Article écrit par Sarah Musto
C’est vraiment bizarre. Je m’attendais à voir la cathédrale brûler de loin, à me dire “c’est bien dommage pour Votre D(r)ame , mais heureusement pas de pertes humaines, ça me rappelle Quasimodo et Victor Hugo, et où ai je mis mon porte clé?” Et pourtant, je suis touchée, et surprise d’être touchée. Certes ce n’est pas le même sentiment que lorsqu’il y a un attentat en Israël, mon pays et amour de ma vie, là je suis touchée à vif, ce sont les vies humaines et les âmes de mes frères et sœurs, ma chair et chère terre, chaque victime c’est moi, c’est mon insupportable et bien aimé chauffeur , c’est ma banquière, ce sont les petits frères de mes amis que j’ai vu grandir et revêtissent l’uniforme de Tsahal, c’est mon arrêt de tram du matin, c’est la voisine qui me prend en stop.
Et là pour une cathédrale de France, un monument de Pierre, une église, je suis touchée. Sacrebleu, Sacré Coeur, je ne comprends pas l’illogisme de cette émotion. Aucun mort, rien, pas même un blessé, pas de Cosette à transformer en symbole, pour avoir au moins l’excuse de cristalliser les larmes. Certes , Notre Dame, c’était le personnage principal du livre d”Hugo, d’ailleurs le seul personnage féminin du roman dont je n’ai pas trouvé que la consistante, la chair n’a pas été négligée par l’auteur. J’ai goûté la Notre Dame de Paris, comme une goûte néophyte un grand cru. Quant au dessin animé le Bossu de Notre Dame il m’a toujours fait peur.
Et puis bon un monument cela se reconstruit. D’ailleurs cela a déjà commencé, Notre Dame peut rougir d’avoir récolté en quelques heures plus de dons que ce que tous Les Misérables n’obtiendront jamais. Les miracles n’accourent pas si vite pour tous les Jean Valjean de Paris.
Je suis trop loin, depuis trop longtemps pour m’identifier aux drames individuels qui brûlent la France. Je suis Juive et je vis en Israël depuis presque 12 ans. Je ne connais Paris qu’en chanson. Et comble des combles de Notre Dame je ne peux y rentrer dans cette Eglise, puisque s’y trouvent des statues que la Loi Juive tient au rang d’idoles, certaines statues représentant d’ailleurs le judaïsme aveugle et déchu de la vérité, près d’un christianisme beau et triomphant. Alors quoi? Si ce n’est ni pour l’amour de l’art ou de l’histoire, ni pour l’Eglise, ni Paris, ni par attachement ou souvenir personnel, ni Disney ni Victor Hugo.
Je crois que c’est ma part de France qui est touchée. J’ai toutes les peines du monde à me raccrocher à cette part de moi que je ne veux pas oublier pourtant.
J’ai dépassé le péché de jeunesse des premiers temps de l’alya, où souhaitant devenir une vraie israélienne je concentrais mes forces à construire ma nouvelle identité sans me plaindre des difficultés d’immigration. Je suis à l’échelle individuelle le chemin que le pays a parcouru à ses débuts, quand au temps d’Eliezer Ben Yehouda et des shorts des kiboutzim il était interdit de parler, penser ou vivre autre chose que l’hébreu miraculeusement ressuscité en chacun. Chacun de nous est un petit pays d’Israel qui grandit. Mais aujourd’hui celui çi a presque 71 ans, mon alya va fêter sa bat mitzvah, je suis assez sûre de mon identité israélienne pour qu’elle ne se sente pas menacée par mon accent (français). Et si je suis fière je suis aussi un peu triste que les touristes français ne me croient pas quand j’affirme être française quand trouvent que j’ai un accent (israélien cette gois) dans la langue de Molière .(Alors que mon hébreu est encore loin d’être parfait) . Alors je cherche au fond des notes d’Edith Piaf l’adolescente de 15 ans que j’ai laissée en France .
