Face à ce qu’on appelle modestement une pluie de roquettes, qui sont en réalité près de 500 missiles tirés en direction des populations civiles de notre pays, la réponse militaire d’Israël a été: un cessez-le-feu et la recherche d’un accord avec le Hamas. La colère des habitants du sud, premiers concernés, gronde et dans l’absolu, les Israéliens, ont en majorité du mal à comprendre où va leur gouvernement. Ils sont 49% à penser que le Hamas est sorti victorieux de ce round et 74% se sont déclarés très mécontents de l’action de Binyamin Netanyahou dans cette escalade.
Notre premier ministre se défend en arguant du fait que nous n’avons pas tous les éléments en mains, et que s’il pouvait partager certains secrets avec ses concitoyens, nous lui donnerions raison…
Alors que penser? Comment comprendre ces événements sur le plan stratégique? LPH s’est adressé à un homme d’expérience pour décrypter cela: le Général (rés.) Ouzi Dayan. Ancien officier de la fameuse sayeret Matkal, il a eu un certain Binyamin Netanyahou sous ses ordres. Ouzi Dayan a également été adjoint au Chef d’Etat-Major et conseiller pour la sécurité nationale. Aujourd’hui, il est à la tête du Forum Mivta’hi.
Le P’tit Hebdo: Depuis le désengagement de Gaza, nous avons mené plusieurs opérations militaires. Cette fois-ci, le gouvernement a opté pour un cessez-le-feu: pourquoi?
Ouzi Dayan: Nous sommes, à Gaza, dans un processus infernal. Nous avons livré cette partie du territoire à l’Autorité Palestinienne sur un plateau d’argent. Elle l’a perdu en faveur du Hamas, qui en a fait une sorte d’Etat terroriste. La question qui se pose à chaque fois est de savoir ce que l’on fait avec une telle organisation en face de nous: la considérons-nous comme une partie de la solution ou comme le problème? Pour moi, elle est le problème. La difficulté dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui, c’est que les menaces proférées par notre gouvernement, n’ont pas été suivies d’effets. Ce manque de crédibilité favorise notre ennemi et nuit à notre force de dissuasion. Aujourd’hui, le gouvernement a décidé de ne pas entrer en conflit, d’abord par peur des conséquences en nombre de blessés et de morts que cela impliquerait et parce que l’issue d’un tel conflit est incertaine. Même si on détruit des dizaines de bâtiments et que l’on frappe fort à Gaza, il suffit au Hamas de survivre pour être perçu comme le vainqueur.
Lph: Vous êtes de ceux qui pensent que Tsahal a perdu sa force de dissuasion?
O.D.: Je suis prudent, parce que pour avoir moi-même été à des postes de décideurs, je sais qu’il est toujours plus facile de conseiller que de trancher. Je m’exprime avec le bénéfice de mes années d’expérience dans le domaine.
J’ai été élevé dans une mentalité qui consistait non pas à dénoncer ce que l’on me faisait, mais à proposer des solutions. Je comprends ceux qui déplorent la situation, qui critiquent les décisions et s’inquiètent de la force de dissuasion de notre armée. Mais ce n’est pas ainsi que je procède: je préfère réfléchir à des réponses.
Lph: Quelles sont ces réponses?
O.D.: La force de dissuasion de notre armée peut resurgir si l’on applique quelques principes. Tout d’abord, nous devons menacer les fondements de l’existence du Hamas et agir en adéquation avec ces menaces. Menacer ses fondements cela signifie soit éliminer ses chefs, soit les expulser du territoire où ils règnent. L’armée ne doit pas attendre que le Hamas propose l’arrêt des hostilités pour arrêter aussi. Elle doit être force de proposition pour reprendre la main. Par exemple, nous devons cesser d’annoncer systématiquement nos cibles avant de frapper, nous devons aussi reprendre les assassinats ciblés.
Notre dissuasion passe aussi par la conscience d’une responsabilité commune entre le niveau militaire et le niveau politique de notre pays. Nous devons définir clairement des missions accessibles qui nous permettront de nous repositionner.
