Quand un drame comme celui que la famille Benitah a vécu se produit, nous pleurons tous avec les proches, la personne tragiquement disparue. Puis les visites n’arrêtent pas pendant la shiva et ce jusqu’à la fin du mois de deuil, les chlochim. Et après?
Que deviennent ces gens qui ont tant perdu? Comment reprennent-ils une vie normale? Comment envisagent-ils l’avenir?
Nous avons posé ces questions à Michael, le père d’Aaron Benitah, z”l, ainsi qu’à sa femme Odèle et sa belle-mère Myriam. Voici leurs témoignages.
”Ce mois était très dense”, nous décrit Michael. Il est vrai que lorsque son fils Aaron est assassiné, ce shabbat Hol Hamoed Souccot, nous ne nous attendions pas encore à ce que chaque jour apporte son lot d’attentats… ”Nous ne suivions pas tellement l’actualité”, avoue Michael, avant de poursuivre, ”nous devions nous occuper d’Odèle, des enfants. Mais nous devons voir tout cela sur le plan universel: D’ a ses comptes, nous ne savons rien, il n’y a pas de réponse logique à tout ce qui se passe depuis un mois”.
Pour Odèle, ce mois aura été celui de la douleur affective, psychologique et physique. ”J’ai reçu 17 coups de couteau dans le bras”, explique-t-elle, ”j’ai été beaucoup prise par les soins médicaux. Je ne peux toujours pas me servir de mon bras, cela prendra énormément de temps”.
Son fils Nathan, 2 ans, a été touché à la jambe par une balle lors de l’attentat. Aujourd’hui, il boite encore, marche difficilement et doit bientôt subir une nouvelle opération. Lui et sa petite sœur Shulamit, 7 mois, vont devoir apprendre à vivre sans Papa. ”Nous lui avons dit que son Papa est dans le ciel”, raconte Odèle, ”il a répondu: ”Dans l’avion?”, ”Non, dans le Ciel, il ne reviendra pas ””.
Du coup, Odèle nous confie ne pas avoir eu le temps de faire le deuil de son mari: ”Nous n’avons pas eu le temps de nous asseoir, je n’ai pas pu faire la shiva avec la famille. Cette période de deuil que nous impose la Torah, je n’ai pas pu la vivre, cela me manque”.
D’ailleurs, Myriam, la Maman d’Odèle ne réalise pas encore: ”Aaron n’est plus avec nous? Je n’arrive toujours pas à m’y faire. Quand je pense à lui, j’ai l’impression qu’il va entrer avec son sourire qui le caractérisait… Nous ne pouvons pas encore nous résoudre à cela… Je ne sais pas ce qu’est un gendre, pour moi Aaron était comme un fils. Il s’occupait si bien d’Odèle et des enfants, il prenait tout en charge. Et tous les jours, il me remerciait que ma fille soit sa femme.”
”Aaron était un garçon extraordinaire”, renchérit son père Michael, ”nous le savions. Mais pendant ce mois, nous avons encore appris sur sa personnalité, il voulait tout comprendre, avait un grand cœur. A l’armée, il ne se contentait pas de faire son travail, il cherchait la perfection, ce qui pourrait aider le plus”.
La famille d’Aaron reste impressionnée par la sympathie et le soutien que leur ont témoigné ”tout le peuple d’Israël”. Michael y voit là aussi un signe de ce qu’Aaron était: ”Il aimait tous les Juifs. Tout le monde est venu, de toutes les tendances”.
Le soutien, d’après tous, ils n’en ont pas manqué pendant ces trente jours. Aaron effectuait son service militaire, et l’armée fait partie de ceux qui sont le plus à l’écoute de la famille Benitah. ”Tsahal s’occupe beaucoup de nous”, nous disent Michael et Odèle. ”Encore aujourd’hui alors que les chlochim sont passés, le ministère de la Défense nous propose son aide”, ajoute Michael.
Le Chef d’Etat-Major, Gadi Eizencott, est venu leur rendre visite. ”Nous avons beaucoup parlé de cette incitation à la haine qui entraine la terreur”, raconte Odèle.
Comment voient-ils l’avenir maintenant? ”Je ne peux pas rentrer dans notre maison à Betar”. Odèle a rendu l’appartement qu’ils louaient là-bas, elle va changer tout son mobilier, ”c’est trop difficile pour moi de continuer à vivre dans ce décor”. Elle doit tout recommencer à zéro.
”Mais c’est très difficile, parce que j’ai besoin d’aide tout le temps. Je subis encore beaucoup de soins médicaux”, précise Odèle. ”Il faut que nous puissions trouver à Jérusalem un appartement assez grand pour que je puisse être avec mes parents. Pour l’instant je n’ai pas où aller”.
Myriam, sa mère, a encore trois enfants qui ne sont pas mariés, et elle veut aussi rester au plus près de sa fille que sa blessure handicape. ”Elle ne peut pas porter ses enfants, elle ne peut pas les laver, les changer. Je suis devenue une deuxième maman. Mais jamais personne ne pourra combler le vide laissé par un époux et un père. Aujourd’hui nous avons besoin d’aide pour nous loger convenablement afin de faire grandir ces enfants comme il se doit”.
Malgré tout, ce qui ressort de notre conversation avec Michael, Odèle et Myriam, c’est une force incroyable. ”On essaie de construire, de ne pas se laisser abattre. Je n’ai pas l’impression que nous allons être abandonnés. Je sens une grande solidarité dans le peuple et dans les autorités ou les associations comme le LIBI ou One Family. Mais par-dessus tout, nous avons la foi. Un tzadik ne meurt jamais. Son corps n’est plus, mais son âme est toujours présente. Il vit encore plus après sa mort. On demande de l’aide et de la force à Hashem et nous les recevons. Nous avons confiance en D’, en nous et en le peuple d’Israël”, nous dit Michael.
Pour Odèle aussi, la foi est son moteur: ”Il m’arrive de me demander pourquoi? Pourquoi nous? Quelques jours seulement avant l’attentat, je disais à Aaron ”comment font ces gens pour surmonter de telles épreuves?” et soudainement ça vous tombe dessus… Mais j’ai la foi, je sais que tout est pour le bien. Aaron est mort al kidouch Hachem, c’est une part de ma consolation. Mes enfants aussi sont mon moteur, ma raison de me lever le matin. Il est difficile pour moi d’envisager l’avenir, pour l’instant, je me concentre sur notre survie au jour le jour”.
Pour aller plus loin:
Propos recueillis par Guitel Ben-Ishay