Traduit de l’hébreu par Michel Allouche
Le nouvel an de la ’hassidout.
La date du “Youd Teth” ou 19 Kislev, célébrée par les ’hassidim dans la fête et la joie, tient une place particulière dans le calendrier ’Habad : en ce jour de l’année 1798, Rabbi Chnéour Zalman de Lyadi fut libéré de la prison de Saint Petersburg. Le cinquième Rabbi de Loubavitch, le Rabbi “Rachab” enrichit cette date d’une dimension supplémentaire, puisque, dans l’une de ses fameuses lettres, il la désigna comme “la fête de la rédemption” et “le nouvel an de la ‘hassidout”. Pourquoi ce jour a-t-il reçu tant de couronnes, a priori sans lien ni mesure avec l’évènement en question ?
Au sens le plus immédiat, le 19 Kislev marque non seulement la fin de l’incarcération de l’Admour Hazaken mais aussi l’annulation de toutes les accusations qui avaient été dressées contre sa personne. Ces accusations représentaient un véritable danger physique pour lui et pour l’ensemble de ses ‘hassidim, là où ils se trouvaient. Il s’agit donc bien d’un jour de salut et de rédemption concernant un éminent dirigeant spirituel d’Israël et tous ses proches. Selon la tradition juive, les élèves et les descendants d’une personne sauvée au travers d’un miracle doivent prononcer une bénédiction de remerciements envers D-ieu. Et lorsqu’un tel miracle conduit à un kiddouch Hachem, à la sanctification du Nom Divin, cette obligation devient le lot de chaque juif.
La libération de l’Admour Hazaken et tout ce qui se l’entoura entrent bien dans un tel cadre. Elle doit d’abord être fêtée par tous ses disciples, tout au long des générations et par tous ceux qui continuent de puiser dans la source intarissable de son enseignement. Et s’agissant d’un kiddouch Hachem, la même obligation incombe à tout Israël. L’histoire juive est jalonnée d’autres exemples similaires et les Sages d’Israël n’ont d’ailleurs jamais hésité à instituer des jours de fête pour célébrer des miracles dont certaines communautés ou individus ont fait l’objet.
Le procès du ’hassidisme
Cependant, ce nous venons d’évoquer n’a trait qu’à la superficie des événements et n’en constitue pas l’aspect le plus important. De toute évidence, un caractère plus profond se cache en arrière-plan. (Lire la suite)
Souvenons-nous d’abord du contexte historique. Le mouvement ‘hassidique en était alors à ses débuts et bien qu’il fût déjà en pleine expansion, de nombreux adversaires se brandissaient sur sa route. Cette opposition, loin de s’effacer après la disparition du Gaon de Vilna, prit au contraire une tournure de plus en plus aigue et agressive. La pression exercée par différents chefs de communauté contre les ‘hassidim, forte de toutes sortes de moyens et de murs dressés, conduisit à une haine fraternelle considérable. Les calomnies dirigées contre l’Admour Hazaken par un petit groupe d’individus exprimaient ce dur ressentiment et annonçaient l’aggravation de ce combat spirituel.
L’incarcération de Rabbi Chnéour de Liady représentait en fait une vaste épreuve. L’issue négative de son procès aurait eu une conséquence des plus claires : le gouvernement tsariste se serait vu donner le feu vert pour réprimer avec force et avec une sévère cruauté le mouvement ‘hassidique, dans son ensemble et dans toutes ses branches. Et puisque les opposants au ‘hassidisme agissaient de l’intérieur – ne considéraient-ils pas les ‘hassidim comme une secte insolite ? –, la condamnation de l’Admour Hazaken aurait provoqué la destruction totale du mouvement.
Le procès de l’Admour Hazaken n’était autre que celui de la ’hassidout, au plan des accusations comme à celui des conséquences tragiques qu’un verdict néfaste risquait d’entraîner. Et inversement, lorsque le résultat du procès fut annoncé et que l’Admour Hazaken fut déclaré innocent, c’est toute la ’hassidout qui s’en trouva blanchie. Avec la disparition de ces accusations, le mouvement ‘hassidique pouvait dès lors sortir de son propre emprisonnement et se défaire de ses oppresseurs, à l’intérieur comme à l’extérieur.
La libération de l’Admour Hazaken marque le terme de la grande dispute menée contre la ‘hassidout. Certes, les juifs d’alors ne devinrent tous pour autant des ‘hassidim. De nombreux Sages d’Israël continuèrent d’adopter une attitude méfiante envers eux. Mais le combat actif, la tentative d’exclure leur mouvement de la communauté d’Israël cessèrent bel et bien. Le 19 Kislev est donc, d’un point de vue historique, le jour où la ’hassidout commença à s’ouvrir totalement au monde ; désormais, sa marche grandissante devait la conduire vers des milliers de foyers juifs. Ainsi, n’est-il pas surprenant qu’on le désigne comme le “nouvel an” de la ‘hassidout : à partir de cette date, le mouvement ’hassidique s’étendit et se fortifia, sans ne rencontrer ni haine ni opposition réellement active. Au contraire, même les juifs qui ne comptaient pas parmi les ‘hassidim finirent par adopter une attitude de respect et d’honneur à leur égard.
Le procès céleste
Néanmoins, le 19 Kislev n’est pas seulement le “nouvel an de la ’hassidout”, la véritable essence de ce jour va encore plus loin.
