C’est sous l’égide de l’Institut Ben Zvi de l’Université Hébraïque de Jérusalem qu’a été créé, en 2006, par le Dr Haïm Saadon, le Centre de Documentation pour la Recherche sur le Judaïsme d’Afrique du Nord pendant la Shoah. Seul universitaire à avoir une équipe de recherche sur le sujet, le Dr Saadon avance dans un domaine où il reste encore beaucoup à découvrir.
A l’occasion de Yom Hashoah, LPH a fait un point avec son équipe sur l’état des recherches.
Des archives, des documents personnels comme base de travail
Le Dr Saadon et son équipe travaillent beaucoup sur la base des archives récemment ouvertes du ministère de la Défense français mais aussi de l’Imperial Museum de Londres. Ce sont également les différents documents personnels qu’ils parviennent à trouver qui leur fournissent des éléments de terrain sur la réalité des Juifs d’Afrique du Nord et plus particulièrement de Tunisie pendant la Shoah. En effet, de tous les pays du Maghreb, ce dernier est le seul à avoir subi l’occupation allemande.
Travailleur de force juif en Tunisie
William Maman, seul francophone de l’équipe du Dr Saadon, nous annonce que la découverte qui a marqué les derniers mois de leur travail est celle du journal de bord de Walter Rauff, chef des SS en Tunisie et tristement célèbre pour avoir inventé le concept des camions à gaz en Europe de l’Est. »Walter Rauff envoyait quotidiennement des rapports et ce que nous y avons découvert est très intéressant », commence William. »Il s’avère que dans ces écrits, le chef des SS en Tunisie ne parle pratiquement pas de la question juive. Ce qui le préoccupait en premier lieu était la survie de la Wehrmacht prise en étau sur le terrain militaire de l’Afrique du Nord. Toujours dans cette optique de survie, Rauff était à la recherche de matières premières et de travailleurs de force ». C’est ainsi que les Juifs de Tunisie vont être réquisitionnés pour les tâches ingrates des camps de travail de force nazis mais seront donc relativement épargnés par la Solution Finale.
Les Juifs d’Afrique du nord: entre l’antisémitisme européen et l’antisémitisme musulman
Le Dr Haïm Saadon s’est aussi penché sur la façon dont les Musulmans d’Afrique du Nord avaient perçu le sort des Juifs pendant cette période. Selon lui, » certes, certains Musulmans s’étaient portés volontaires dans la Wehrmacht mais dans l’ensemble le sentiment général des populations musulmanes était l’indifférence face au sort des Juifs. Ils étaient davantage préoccupés par leur lutte nationale anticolonialiste. Ils se demandaient surtout comment utiliser la guerre à leur avantage ».
Les Musulmans ont donc considéré les Allemands comme des libérateurs face à l’occupant français et l’antisémitisme des nazis a séduit la majorité d’entre eux, »même si on a pu trouver des Musulmans qui ont caché des Juifs voulant échapper au travail forcé », ajoute William Maman, »l’antisémitisme se vivait au quotidien, déjà avant les nazis dans cette région ».
Cette haine du Juif n’a fait qu’empirer avec le gouvernement de Vichy qui a exacerbé l’antisémitisme européen cette fois. L’abrogation du Décret Crémieux en Algérie en a été un des symboles les plus forts.
L’heure tourne
Le Dr Saadon et son équipe alertent plus que jamais sur la nécessité de témoigner et d’apporter des documents d’époque. En effet, le temps passe et pour que l’histoire soit la plus fidèle possible, il est indispensable qu’elle vienne de sa source originale.
C’est la raison pour laquelle, l’équipe possède une page FaceBook lui permettant d’une part de recueillir des témoignages mais aussi de mesurer l’impact de leurs recherches. »Nous avons aussi une page en arabe, sur laquelle 99% des réactions sont des insultes. Mais nous recevons, en privé, une dizaine de messages par semaine de Musulmans qui sont positifs et s’intéressent à nos recherches, aux relations entre les Juifs et les Musulmans », nous explique William.
Le Dr Saadon se félicite des différents contacts qu’il a pu nouer avec des chercheurs en France mais aussi au Maghreb. Cependant il déplore le manque de moyens pour explorer un sujet aussi vaste qui n’est pas assez traité en Israël, selon ses dires. »Nous vous invitons à consulter notre site et nos pages FaceBook ainsi qu’à prendre contact avec nous si vous avez des témoignages à nous livrer sur cette période ».
Pour aller plus loin :
Sur FaceBook : Les Juifs d’Afrique du Nord pendant la Shoah
Photos: Mémorial de la Shoah
Guitel Ben-Ishay