Il a suffi d’une affiche pour enflammer les réseaux sociaux. Elle portait le titre: Alya à Metz. L’objet de cette publicité était de vanter les mérites et la qualité de vie au sein de la communauté juive de cette ville française, afin d’attirer des coreligionnaires, notamment de la région parisienne. Si le titre choc a fait ”le buzz”, nous avons voulu en savoir plus sur ce qui se cache derrière. Nous nous sommes donc entretenus avec deux des principaux acteurs de ce nouveau concept qualifié d”’alya interne”.
Pascal Zajdman
Trésorier de la communauté de Metz
Le P’tit Hebdo: Avez-vous été surpris par l’ampleur des réactions?
Pascal Zajdman: En effet, nous ne nous attendions pas à autant de réactions. Metz est une communauté ancienne, de taille moyenne. Nous avons beaucoup d’ambitions et de choses à offrir. L’idée est née tout simplement de cela.
Lph: Comprenez-vous les réactions parfois indignées, notamment par l’utilisation du mot alya?
P.Z.: Dans un sens oui. Mais je pense qu’elles sont liées à un défaut de compréhension de ce que nous proposons et de notre état d’esprit. Pour nous, l’alya est une démarche très importante. Nombre de membres de notre communauté sont d’ailleurs installés en Israël et nous en sommes très heureux. Nous organisons même des cours d’hébreu avec l’Organisation sioniste mondiale. Il ne s’agit pas de concurrencer les départs vers Israël. Cela fait un an que nous avons créé le site alyametz.com et jusqu’à maintenant nous n’avons pas eu de réactions négatives. Une dizaine de personnes nous ont même contactés et envisagent de venir s’installer à Metz. Il faut comprendre qu’un certain nombre de Juifs ne se sentent pas en sécurité en région parisienne et/ou ne peuvent plus assumer le coût de la vie. Ils n’ont pas toujours ni les moyens et parfois même ni l’envie de partir en Israël. Nous proposons une solution: Metz est une communauté dynamique, avec une école juive primaire et collège. Nous y vivons notre judaïsme de façon totale et tous les courants de pratique y sont représentés. Metz est une option que nous voulons faire connaitre, mais elle peut aussi n’être qu’une étape vers Israël. Il ne faut pas exagérer la situation.
Lph: Certains pensent que votre projet revient à créer un ghetto version 21e siècle?
P.Z.: Je ne comprends pas le sens de cette remarque. Sarcelles est un ghetto? Nous vivons en harmonie au cœur de la cité. Le but de ” cette publicité ” est d’inverser la tendance baissière du nombre de nos membres. Tous les nouveaux membres de notre Communauté venant de Paris ou sa région sont ravis de leur choix. Nous avons le devoir de sauver nos communautés et d’offrir des solutions communautaires aux Juifs de France, sinon nous courons un grave danger d’assimilation.
Dov Maimon
Chercheur au JPPI, l’Institut de prospective de la Politique du Peuple Juif
Le P’tit Hebdo: Vous êtes à l’origine d’un projet similaire à celui de Metz, mais à Colmar en Alsace. Pourquoi vous, acteur majeur de l’alya et de l’intégration en Israël, pensez que ce projet est positif?
Dov Maimon: C’est lors d’une conférence que j’ai donnée à Mulhouse pour Yom Haatsmaout que j’ai compris la nécessité d’un tel projet. Les communautés d’Alsace sont en train de fermer et Colmar voit son avenir avec difficulté. Les chiffres sont ainsi: 50000 Juifs ne se sentent plus en sécurité. Ceux qui ont les moyens sont passés à l’Ouest de la région parisienne, certains ont fait leur alya. Le reste, pour des raisons familiales, financières ou professionnelles ne partiront ni dans les beaux quartiers, ni en Israël. Ces personnes sont prises au piège, doit-on les abandonner? Ce projet permet de donner une solution et de maintenir encore un lien au judaïsme et à Israël dans des endroits qui semblent condamnés à en être déconnectés. Il faut bien entendu établir un plan de développement, avec un volet emploi, un volet marketing (chabbatot de découverte dont un se tiendra le 6 juillet prochain, familles d’accueil, communication, prospection), un volet financement et un volet logement. Et évidemment établir une taskforce avec un calendrier et un responsable dédié. Tout cela est vrai pour tous les projets au monde.