J’essaie de rattacher sans le tâcher ce qu’il me reste de France, de découvrir, de lire, et d’aimer ce pays que j’ai quitté, non par rejet mais par amour d’un autre. Mais voilà plus je montre ma bonne (et sincère) volonté et plus je réalise que la culture, les coutumes me sont étrangères. Pire, que cette France me rejette moi et mes différences, (se serait elle vexée cette vieille dame à cheval sur ses conventions? (je met l’accent sur la première syllabe) si je ne me plie pas à des codes sociaux ancrés que je trouve d’ailleurs particulièrement idiots. La France attend qu’on parle Français même à l’étranger, la France attend que l’on mange à midi pétante devant le journal télévisé de PPDA et qu’on tape la bise mais qu’on vouvoie. Moi je tutoie mais base la bise. Je n’ai pas envie d’écrire en bas de mon mail des prières d’accepter des sincères salutations qui n’ont rien de sincère. Les saluts à Sion s’insèrent aussi, cela va dans le 2 sens je crois. J’ai déjà la délicatesse de supporter cette courtoisie qui toise court les différences. Et en Israël on connait le prénom de son banquier mais pas le nom de famille de ses profs. J’ai beau faire des efforts pour franchir le pont culturel je suis congédiée si ô sacrilège je critique la psychanabise et les “vous désirez?” . Oui je désire, pour être Franc(h)e de ne pas être basée pour ces manières quand je cherche à établir le dialogue. Alors pour toucher ce qu’il reste de mon identité française ce n’est plus par l’individuel, l’événement ou le détail. Trop loin. C’est fini. Je retrouve goût à cette France au fond de moi par le judaïsme d’après guerre, André Neher, Eliane Amado Lévy-Valensi, Levinas, mon grand oncle Adam Loss, je retrouve goût à cette France au fond de moi aussi par une certaine jeunesse éclairée et motivée. Je retrouve goût à cette France au fond de moi par les rares rabbins qui portent intelligence et écharpe tricolores, un en particulier, à qui je dois mon élan vers cette part de mon identité ainsi que l’espoir dans le judaïsme français que je croyais enterré par le dogmatisme.
Peut être que si j’eus habité en France j’aurais été assez près pour ne pas être touchée par l’incendie de Notre Dame. Mais la distance culturelle fait que je ne puis me rattacher à la France que par ses symboles, que je la cherche dans toutes ces images stéréotypées qui me tombent dessus quand mon accent est un peu trop fort pour les nés Israéliens. (“Ah toué françaize? comen sava? Less moi témé”, Oui douce France cher pays de mon enfance laisse moi t’aimer). Amélie Poulain, le vrai fromage, le dimanche et les vacances, l’accordéon dans les rues, “La vie en rose”, l’élittérature, le salon de Noël, le Louvre, “bonjour mademoiselle” , la Liberté guidant le peuple même vers moins d’égalité, Albert Camus, le chocolats, les fermes, la beauté et la “classe française” qu’on m’attribue (davantage grâce à mon accent que grâce mes habits si vous voulez mon avis mais c’est déjà ça), la Résistance, ne m’appelez plus jamais France la France elle m’a laissée tomber, les vaches laitières sur des hectares, Coluche, les manifestations, l’Amour enflammé avec le A qui ressemble à la Tour Eiffel, la baguette à midi, les droits de l’homme et les devoirs de la femme, le bon vin, Jacques Brel, les Mac(a)ron, les parfums de luxe que je suis fière de mieux prononcer que la vendeuse de Superpharm, Louis XIV et de Funès . Et Notre Dame.
Notre Dame qui brûle et c’est la part de ma France que j’essaie tant bien que mal de préserver malgré elle et parfois malgré moi, qui d’un coup se réveille. C’est quelque chose de plus grand, plus large que Dolto, que les journaux télévisés et ces codes sociaux idiots, c’est ma part de France, ce qu’il en reste, c’est un Paris que je ne connais pas et que j’essaie de rattacher à ma Jérusalem d’or.
Et bizarrement j’ai entendu cette part de moi qui s’est mise à gueuler quand Notre Dame a brûlé. Je me suis demandé d’où venait ce vacarme vu que la vieille dame (ai)grise était sourde à mes dernières tentatives de dialogue. Et la France s’est souvenue qu’elle était Notre Dame à tous et toutes, la Dame de tous les Français même de ceux qui l’oublient parfois, et Ma Dame, à moi aussi. Je vous prie de croire Madame, Notre Dame, en l’expresSion de mes très sincères condoléances.
Sarah Musto
bravo pour votre ouverture d’esprit…… les Cathédrales ont été baties par des Compagnons
proches d’ hachem (mais pas pris dans un endoctrinement chrétien du moyen age)
Ces compagnons existent toujours…oeuvrant dans beaucoup de constructions hors de ces délires
de personnes aux “ego” trop prononcés……voulant refaire ce qu’ils ne connaissent pas…..
C’est pourquoi votre “part de moi à gueuler”parce que ces compagnons avaient et ont bati dans du réel
pour approcher hachem et en cela leurs batiments ou plutôt leurs oeuvres laissent trace comme le Temple à tous les croyants
et non croyants et toutes religions
cordial shalom