Le dimanche 13 janvier, le campus francophone
du Collège Académique de Netanya vous donne rendez-vous pour une conférence
autour du thème: ”Israël demain: démographie et identité”. Deux
universitaires reconnus seront mis à l’honneur: Denis Charbit, politologue et
Sergio Della Pergola, démographe.
A cette occasion, LPH s’est entretenu avec ce dernier afin d’évoquer les sujets
centraux de ses études depuis de nombreuses années et qui en font une référence
dans le domaine de la démographie du monde juif.
Le P’tit Hebdo: Etudier la démographie du monde juif suppose comme préalable une définition de qui est Juif. Quelle est-elle?
Sergio Della Pergola: Lorsqu’il s’agit d’un sujet universitaire et plus précisément de recherches en sciences sociales, cette définition ne colle pas exactement avec celle prônée par la loi juive, la hala’ha.
Nos études consistent à observer ce qui se passe dans les sociétés, à enquêter pour recenser et repérer une population qui s’identifie comme Juif. Toutefois, il est intéressant de relever, que ce critère d’auto-identification, correspond dans les grandes lignes à ceux qui répondent aux critères rabbiniques. Donc, même si, a priori, nos études se basent sur une définition non religieuse, stricto sensu, les nuances sont marginales et dans l’ensemble, nos statistiques respectent aussi la définition rabbinique de qui est Juif.
Lph: Dans certains pays, comme la France, le recensement sur la base ethnique ou religieuse est interdit par la loi. Comment menez-vous votre travail compte-tenu de ces contraintes?
S.D.P.: Dans la plupart des pays, en effet, il n’existe pas de recensement officiel, avec mention de la religion. Mis à part dans quelques pays de culture anglo-saxonne (Australie, Canada et depuis récemment le Royaume-Uni), cette catégorisation n’est pas pratiquée, à l’image de ce qui se fait en France ou aux Etats-Unis.
Nous devons donc chercher des voies alternatives pour arriver à une estimation. Plusieurs méthodes sont à notre disposition afin de constituer des échantillons représentatifs. Par exemple, nous procédons à des appels téléphoniques aléatoires et nous posons toute une série de questions dont celle de l’appartenance religieuse ou ethnique. A partir des réponses obtenues, nous approfondissons le sujet. Mais il est vrai que cette façon de travailler est coûteuse et sujette à plusieurs refus de coopérer.
Nous nous appuyons aussi sur des travaux d’autres universitaires ou instituts de recherche dans ces pays. En France, mon ami, le Pr Eric Cohen, z”l, a publié les travaux les plus importants sur les Juifs. Aux Etats-Unis, l’institut Pew a effectué plusieurs enquêtes intéressantes sur la population juive.
Lph: Quels sont les objectifs que vous recherchez à travers vos recherches?
S.D.P.: Nos recherches sont indépendantes de tout acteur politique ou économique et n’a pas, non plus, pour but de servir une cause sociétale.
L’étude des minorités, des groupes ethniques et religieux a pris une place de plus en plus importante dans le monde contemporain, notamment en raison de l’augmentation des conflits liés à ces populations.
Nos objectifs sont doubles: d’abord décrire les aspects démographiques, socio-économiques et culturels du monde juif et ensuite procéder à des comparaisons entre les communautés juives dans le monde et notamment entre la Diaspora et Israël.
Lph: Quelles différences notables avez-vous relevé?
S.D.P.: Les Israéliens sont plus jeunes, se marient plus jeunes et ont plus d’enfants que les Juifs de Diaspora. En dehors d’Israël, on constate une diminution lente du nombre de Juifs. Israël est une base hétérogène, pour l’heure, mais elle tend à s’uniformiser, au regard de sa population juive. Ces études comparatives nous permettent de comprendre et de prévoir l’évolution de la société.
Lph: Vous observez aussi l’évolution de la population juive par rapport à la population arabe en Israël. Quelle est la tendance qui se dégage?
S.D.P.: En Israël, l’étude démographique se base sur
des données très officielles. Le Grand Rabbinat applique les règles halahiques
pour déterminer qui est juif et le registre central de la population fait
clairement mention de la religion.
A la dernière mise à jour, si l’on compte tous les habitants d’Israël, y
compris la Judée-Samarie, on dénombre 9 millions d’Israéliens. Mais en réalité,
si l’on voulait avoir une image précise de la situation démographique d’Israël,
il faudrait y inclure les Arabes de Gaza et de Judée-Samarie, qui sont plus de
4,5 millions, ainsi que les travailleurs étrangers. Par ailleurs, il convient
aussi de prendre en compte les migrations internationales: les résidents qui
sont à l’étranger doivent-ils être comptabilisés?
C’est en basant sur ces chiffres pris dans leur ensemble que le calcul du pourcentage de Juifs et de non Juifs en Israël devient intéressant du point de vue démographique.
Lph: D’où viennent les chiffres de la population palestinienne de Judée-Samarie et de Gaza? Sont-ils vraiment fiables?
S.D.P.: La règle est de faire une lecture critique de chaque donnée et de ne pas tout prendre pour argent comptant. Concernant les chiffres de la population palestinienne, on estime qu’ils sont environ 2 millions à Gaza et 2,5 millions en Judée-Samarie et ce, à partir de recensements effectués par les Palestiniens sous le contrôle d’organisations internationales fiables et sur la base d’estimations indépendantes.