Les évènements extérieurs de l’Histoire sont en fait mus par des forces suprêmes. Cela est vrai du macrocosme comme du microcosme: “Nul ne peut bouger son petit doigt tant qu’on ne lui fait pas signe d’En-Haut”. A fortiori, lorsqu’on évoque ici un évènement d’une importance historique décisive. A n’en pas douter, la Hachga’ha pratite, la Providence Divine rattachée aux plus petits détails de l’existence joua un rôle prépondérant, chaque cause, chaque effet étant liés à des évènements de nature plus profonde et plus élevée. Selon les commentateurs du livre de Daniel, aucune guerre n’éclate entre deux nations sans que leurs “princes” respectifs, leurs anges célestes n’entrent d’abord en conflits dans le monde d’En-haut. La grande dispute entre les ‘hassidim et leurs opposants, elle aussi, tire sa source plus haut, bien au delà des apparences purement externes.
Le fondement de cette dispute était le suivant: dans quelle mesure était-il permis, voire convenait-il, de révéler et de répandre l’enseignement de la ‘hassidout au sein de tout Israël ? Ne fallait-il point distinguer entre d’une part, les grands, les justes, les érudits et d’autre part, les gens simples du peuple, les ignorants ? La grande crainte était bien réelle: la diffusion de l’enseignement du Baal Chem Tov à des gens qui n’avaient ni le bagage suffisant en Torah ni les capacités intellectuelles requises ne risquait-elle pas d’amener la décadence au lieu de l’ascension escomptée? Pouvait-on révéler la dimension divine de chaque chose, le degré d’élévation de chaque juif sous le seul prétexte qu’il fût membre de la collectivité d’Israël ? N’allait-on pas tomber ainsi dans la vulgarisation, provoquer une dégradation du niveau d’étude de la Torah et finalement provoquer la dérision du respect dû au Ciel ? Les dirigeants des communautés juives d’alors n’avaient pas d’autre choix : il leur fallait prendre toutes ces questions, toutes ces accusations avec le plus grand sérieux. Ils y percevaient un vrai débat de fond qu’ils devaient à tout prix soulever et trancher. Leur génération serait-elle capable de supporter un tel niveau de révélation divine? Le moment, l’endroit étaient-il propices ? Le dévoilement des enseignements de la ‘hassidout prétendant apporter élévation et exaltation au sein du peuple juif était-il opportun ou n’allait-il pas, au contraire, apporter plus de torts et de dommages que d’effets positifs?
Ce débat, entaché d’accusations contre la ‘hassidout, révélait la dimension profonde de ce procès. Il n’est pas surprenant que celui qui portait la responsabilité du mouvement ‘hassidique, celui qui siégeait au banc des accusés fut précisément l’Admour Hazaken. Car c’était lui qui, de toutes les branches déjà existantes, incarnait le mieux l’école de pensée du mouvement.
Bien entendu, les jugements célestes ne demeurent pas seulement dans les sphères supérieures. À l’instar d’autres influences qui en descendent pour parvenir jusqu’à notre monde ici-bas, ces jugements arrivent jusqu’à nous après une suite d’enchaînements divers, de monde en monde, de degré en degré jusqu’à ce qu’ils s’habillent ici en bas, sous une forme des plus terrestres.
Des craintes, des accusations peuvent être exprimées dans les mondes supérieurs, mais elles y demeurent empreintes de nuances tant qu’elles y demeurent sous leur forme “céleste”. Ainsi en était-il de la question de savoir s’il était opportun de dévoiler l’enseignement de la ‘hassidout et d’ouvrir la voie aux révélations divines l’accompagnant. Mais lorsqu’elles “dégringolent” ici-bas, elles se matérialisent en vulgaires calomnies et se métamorphosent en un procès dirigé par le gouvernement du Tsar de Russie. Le jugement terrestre n’en reflétait pas moins celui d’En haut à propos de la ‘hassidout. De la même façon, le verdict de la royauté terrestre blanchissant l’Admour Hazaken ne fut autre que l’ombre, l’écho de celui de la Royauté Divine qui, finalement, justifia la ‘hassidout et lui donna gain de cause. Désormais, le mouvement ‘hassidique, habilité par le Ciel, obtenait le feu vert pour initier une marche et une expansion sans limites, non seulement au niveau de ses idées mais aussi du dévoilement divin qu’il promettait d’apporter.
Dans une de ses célèbres visions, le Baal Chem Tov, conduit au palais céleste du Messie, lui posa la question: “Quand donc sa majesté viendra-t-elle sur terre?”. Et le Messie de lui répondre : “Lorsque tes sources jailliront à l’extérieur!”. Ainsi, la diffusion du message de la ‘hassidout, ses nombreuses révélations cachent une plus grande ampleur : rapprocher le jour tant attendu de la rédemption messianique. Le verdict prononcé par le Royaume Céleste annonce la manière dont la lumière divine peut se dévoiler dans tous les mondes et donne le signe du rapprochement de la venue du Messie. C’est pourquoi le 19 Kislev mérite parfaitement son nom de “‘Hag hagueoula”, la fête de la rédemption ; dans sa dimension la plus profonde, Youd Teth Kislev est bien le précurseur de la rédemption finale pour le monde entier. Il nous prépare au jour où le monde se sera affranchi de toutes ses limitations, lorsqu’auront disparues toutes les entraves à l’entière révélation divine.
Hassidout.org