C’est en feuilletant ci et là quelques pages d’un livre d’histoire que mon regard a été attiré par le nom d’un rabbin marocain qui fut marchand, diplomate, espion, corsaire et l’un des fondateurs de la communauté juive d’Amsterdam. C’est le parcours de sa vie, quelque peu insolite, que je voudrais vous résumer en quelques lignes:
Samuel Pallache est né à Fez (Maroc) aux environs des années 1550. Ayant réussi à fuir la misère du Mellah, Samuel et son frère Joseph, arrivèrent à Tétouan et réussirent à se tailler une réputation après avoir rejoint une équipe de pirates, désarmant des bateaux espagnols. Ayant entendu parler des frères Pallache, le Sultan du Maroc Ahmed al Mansour (le victorieux) s’adressa par leur intermédiaire vers 1596 à Maurice de Nassau, gouverneur général des Pays-Bas, afin de former une coalition contre l’Espagne.
Le Sultan meurt en 1603 et les frères Pallache, de façon inattendue, proposèrent à Philippe II, roi d’Espagne et du Portugal, leurs services d’espionnage en contrepartie de quoi ils pourraient résider à Madrid. Ayant eu connaissance de leur offre, les sbires de l’Inquisition s’engagèrent dans une folle poursuite après les deux frères qui se refugièrent dans l’ambassade de France. Là encore, ils proposèrent leurs services d’espionnage au service de la France (Henri IV), mais l’ambassadeur n’eut aucune réaction. Ils réussirent malgré tout à s’enfuir d’Espagne pour rejoindre les Pays-Bas mais avec une idée fixe: Vengeance.
Pour cela, ils rencontrèrent Maurice de Nassau et lui firent miroiter qu’une coalition militaire entre la Hollande et le Maroc contre l’Espagne serait bénéfique pour les deux Etats. Convaincu, le Prince envoya au Maroc des navires de guerre. Ayant eu vent de l’affaire, le roi d’Espagne envoya une missive à Maurice en lui disant qu’il ne pourrait supporter une telle initiative. Maurice de Nassau se trouvait donc entre le fer et l’enclume mais il proposa à Samuel Pallache un moyen terme: la guerre de course avec un équipage hollandais, en d’autres mots, mener des opérations navales par des corsaires contre les espagnols. Notons au passage qu’un capitaine corsaire était possesseur d’une “lettre de marque” signée de son roi qui lui autorisait à attaquer en temps de guerre tout navire battant pavillon ennemi. Il devait alors déclarer ses prises aux autorités et traiter les passagers des navires capturés comme des prisonniers de guerre et non comme des esclaves. Ajoutons que pour être capitaine sur un bateau corsaire, il fallait avoir de solides connaissances maritimes, un leadership à toute épreuve, un comportement que la morale élémentaire répugne, pouvoir vivre en mer dans des conditions extrêmes, mener des combats à distance et au corps à corps … et visiblement Samuel Pallache avait toutes ces ‘qualités’.
Battant pavillon néerlandais, les frères Pallache larguèrent les voiles avec à bord du navire corsaire, un équipage mêlant Hollandais, Maures et Juifs. Un dénominateur commun unissait tous les membres de cet équipage: une haine profonde de tout espagnol catholique. Tout laisse à supposer qu’à bord le cuisinier mijotait des plats cachers et qu’un Minyan s’organisait autour des trois prières journalières. En rejoignant Amsterdam, la communauté l’honora en lui décernant le titre de rabbin.
Mais Samuel Pallache fut soupçonné d’être un agent double pour le compte des Marocains et des Hollandais, d’une part et d’autre part pour celui des Espagnols … ce qui semble être vrai. Lorsque cela fut découvert, le Sultan et Maurice de Nassau rompirent leur relation avec Samuel Pallache.
En novembre 1614, au cours d’une de ses expéditions, une tempête le força à jeter l’ancre près des côtes d’Angleterre. Sautant sur l’occasion, l’ambassadeur d’Espagne à Londres le dénonça aux autorités britanniques en tant que bandit de grand chemin. Pallache fut arrêté, emprisonné et condamné à la pendaison. Il écrivit alors une lettre au prince Maurice de Nassau en lui disant que s’il était torturé, il serait forcé de dévoiler des secrets politiques et militaires néerlandais, ce qui n’était pas son intention. Le prince s’adressa alors à James I, roi d’Angleterre, en argumentant que les accusations portées contre Pallache étaient sans fondement puisqu’il avait en main une “lettre de marque” scellée de son nom et que le Maroc et l’Espagne étaient deux pays belligérants. Convaincu, James libère de prison Pallache. En mars 1615, il accoste à Amsterdam mais toutes ces semaines passées en prison avaient brisé l’homme. Il se retrouva endetté même après avoir reçu un pourcentage du butin qu’il avait remis aux Hollandais.
Il décède le 04/02/1616 à La Haye et est enterré dans le cimetière de la communauté juive portugaise d’Amsterdam.
Yaakov Levi
Rav Kehilath Atrid (Arnona Hatse’ira, Jerusalem)