Après cette période de l’année empreinte de gravite, marquée par les prières et les chants des jours dits redoutables, et par les fortes chaleurs de l’été qui expirent, nous sommes enclins à réfléchir à la brièveté de la vie.
L’homme, dit une prière qui fait trembler, est semblable
” A l’argile qui se brise
A la paille qui flétrit
A l’ombre qui passe
Au rêve qui s’envole. ”
Pendant la fête de Souccot, on a entendu Kohelet répéter: Hevel havalim, buée des buées, tout est buée, souffle qui se dissipe, vain tourment, passion inutile.
Etrange façon de commencer l’année! Mais le cycle des saisons est ainsi fait que la fin d’une année est le commencement d’une autre. L’hiver, quand tout semble mourir, se prépare en secret le sacre du printemps.
Souvenez-vous: n’avez-vous pas fredonné il y a bien longtemps, dans une autre vie, la chanson mélancolique de Serge Gainsbourg intitulée ” Les feuilles mortes ” ?
Bien des années ont passé depuis, bien des automnes et des hivers, nous avons tous vécu des départs plus déchirants que celui du bel été, et pourtant les paroles du chanteur-poète à la voix rauque continue à nous émouvoir:
” Jour après jour les feuilles mortes
N’en finissent pas de mourir
Et chaque fois les feuilles mortes
Te rappellent à mon souvenir…”
Mourir rime avec souvenir, comme si le souvenir était à la fois le rappel de la perte et de la douleur inconsolable, ainsi que l’attente logiquement absurde d’un autre commencement. Il faut ce rappel des feuilles mortes pour combattre l’oubli. De même, dit le Midrach, pendant les quarante jours durant lesquels Moïse étudia la Torah de la bouche de D.ieu au Sinaï, il oubliait chaque soir ce qu’il avait appris le jour. Belle consolation pour ceux qui ont la mémoire courte, à condition qu’ils veuillent combattre l’oubli par l’effort. Comme s’il fallait oublier ce qui fut appris sans peine pour se ressouvenir à la sueur de notre front.
Les feuilles mortes évoquent en nous les jours passés que nous appelions justement les éphémérides, lorsqu’il nous fallait effeuiller le calendrier.
Une vie: des pages tournées, des agendas remplis de rendez-vous oubliés, des images floues qui peu à peu s’effacent… Mélancolie d’automne !
Et pourtant ! Nous lisons à Roch-Ha-chana le récit de la naissance d’Isaac, fils de la promesse donnée à un couple stérile et ayant de loin passé la limite d’âge. Nous lisons aussi le récit de la Akeda, la presque mort d’Isaac et son retour miraculeux a la vie. A cela s’ajoute l’épisode de Hagar, chassée de la maison d’Abraham avec son fils Ismaël, et l’intervention de l’ange céleste qui lui ouvre les yeux et lui fait voir un puits d’eau vive.
Tous ces textes célèbrent la naissance et la renaissance en dépit des circonstances, et ils nous font entendre que la vie peut être comparée à l’alternance des saisons.
Les feuilles mortes nous murmurent: tout flétrit et retourne à la poussière. L’amour, l’amitié, la passion, peuvent aussi s’étioler et mourir, victimes de l’usure du temps, de la routine et de l’indifférence. Comme le dit la chanson:
” Peut-on jamais savoir où commence
Et quand finit l’indifférence? ”
Mais les feuilles que l’on dit mortes se mêlent à l’humus et ainsi fécondent la vie. Les blessures anciennes que nous voudrions oublier demandent à être réparées et intégrées dans le cycle de la vie. La mémoire, selon un bel enseignement de Rabbi Na’hman de Breslav, nous a été donnée pour que nous nous souvenions du monde qui vient.
La vie est un perpétuel combat non pas seulement contre tout ce qui la menace du dehors, les intempéries, la violence, la déchéance sociale, mais aussi contre tout ce qui la menace de l’intérieur: la dépression, le désespoir, la résignation à l’injustice et au mal. ” Sept fois le juste tombera et se relèvera. ”
C’est cela, vivre : tomber et se relever, mourir et renaitre, voir mourir et se savoir mortel, mais aussi vouloir se redresser, comme l’arbre après l’orage.
Joseph le juste tomba plus d’une fois et se redressa: qu’il soit notre Maitre de vie. Il nous enseigne le secret de la résurrection dans la patience et le travail quotidien.
Comme le dit la prière matinale: ” Beni sois-Tu, Seigneur, qui rend l’âme aux corps défunts.” Le jour se lève, la vie nous a été rendue, cela aussi signifie renaitre.
Rav Daniel Epstein
Un joli texte pour se changer les idées. Mais la célèbre chanson “Les feuilles mortes” n’est nullement de Serge Gainsbourg ! Elle a été écrite par Jacques Prévert et mise en musique par Joseph Kosma, créée par Yves Montand en 1946 et reprise par Julette Gréco, et reprise en version anglaise dans les années 50 par Frank Sinatra et Nat King Cole entre autres. Personne n’a le droit d’ignorer ça !