Gérard Rabinovitch, philosophe, chercheur associé au CNRS et directeur de l’Institut européen Emmanuel Levinas de l’AIU :
Richard Darmon a posé quatre questions-clés sur les mégas-attentats de Paris à Gérard Rabinovitch, philosophe et auteur de l’ouvrage récemment paru « Terrorisme/Résistance – D’une confusion lexicale à l’époque des sociétés de masse » (Ed. Le Bord de l’Eau – 2014), et du livre « De la Destructivité humaine » (P.U.F. – 2009).
-Ce type de mégas-attentats commis en France étaient-ils prévisibles de la part de Daësh ?
-Tout cela était éminemment prévisible, et de fait annoncé… d’abord par Daësh lui-même. Et pas uniquement au motif – brandi comme prétexte – de la participation de la France à la coalition contre l’Etat islamique. Car la guerre de Daësh vise le monde entier… et notamment les Juifs, les « Croisés », les Chiites, les Yazédis, ainsi que les Musulmans insuffisamment « motivés ».
Ces actions meurtrières s’inscrivent aussi dans le cadre d’une compétition et d’une rivalité internes au Djihadisme relative à la démonstration de l’aptitude à la violence extrême, étalon – dans cet univers mental – pour obtenir l’allégeance des autres groupes armés. Enfin en France, l’un des principaux fournisseurs de candidats au Djihad en Europe continentale, elle est un moyen de recrutement. La violence extrême a donc une double visée : intimidante pour ceux pris dans le viseur, séduisante pour d’autres, recrutés par elle en ressources potentielles.
-La population française était-elle prévenue de ce danger ?
– Ces dernières semaines, quelques hauts gradés militaires français et figures du monde judiciaire ont essayé de faire passer un message d’alerte dans le public. Peut-être à l’insu ou sans l’assentiment des pouvoirs publics… Or, on ne peut pas dire, en tous cas, que l’ensemble des médias se soient précipités pour s’en faire l’écho ! Juste le moment et les lieux leur semblaient demeurer indiscernables. Toutefois, le pattern du meurtre en masse et le tropisme de viser des cibles significatives produisant une « plus value » de Terreur ou faisant message sous-jacent adressé aux autorités du pays appartiennent à la logique criminelle terroriste contemporaine. L’attentat – quoique manqué pendant l’été -dans le train Thalys était déjà porteur de l’annonce d’une terreur de masse décidée, lancée et à venir.
-S’agirait-il là d’un « changement de stratégie » et d’un tournant dans les axes prioritaires de Daësh ?
Pourquoi donc ? Vendredi matin, le quotidien Libération titrait en gros « L’État islamique sur la défensive » suite à l’offensive des forces kurdes sur Sinjar. C’est prendre ses désirs pour la réalité, comme les événements du soir même l’ont dramatiquement signifié !
Daësh s’est rallié et vassalisé aujourd’hui certains groupes djihadistes en Égypte, au Caucase, en Lybie, au Nigéria, en Algérie, au Mali, en Tunisie, en Afghanistan, au Yémen et tout dernièrement en Somalie. Il s’est rallié de nombreux officiers des ex-régimes fascistes « laïcs » de Saddam Hussein et de Kadhafi. Et donc la perte de Sinjar tombé aux mains des Kurdes n’est certainement pas le commencement de sa fin. Hélas, nous n’en sommes probablement qu’aux débuts d’une guerre terrible et mondiale !
-Il semble que ces attentats aient été commis par certains terroristes d’origine française appartenant à Daësh. Qu’est-ce que cela signifie pour la politique française ?
-Il est patent que Daësh exerce un fort attrait en France auprès d’un certain nombre de jeunes gens et jeunes filles dont il faut souligner qu’ils ne sont pas tous issus de l’immigration ni des banlieues. Un fort contingent des ralliés à Daësh viennent en effet des « classes moyennes » et de familles et milieux non musulmans… En France, les standards de la lecture sociologique dominante et son pathos compatissant sont profondément pris en défaut par la réalité. Incapables d’en rendre raison, ils risquent néanmoins de continuer à servir un déni de réalité. Et surtout pour certains – ça a déjà commencé avant même la fin du « Deuil national » de trois jours –, il s’agit de ne pas penser… Surtout boucher vite, vite, le trou de sens que ces morts cruelles font dans la léthargie, l’indolence, l’indigence et la complaisance ambiantes. L’arrivée des mal nommés « kamikazes » sans pitié ni crainte – en fait des zombies qui ne sont plus de cinéma -, c’est un incendie universel qui s’annonce ! Les responsables politiques lucides – il y en a peu… – risquent d’avoir du mal à se faire entendre.
Propos recueillis par Richard Darmon pour Hamodia