Les récents succès militaires des Peshmergas – les combattants kurdes – contre l’Etat islamique le long de la frontière turco-syrienne rendent désormais possible l’unification territoriale des trois grands cantons actuellement aux mains du PKK (Parti des travailleurs kurdes) et de leur principale organisation combattante YPG. Mais le leadership politique kurde préfère agir avec finesse et prudence en se contentant pour l’instant d’une simple autonomie, et surtout en ne déclarant pas trop tôt l’Indépendance de leur Etat.
La fière résistance, ces derniers mois, de l’enclave kurde de Kobani au nord de la Syrie – que les miliciens pourtant acharnés de Daësh (Etat islamique – EI) n’ont pas pu reprendre -, puis la conquête, fin juin dernier, de l’importante ville de Tel Abyad arrachée à l’EI et de la localité d’Hassak, contrôlée jusque-là par l’armée d’Assad, permettent maintenant aux leaders kurdes de créer une continuité territoriale de près de 600 kms de long entre les trois grandes zones ou « cantons » qu’ils contrôlent depuis le nord-est de la Syrie jusqu’au nord-ouest de l’Irak et la région pétrolière de Kirkouk : celle de Djazéera, de Kobani et, plus à l’ouest, celle d’Afrine.
Mais au milieu de toutes les terribles bouleversements qui agitent l’ensemble de la région moyen-orientale depuis quatre ans, la longue expérience politico-militaire acquise au fil des décennies par le leadership kurde le fait agir avec une savante prudence : au lieu de brandir dès à présent le drapeau de leur indépendance, ils préfèrent d’abord sécuriser et administrer au mieux ces trois régions, tout en veillant à y maintenir une nette majorité kurde – qui pourrait un jour être menacée par le récent afflux de près d’un 1,5 million de réfugiés sunnites syriens et de Yezzidis (non-musulmans) irakiens dans ces territoires.
Un énorme besoin d’armes et de missiles antichars
Devenus depuis plus d’un an l’allié objectif de la coalition anti-EI menée par les Etats-Unis – qui bombarde par intermittence les positions de Daësh dans ces régions, comme ce fut le cas lors de la contre-offensive ratée de l’EI de ces deux dernières semaines -, les quelque 200 000 hommes en armes qui défendent vaillamment ce Kurdistan en formation manquent cruellement d’argent et d’armes. D’argent, parce que le gouvernement chiite pro-iranien de Nouri Al-Maliki installé à Bagdad se refuse toujours à reverser les revenus du pétrole kurde exporté par l’Irak et à attribuer, malgré ses promesses formelles, 17 % du budget de l’Etat à la région autonome du Kurdistan. Un manque d’armes aussi, parce que les Peshmergas se contentent le plus souvent d’armes légères… et de leur courage ainsi que de leur savoir-faire militaire acquis de haute lutte à l’époque où, dans les années 1980, le régime du dictateur Saddam Hussein avait massacré plus de 180 000 des leurs. En fait, ils manquent cruellement de missiles antichars qui leur permettraient de mieux combattre l’EI et l’armée syrienne. « Livrez-nous seulement quelques centaines de MILAN [missiles antichars français très efficaces-Ndlr], répètent avec insistance leurs officiers aux Occidentaux et même aux Israéliens, et nous pourrons en finir plus tôt avec Daësh dans nos cantons autonomes ! ».
La quadruple menace de l’Irak, de l’Iran, de la Syrie et de la Turquie
Autre facteur à l’origine de cette prudence et de cette fine patience des leaders kurdes : les menaces interventionnistes de moins en moins voilées que représentent les quatre Etats entourant ou empiétant sur le Kurdistan en formation : l’Irak désormais sous influence iranienne directe, ainsi que l’Iran lui-même (dont les régions nord-ouest sont peuplées d’une importante population kurde qui pourraient un jour revendiquer leur appartenance nationale), ce qu’il reste de la Syrie d’Assad (même si son armée est en pleine décomposition), et surtout la Turquie d’Erdogan, qui traine elle-même un lourd dossier kurde depuis des décennies. Erdogan n’a-t-il pas récemment menacé les autonomistes du Kurdistan syro-irakien jouxtant sa frontière d’y faire intervenir son armée, au cas justement où cette autonomie se transformerait en Etat kurde indépendant !?
Richard Darmon Edition française hebdomadaire de HAMODIA