Vous avez certainement déjà entendu des rabbanim vous expliquer à quel point les générations sont de moins en moins compétentes ou méritantes. Le Talmud ne dit-il pas, que “si les anciens étaient des anges (“bney malakhim”), c’est que nous sommes des hommes et s’ils étaient des hommes, c’est que nous sommes des ânes!” (Chabbat 112 b). Or il me semble que l’usage répété du concept de “dégradation des générations” (“yeridat hadorot”) est à la fois maladroit et erroné. Maladroit parce qu’à force d’assener à nos enfants et à nos élèves qu’ils sont intellectuellement et moralement inferieurs à ceux qui les ont précédés, on finit par leur ôter tout sens critique. En effet, comment des ânes oseraient-ils remettre en question un enseignement transmis par des humains ou des anges? Or, sans la possibilité d’objecter il n’y a pas d’étude possible. Erroné parce que cet adage talmudique n’a probablement jamais eu le sens qu’on lui prête aujourd’hui.
Prenez par exemple, la Haftara de cette semaine. Elle nous décrit comment le roi Salomon s’y est pris pour construire le Temple de Jérusalem. Apparemment, le texte semble vouloir nous faire revivre l’émotion produite par cet événement historique : “Ce fut 480 ans après la sortie des enfants d’Israël d’Egypte, à la quatrième année du règne de Salomon, au mois de Ziv qui est le deuxième mois de l’année (Iyar), qu’il construisit la maison de Dieu” (Rois I, 6,1). Derrière le style volontairement solennel du verset, il y a aussi la volonté de remonter le temps jusqu’à la sortie d’Egypte. Comme pour rappeler que tant que le Temple n’était pas construit, le processus entamé près de 5 siècles plus tôt sur les bords du Nil n’était pas complètement achevé, ainsi d’ailleurs que Moïse lui-même l’avait expliqué (voir Rachi sur Devarim 12,9).
Mais en même temps, se cache dans notre Haftara et dans les chapitres qui suivront une ironie amère. Des termes sortis tout droit de l’univers concentrationnaire égyptien apparaissent soudain pour décrire le prix que le peuple fut forcé à payer afin de bâtir l’Empire de Salomon en général et le Temple de Jérusalem en particulier. L’expression “nosssé sabal” (5,29) utilisée pour désigner les 70000 travailleurs de force que Salomon employa à la construction du Temple ne rappelle-t-elle pas le “vayar besivlotam” de Moïse constatant pour la première fois la souffrance de ses frères opprimés (Chemot 2,11) ? Les 3300 gardiens nommés par le roi pour veiller au bon déroulement des travaux ne sont-ils pas appelés “harodim baam” (5,30), les ‘oppresseurs du peuple’, reprenant ainsi l’expression utilisée pour interdire de maltraiter les esclaves dans le chapitre 25 de Vayikra (versets 43, 46 et 53)? Plus tard n’apprendra-t-on pas que Salomon avait fait construire de gigantesques entrepôts, “aré miskenot” (Rois I, 9, 19), exactement comme Pharaon avant lui (Chemot 1,11) ? Ne possèdent-ils pas tous deux (Chemot 14, 9 et Rois I 9,19) une multitude de chars (“rekhev”) et de cavaliers (“parachim”)? Et surtout, en dressant le bilan du règne de Salomon, le peuple s’adressant à son fils Rehavam, n’utilise-t-il pas (12,4) l’expression “avoda kasha” (durs travaux), pourtant consacrée à l’esclavage des Hébreux en Egypte (Chemot 1,14)?
Le choix de cette Haftara pour la paracha de Terouma qui décrit la construction du Mishkan, nous pousse à comparer les conditions dans lesquelles les deux sanctuaires furent bâtis. Le premier était portatif, démontable et fragile. Pour le construire, Dieu fait appel à la générosité du peuple “prenez ma ‘terouma’ de tout celui dont le cœur voudra bien donner” (Chemot 25,2). Le second fut grand et somptueux mais ne put être réalisé qu’en levant de lourds impôts (5,27) et en organisant des travaux forcés qui rappelaient de bien mauvais souvenirs. A la mort de Salomon, son fils refusa d’alléger le poids que l’entretien de l’Empire faisait peser sur le peuple. Pire, il menaça celui-ci d’être plus sévère encore que son père. Le royaume d’Israël n’y survivra pas. Le schisme le divisa en deux petits Etats qui ne purent résister bien longtemps aux menaces extérieures. En forçant si violemment le peuple à construire le Temple, Salomon sema les graines de ce qui provoquera finalement sa chute.
Il avait oublié que Dieu réside davantage dans le cœur des Hébreux qu’entre les pierres du Temple, fut-il imposant et majestueux. “Qu’ils me fassent un sanctuaire et je résiderai parmi eux”, nous dit la Paracha. “Parmi eux, pas en lui”, remarquent nos Sages dans leur célèbre commentaire.
Notre génération est plus méritante que les générations passées parce qu’aujourd’hui personne ne peut nous imposer la pratique des mitsvot: ni le Sanhedrin, ni la pression de la communauté, ni le poids politique des partis religieux à la Knesset, ni même l’autorité parentale. Comme pour la construction du Mishkane, c’est “celui dont le cœur voudra bien” qui répondra présent à l’appel de son Créateur! Plus que jamais, Dieu ne se trouve pas dans les grands bâtiments ou dans les solides institutions, mais bel et bien dans les cœurs de ses enfants.
Arrêtez-moi si je dis des bêtises…
Rav Elie Kling
A l’occasion de la fin des 12 mois de deuil depuis le départ de Mme KLING Esther ז”ל, notre maman, épouse du Grand Rabbin Jean KLING ז”ל, nous nous réunirons si D’ veut pour la Askara au מועדון פייס de Kfar Maïmon-Touchia, Dimanche ג’ אדר (18/02) à 19h30 précises .