L’exécution le 2 janvier, par le régime de Ryad, du leader chiite Nimr al-Nimr, suivie par la mise-à-sac de l’ambassade saoudienne à Téhéran a provoqué un fort regain de tension entre l’Iran et l’Arabie Saoudite. Des événements qui ne constituent que la « tête de l’iceberg » de l’immense contentieux à caractère religieux et géostratégique entre ces deux pays musulmans, dont l’un est leader du monde chiite et le second le fief des Sunnites.
La rupture, le 3 janvier, des relations entre l’Arabie Saoudite et l’Iran vient sanctionner un gigantesque « bras-de-fer » qui dure depuis des siècles…
« Sans précédent, la grave crise actuelle n’est pas vraiment une surprise dans le contexte d’extraordinaire tension qui règne actuellement au Moyen-Orient, précise Zvi Mazel, diplomate chevronné et ex-ambassadeur d’Israël en Egypte. C’est dans l’implacable rivalité entre l’islam sunnite et l’islam chiite depuis près de 14 siècles qu’il faut en chercher la véritable cause ».
Une rivalité religieuse remontant aux premiers temps de l’islam
Pour mesurer la profondeur de la très vieille animosité et de la haine ancestrale régnant entre les deux pays, il faut remonter en 680 de l’ère commune quand le calife des Omeyades, Yazid 1er, écrasa à plat de couture – lors de la bataille de la Karbala – l’armée levée contre lui dans cette guerre de succession par l’imam Hussein ibn Ali, l’un des petits-fils du prophète Mahomet qui allait devenir le premier initiateur de la branche chiite de l’islam, pendant que les califes structuraient sa future branche sunnite majoritaire.
Ce schisme abyssal qui fonda la fracture religieuse entre Chiites et Sunnites est à ce point axial qu’aujourd’hui, plus de 13 siècles et demi après, les Chiites du monde entier perpétuent la mémoire blessée de cette défaite animés d’un profond esprit de vengeance en organisant à Téhéran, Beyrouth, Damas et Bagdad d’immenses cortèges où des milliers de fidèles se flagellent en s’entaillant jusqu’au sang en jurant de venger leur ancêtre Ali et de ravir le leadership musulman aux Sunnites (qui regroupent 85 % des Musulmans du monde).
Une animosité qui a traversé les siècles
Au XIXième siècle, ce schisme s’est approfondi quand les émissaires de Mohamed Abd al-Wahhab ont répandu les dogmes du wahhabisme (islam radical) dans la Péninsule arabique, afin d’endiguer le déclin musulman face à l’Occident par un retour aux racines de la branche sunnite et un rejet des diverses « médiations » préconisées par les Chiites entre Allah et ses fidèles. Après avoir persécuté et ridiculisé les noyaux chiites dans toute la région, les Wahhabites ont désacralisé en 1802 à Karbalah la tombe d’Hussein Ali.
Plus près de nous en 1913, le mouvement Ikhwan – précurseur de la Confrérie des Frères musulmans dirigé pat Abd al-Aziz Ibn Saud, le chef des armées sunnites qui allait devenir le premier roi d’Arabie Saoudite – a envahi la province chiite d’Al-Ahsa pour y imposer la wahhabisme.
En 1925, son armée envahit Médine et détruit les tombes du 2ième, 4ième, 5ième et 6ième imams chiites : une désacralisation survenue lors du pèlerinage du Hadj très fréquenté par les fidèles chiites, qui durent fuir pour tenter d’échapper à l’infâme garde saoudienne… Après la prise de Al-Ahsa, Ikhwan lance le Djihad contre les Chiites qui durent soit se convertir, soit être exécutés…
Résultats de cette épuration saoudienne : en 1932, les Chiites, regroupés près de la frontière irakienne à l’est du royaume fondé par Ibn Saud, devinrent des marginaux de la société musulmane.
Des intérêts géostratégiques diamétralement opposés
Cette longue histoire faite de haine éclaire mieux les tensions géopolitiques actuelles, décuplées par des intérêts économico- stratégiques opposés.
Voilà pourquoi les Saoudiens tremblent devant la puissance iranienne et ses ambitions déclarées d’hégémonie régionale – dont la course à l’arme nucléaire est le pivot militaire – qui se sont concrétisées depuis 20 ans par l’intervention de Téhéran dans des pays à majorité sunnite pour inciter leurs minorités chiites à les déstabiliser. Ce qu’on a vu en Irak, au Koweït et au Yémen (avec les rebelles Houtis), ainsi qu’en Syrie, au Liban et au Bahreïn, où les Chiites sont majoritaires. Un bras-de-fer qui n’est pas près de se calmer !
Richard Darmon pour Hamodia