Lph: Concrètement, existe-t-il une menace démographique pour la population juive en Israël?
S.D.P.: Vous avez d’un côté les minimalistes qui soutiennent qu’il n’y a aucun risque que la population juive devienne minoritaire en Israël. De l’autre, les maximalistes agitent la menace démographique. Ma position est médiane. Aujourd’hui, les populations juives et arabes sont à l’équilibre, si l’on prend en compte les Palestiniens de Gaza et de Judée-Samarie.
Ce qui pourrait faire une légère différence, ce sont les 5% recensés comme ni Juifs, ni Arabes, et qui sont en réalité, des personnes qui ne sont pas reconnues comme juives par le Grand Rabbinat d’Israël, comme une partie des olim de Russie et les enfants nés en Israël d’un couple mixte où la mère n’est pas juive. D’un point de vue sociologique, il faudrait inclure ces 5% au sein de la catégorie “Juifs”. Si tel était le cas officiellement, les Juifs seraient en majorité.
Cette répartition égalitaire n’est pas destinée à changer à l’avenir.
Lph: Même si l’on prend en compte le fait que les femmes arabes font désormais moins d’enfants que les femmes juives et que la balance migratoire juive est positive grâce à l’alya?
S.D.P.: La forte natalité dans les milieux orthodoxes compense la natalité arabe et la société israélienne devient de plus en plus religieuse justement parce que cette catégorie de la population a le plus d’enfants. Mais ce que l’on oublie, c’est qu’il ne suffit pas de prendre en compte la natalité pour estimer le développement démographique. Il faut aussi calculer le taux de mortalité et ainsi arriver au taux d’accroissement naturel de la population. Et de ce point de vue, le taux de mortalité arabe est inférieur à celui des Juifs. La population arabe est nettement plus jeune, par conséquent, on recense moins de décès. Le taux d’accroissement chez les Arabes est donc plus élevé que chez les Juifs.
Quant à l’alya, elle est un certes un facteur mais elle reste marginale quant à son impact sur les évolutions démographiques. Ce qui est déterminant, ce sont les naissances et les décès. 80 à 90% de l’accroissement total de la population vient de l’accroissement naturel. D’autant plus que l’on voit mal d’où pourrait arriver une grande vague d’alya. De France, on sait que l’idée s’est éteinte. Eric Cohen, z”l, avait estimé qu’il existait un potentiel de 250000 personnes mais en réalité, ce ne sont qu’une dizaine de milliers d’immigrants qui sont arrivés de France ces dernières années. Et les difficultés d’intégration ne favorisent pas une augmentation exponentielle du mouvement d’alya depuis la France.
Lph: Si l’on prend comme donnée de base, cette situation égalitaire entre population juive et arabe, l’Etat d’Israël est-il viable?
S.D.P.: Pour répondre à cette question, je ferais la distinction entre mes conclusions de recherches et ma position personnelle. Personnellement, j’ai fait mon alya d’Italie quand j’étais étudiant, en 1966, animé par l’idéalisme et le rêve d’un Etat juif et démocratique. Or, Israël ne peut pas être le centre spirituel, intellectuel et politique du monde juif sans avoir une grande majorité juive sur son territoire. Même en excluant Gaza de ces chiffres, on arrive à une répartition de 60% de Juifs pour 40% d’Arabes, ce qui n’est pas suffisant pour pouvoir fonctionner comme un Etat juif et démocratique. Le schéma de l’Etat binational n’a jamais fonctionné, on le voit avec les problématiques auxquelles sont confrontées l’Espagne (Catalogne) et le Royaume-Uni (Ecosse) et on l’a vu en Yougoslavie ou encore, plus pacifiquement, en Tchécoslovaquie. Donc, à mon sens, Israël doit s’acheminer vers une séparation entre les Juifs et les Arabes pour sauvegarder son identité.
Lph: Pour conclure, au regard des données démographiques du monde juif: quel avenir pour le peuple juif?
S.D.P.: Ce qui est certain c’est que l’avenir du peuple juif est de plus en plus israélien, dans l’état actuel des choses. Dans un avenir très proche, que j’évalue à une quinzaine d’années, la majorité des Juifs du monde se trouvera en Israël, la Diaspora deviendra la minorité. Ce sera un changement historique.
Conférence de Sergio Della Pergola et Denis Charbit, le Dim 13 Janvier, 20h
Campus Francophone du Collège Académique de Netanya
Inscription : [email protected] 09- 8607417/ 09- 8607898
Propos recueillis par Guitel Ben-Ishay
Il me semble , mais si je me trompe , je demande pardon à M.Della Pergola , donc il me semble que ce genre d’étude
avait été réalisé il y a de nombreuses années,avant même le rêve d’une arrivée massive de Juifs d’URSS et le pessimisme était de rigueur … et quelques années après le nombre de Juifs venus de Russie a complètement changé la donne…
Israël est le pays des miracles , comment y faire des prévisions chiffrées ??? peut-être qu’un jour de nombreux gazaouis retrouveront leurs racines juives ???