Le critère déterminant est l’emploi. Il faut nommer un responsable emploi chargé d’aider les candidats et de prospecter les emplois appropriés auprès des employeurs juifs (notamment pour les juifs pratiquants) et non juifs.
Lph: Pourquoi pas une solution qui viendrait d’Israël pour ces familles?
D.M.: L’Etat d’Israël n’a pas mis en place de projets de type HLM ou de formations professionnelles qui pourraient convenir à ces familles. On a des initiatives comme l’alya de groupe de Chalom Wach mais cela ne suffit pas.
Ceci dit, dans la perspective du JPPI et du ministère de la Diaspora, ce projet fait sens. En effet, nous voyons l’Europe comme l’Hinterland, la zone de développement d’Israël. Ceux qui ne peuvent pas venir en Israël doivent y être connectés. L’Alsace en l’occurrence peut être vue comme une banlieue d’Israël: à 30 minutes de l’aéroport de Bâle, il est tout aussi facile et pas forcément plus coûteux en temps et en argent de se rendre à Tel Aviv qu’à Paris. Des organisations comme l’Agence Juive ou l’OMS ont des points de chute en France grâce à ces communautés redynamisées. Nous créons ainsi un nouveau paradigme Israël-Diaspora: il n’est plus question de nier l’existence d’une Diaspora.
Lph: De là à parler d’alya?
D.M.: On a pu parler de blasphème au regard de l’utilisation du mot alya. Le blasphème c’est surtout de ne pas être capables d’organiser des programmes pour faire venir ces gens en Israël, de ne pas savoir saisir cette opportunité. L’Etat d’Israël a d’autres priorités et ne voient pas les Juifs de France comme étant dans une situation de détresse. La délocalisation de communautés entières vers Israël devrait être un véritable projet pour l’Etat. Le manque d’implication de l’Etat vient d’un manque de volonté mais aussi parce que les populations en France ne sont pas toujours motivées pour bouger. Se déplacer à Metz, à Colmar représente une solution pour quelques centaines de familles et, en un sens, peut être une sorte d’alya, en se rapprochant du cœur juif de la communauté. Cela peut aussi être une alya vers Israël par étapes. Vivre dans un lieu moins onéreux permet de faire des économies pour voir plus loin. Et ces communautés ont le mérite de maintenir un lien permanent avec Israël. Elles jouent le rôle d’abris, en attendant de pouvoir rentrer chez nous dans de bonnes conditions.
Lph: Ce projet s’adresserait alors peut-être surtout aux Israéliens, pour réveiller les consciences?
D.M.: Les Francophones d’Israël ont parfois tendance à faire de la ”rationalisation”, c’est-à-dire à noircir le tableau de là d’où ils viennent pour donner du sens à leur démarche. Pour ma part, j’ai de l’empathie, je ne critique pas, je comprends qu’à 40 ans, avec 2000 euros par mois, l’alya soit difficile à envisager. Nous ne sommes pas là pour juger mais pour aider. Dans cette perspective, nous, Français d’Israël, devons nous mobiliser pour accueillir ces familles ici. Je suis en contact avec des Francophones de Maalot, Carmiel, Netivot et Ako ainsi qu’avec ces municipalités. Ils veulent accueillir des olim. Nous devons nous organiser dans ces endroits et faire pression sur le gouvernement pour que ces alyot se concrétisent. Oui, le projet que nous montons en France doit être un signal d’alarme pour les Israéliens: ils sont en train de rater une opportunité. La situation idéale demeure de mettre fin à plus de 2000 ans d’exil et à rentrer en Israël.
Propos recueillis par Guitel Ben-Ishay
Publicité pour Alya Metz parue dans Actualité Juive