Les citoyens comptent aussi dans la prise de décision. De la colère du peuple sort un consensus sur le prix à payer pour rétablir le calme au sud du pays. Elle doit être entendue.
Sur le plan strictement militaire, il est absolument nécessaire de reprendre goût à la victoire. Le peuple a l’impression que l’armée parle beaucoup de valeurs, se présente comme une armée éthique, mais qu’elle perd de vue la valeur essentielle: la victoire.
Lph: Ce que vous dites interpelle: notre armée ne veut plus gagner?
O.D.: Nous sommes prisonniers de tant de considérations éthiques et juridiques que nous perdons de vue ce qui compte vraiment. J’ai été rendre visite à la famille du Lieutenant-Colonel M. qui a été tué à Gaza, lors d’une mission secrète. J’ai aussi été à Sdérot. Le sentiment qui ressort c’est que l’on doit restaurer l’image du combattant qui appuie sur la gâchette et pas uniquement sur une souris d’un ordinateur. Un conflit se gagne sur le terrain, ce sont les combattants qui apportent la victoire.
Parce qu’au final, quand on observe la situation à Gaza, le Hamas rend la vie dure à ses habitants, mais n’obtient rien en retour. Nous sommes beaucoup plus forts.
Lph: Vous évoquiez les contraintes juridiques. Il est vrai qu’on a le sentiment qu’elles ont une trop grande importance dans la conduite des opérations militaires. Pourquoi?
O.D.: Là aussi, nous devons revenir aux fondamentaux. Comme nous l’a prouvé le Lieutenant-Colonel M., notre armée se base sur des exemples d’officiers qui partent en tête, qui ne se cachent pas derrière leurs hommes. L’officier est responsable de ses soldats et de la mission qui leur est confiée. En ce sens, il doit tout assumer: les réussites mais aussi les échecs, les erreurs, les fautes. Il doit tout faire pour comprendre ce qu’il s’est passé, en tirer les leçons et le cas échéant punir. Mais il doit éviter au maximum d’alerter la justice. Dans ma carrière j’ai souvent eu l’occasion d’être confronté à ce type de situation. Il ne m’est arrivé qu’une fois de m’adresser au tribunal militaire. Un officier doit soutenir ses combattants, ce qui ne veut pas dire fermer les yeux.
Lph: Avec la démission du ministre de la Défense, notre position militaire est-elle encore davantage affaiblie face au Hamas?
O.D.: Avigdor Liberman s’est retrouvé dans une position délicate puisque son opinion n’a pas été suivie par les forces de sécurité au sein du cabinet. Sa démission est compréhensible. Néanmoins, à mes yeux, elle est irresponsable parce que cela contribue à affaiblir notre force de dissuasion. Cela conforte le Hamas dans son idée qu’il contrôle le timing des affrontements.
Lph: Les habitants de la bordure de Gaza sont persuadés que si les roquettes tombaient sur Tel Aviv, la réponse de notre armée serait différente. Ont-ils raison?
O.D.: J’ai grandi dans un mochav dans la vallée de Yizreel, près de la frontière. Je sais ce que c’est que de vivre à portée de tirs de nos ennemis. Les personnes qui y vivent, qui s’y installent, savent que ce n’est pas comme vivre à Tel Aviv. Ces régions ne connaitront jamais le calme des rues de Tel Aviv. Ceci étant dit, le sang des habitants du centre du pays ne vaut pas plus que celui des habitants dans les régions frontalières. Et nos soldats doivent les protéger, parce que leur sang ne vaut pas plus que celui des citoyens qu’ils servent.
Lph: Comment voyez-vous la suite des événements?
O.D.: Il est clair qu’il y aura un nouveau round. Nous devons déjà nous y préparer, et surtout avoir l’intention de mettre nos menaces à exécution. Le Hamas doit savoir que chaque écart, même minime de l’accord en vigueur actuellement, lui coûtera cher. Et si cela nous conduit à une escalade, alors il ne faudra pas fuir.
Propos recueillis par Guitel Ben-Ishay
Avec tout le respect du à Ouzi Dayan, ses déclarations sont aussi un peu langue de bois.