personnes qui viennent d’horizons différents. Les soldats qui tiennent des propos ou adoptent des attitudes contestables le font souvent par manque d’éducation aux valeurs juives de la Torah, du Tana’h. Prenez l’exemple d’Ofer Winter: dans sa lettre à ses combattants, il a transmis un esprit de combat, basé sur les valeurs juives.
La majorité de l’armée n’est pas religieuse et au final, le rôle de l’armée est avant tout de gagner la guerre. Tout ce qui peut renforcer l’esprit gagnant, de combat est bon. Mais ne perdons pas de vue ce qui fait notre force, notre unicité: nos valeurs millénaires.
Adjoint au maire de Jérusalem
Le P’tit Hebdo: Les gros titres de la presse autour des déclarations de cadres militaires dénotent-ils d’un phénomène nouveau?
Dov Kalmanovitch: Les déclarations de Yaïr Golan ont fait couler beaucoup d’encre, mais pour moi, cette histoire remonte déjà à l’ instant où l’Etat-major a décidé de retirer le département de ”l’identité juive” au grand rabbinat de l’armée. On a voulu nous faire croire que le Rabbinat voulait utiliser cette branche pour rendre les soldats plus religieux. Mais ce n’était pas le cas, l’idée était uniquement d’inculquer aux soldats les raisons pour lesquelles ils se battent.
Cela nous pousse à nous poser des questions sur le rôle de notre armée: un instrument de combat uniquement ou également une part de la société? Du temps de David Ben Gourion, des hommes de tous les pays, de toutes les cultures arrivaient dans les rangs de Tsahal. Ben Gourion a voulu que l’armée serve à créer l’image du ”nouvel israélien”. Aujourd’hui nous ne sommes plus dans la même situation: la plupart des soldats sont nés ici.
Lph: Les déclarations récentes sont-elles condamnables?
D.K.: Les propos de Yaïr Golan le sont! D’abord par leur contenu et ensuite parce qu’il n’est pas là pour faire une critique de la société israélienne! Il est combattant, pas commentateur ou analyste.
Lph: Quelle attitude attendez-vous alors des cadres de Tsahal?
D.K.: C’est à la société israélienne de fixer clairement des limites entre ce qui peut être dit et ce qui ne peut pas l’être. Par ailleurs, ces évènements montrent le décalage entre la population, à majorité à droite, et les hauts responsables de l’armée largement influencés par la gauche.
I Il ne s’agit pas de faire de ces déclarations des affaires personnelles, en montrant du doigt telle ou telle personne. Nous devons être vigilants sur le fait que de la gauche, on veut imposer une vision et l’idée que l’on peut éduquer le peuple à travers l’armée.
Lph: Etes-vous inquiet pour la stabilité de notre armée?
D.K.: Notre armée, notre peuple sont plus forts que ces débats! Quel chemin nous avons parcouru depuis 68 ans! Je vois la croissance, la force de notre peuple sur le plan moral, spirituel, dans ses valeurs! Alors je suis certain que nous allons vers un avenir meilleur, pas par optimisme mais par réalisme! Ce que nous traversons actuellement ne fait que nous renforcer.
Ancien officier. Militant politique de droite
Le P’tit Hebdo: Vous avez appelé au licenciement de Yaïr Golan après ses déclarations. Pourquoi?
Shimon Riklin: Qu’un homme comme lui tienne ce genre de propos est encore plus grave que si un homme politique l’avait fait! Il travaille pour nous, pour le gouvernement, il peut parler de sécurité, et encore pas en public. Des propos pareils?! Comment une telle personne peut-elle encore appartenir à Tsahal?! Ce qu’il a dit n’était pas du tout légitime. Un officier doit-il éduquer des civils? Certainement pas.
Imaginez un instant qu’un officier de son rang ait dit en public: ”A partir de maintenant, nous devons nous occuper de tous les arabes, comme il faut, avec force et sans aucune pitié”… Quelle aurait été la réaction de ses supérieurs? Aurait-il pris une simple remontrance, comme cela a été le cas pour Yaïr Golan? Ofer Winter, pour des propos censés et mesurés, adressés uniquement à ses soldats, a vu sa carrière compromise!
Lph: Cela veut-il dire que l’appareil militaire est gagné par des considérations politiques?
S.R.: Nous avons effectivement un problème avec le nombre d’officiers qui reçoivent Haaretz sur leur bureau chaque matin. Nous mettons la vie de nos soldats en danger à cause de cela! Notre priorité doit toujours être de nous soucier de la mère israélienne!
Lph: L’attitude adoptée face à ces phénomènes que vous décrivez est-elle la bonne selon vous?
S.R.: La droite ne sait pas gouverner! Moshé Yaalon n’était pas à sa place, comme ministre de la Défense et l’adjoint du Chef d’Etat-major, ne peut pas rester à son poste! Au lieu de mettre des lignes rouges, on laisse tout passer, c’est une erreur!
Ce qui me rassure, c’est que le peuple n’est pas sur cette ligne. Je le vois sur les réseaux sociaux: la majorité du peuple est saine.
Officier de réserve
Le P’tit Hebdo: Les déclarations de hauts-gradés vous ont-elles choqué?
Yoni Chetboun: Un officier n’a pas le droit de donner son opinion politique devant ses soldats ou en public. Les récentes déclarations qui ont fait l’objet de débats n’étaient pas des déclarations politiques. On peut rejeter leur contenu mais elles n’étaient pas politiques.
Un officier a tout à fait le droit d’exprimer son opinion sur la société israélienne. Je dirais même qu’il doit parler de valeurs et par conséquent de société.
Lph: Les voix qui s’élèvent pour demander des sanctions contre ces officiers exagèrent-elles la situation?
Y.C.: A mon grand regret, quelques acteurs comme certains organismes de gauche, arrivent à influencer des éléments de l’armée. Mais avec tout le respect que j’ai pour la politique, ce n’est pas elle qui fait l’armée! Je respecte tous les officiers, ce sont des gens de valeur. Ce que l’on trouve inquiétant de l’extérieur ne correspond absolument pas à la réalité sur le terrain.
Lph: On a donc fait beaucoup de bruit pour pas grand-chose?
Y.C.: Rien n’est jamais acquis. Nous devons être vigilants, les débats sont sains. La frontière est mince entre la préservation de nos valeurs et le début d’une perte de celles-ci, entre des prises de position qui renforcent les soldats et l’expression d’opinions politiques. Pour l’heure, la réalité sur le terrain n’est pas inquiétante et si l’on veut qu’un Ofer Winter puisse s’exprimer, alors nous devons aussi donner le droit à un Yaïr Golan de le faire.
Propos recueillis par Guitel Ben-Ishay
On ne peut pas critiquer ceux qui montent la garde, qui ne dorment pas et qui vous protègent, alors que vous pouvez dormir en paix.