« Sous les pavés, la plage » clamait ce slogan de Mai 68. Au Portugal, ce serait davantage : « Sous les pavés, le Juif ». Chaque coin de rue, chaque village médiéval, chaque fronton en pierre témoignent en effet d’une forte présence juive. Et depuis, plus rien que le silence, ce terrifiant silence qui s’épaissît telle une toile d’araignée durant les 500 ans qui suivit l’Obscurantisme du Moyen Age.
Que s’est-il donc passé ? Le roi Manuel Ier du Portugal doit se marier avec Isabelle d’Aragon, fille d’Isabelle la Catholique. Une clause du contrat de mariage l’oblige à « s’occuper » de ses sujets juifs : la conversion ou l’exil. Or, le roi sachant ce qui est bon pour son royaume, ne souhaite nullement le départ de « ses » Juifs. Aussi, décide-t-il de leur offrir le marché suivant : une conversion collective, une vulgaire formalité en quelque sorte, et surtout – et bien plus important – la promesse que l’Eglise portugaise, contrairement à celle d’Espagne, n’enquêtera pas sur la sincérité de ces Nouveaux Chrétiens et que l’intimité de leurs demeures ne sera pas violée. Certains accepteront et continueront à pratiquer chez eux leur judaïsme.
Ce n’est qu’après la mort du roi en 1521 qui verra l’accession au trône de son second fils Jean le Pieux, que l’Inquisition portugaise sera déclarée en 1536. Les Juifs, une fois de plus doivent choisir : l’exil, la conversion ou la mort. Certains tenteront leur chance vers de nouveaux horizons car le Nouveau Monde offre de nouvelles perspectives et de nouveaux espoirs. Aussi se transformeront-ils en explorateurs, navigateurs, marins et même pirates !
Certains iront s’établir à Amsterdam, Constantinople ou encore au Maroc. D’autres, plus téméraires, iront jusqu’à la Jamaïque sous la protection de Christophe Colomb, au Brésil, en Californie, mais où là aussi, ils seront rattrapés par le gant de fer de l’Inquisition.
Le Portugal, un immense paradoxe
Dans l’encoignure des portes, creusé à même la pierre, l’espace précieux des Mezouzot. Nous caressons du bout de nos doigts ces témoins chargés d’histoire et de tristesse : le Juif n’est plus. Et pourtant…
Certains se cachèrent et résistèrent. Certains artisans voulurent laisser des traces, tels des pieds de nez insolents à l’Eglise toute puissante. Des ébénistes taillèrent des petites Magen David sur les plafonds d’un monastère, des maçons creusèrent des Menorot dans le bas-relief du château d’un seigneur médiéval. Sous peine d’encourir la mort, ils voulurent témoigner : nous sommes toujours là, nous sommes vivants…
Nous nous promenons, le nez en l’air, le dos courbé, les yeux scrutant ces signes à la manière de Sherlock Holmes et lorsque l’un d’entre nous trouve un indice, nous rions, heureux, émus, nous avons vu ton signe mon frère…
Ceux qui ont vécu ainsi dans l’obscurité, la peur au ventre, Chrétien le jour, Juif la Nuit, se lèvent aujourd’hui des cendres des Autodafé et proclament haut et fort leurs origines. Nous avons passé avec les participants de notre voyage HaShorashim un shabbat bien émouvant avec le Rav Elisha de Belmonte qui leur enseigne à nouveau leur héritage. Ces élèves viennent de tout le Portugal pour les Shabbat et les Fêtes. Ils chantent, dansent et pleurent aussi… Je suis Juif ! ils nous attrapent la main, les yeux brillants, et revendiquent leur identité. Ils viendront avec leur « Rabino » par petits groupes en Israël terminer leur conversion.
Nous leur donnons des drapeaux de leur nouveau pays. Notre guide et notre ami, Paolo s’en drapera durant tout notre séjour. Car le Portugal est un immense paradoxe. Après ces siècles de terreur, d’abandon, de solitude durant lesquels les Juifs coloriaient de rose leur poulet pour faire croire qu’ils mangeaient du porc, il n’existe pas aujourd’hui d’antisémitisme dans ce petit bout d’Europe. Nous nous promenons dans les rues, kippot au vent sans être inquiétés, y rencontrons des dizaines d’Israéliens car le Portugal est un pays magnifique, coloré, chaleureux et terriblement dépaysant. Quelle ironie tandis qu’au même moment, les Juifs de France et de Navarre vivent une toute autre réalité !
Retour à la maison
Sarah est une jeune élève du Rav Elisha. Elle a retrouvé le chemin de ses ancêtres et est aujourd’hui pratiquante. Elle s’apprête à faire son Alyah avec son mari. Elle seconde à présent le Rav dans sa mission et raconte des histoires incroyables qui font saigner nos cœurs : elle part à la recherche d’autres conversos dans les coins les moins peuplés, les plus reculés du Portugal. C’est là qu’en 2016, se terrent encore des Juifs qui continuent de pratiquer en secret leur judaïsme quelque peu déformé certes, quelque peu simplifié il est vrai, mais combien émouvant. C’est ainsi qu’elle rencontra un jour trois Juifs dans une église. Ce pourrait être le début d’une histoire Hassidique. Elle les entendit réciter le Shéma près du bénitier. Elle essaya sans y parvenir de les convaincre de sortir, de leur faire comprendre qu’ils n’avaient plus besoin de faire semblant, qu’ils pouvaient désormais être juif en toute sécurité. Ils préférèrent en rester là, on ne sait jamais, si leur « couverture » venait à être exposée, qui sait quelles pourraient en être les conséquences. Sarah ne désespère pas, elle y retournera et essayera de nouveau, avec patience, avec douceur, elle leur tendra la main et ne les laissera pas s’en aller à la dérive, après tout ce qu’ils ont traversé.
Claudia est une jeune portugaise moderne, énergique et pleine d’assurance. Elle me confie être certaine ne pas descendre de conversos. Elle a fait des recherches, elle sait de quoi elle parle. Les hommes et femmes de sa famille, inscrits sur son arbre généalogique ont bien des prénoms bizarres, Yoshoua et Raquel, mais c’est sûr, ils ne sont pas juifs…
L’émotion nous étreint au moment du départ mais nous leur donnons rendez-vous très bientôt. HaShorashim sera là pour accueillir nos frères en Israël et célébrer leur entrée officielle au sein de notre peuple. Ils y trouveront une grande famille. Bienvenue à la maison !
Pour tout renseignement sur les activités de HaShorashim, contacter par mail [email protected]