En partenariat avec Radio Tandem 2.0
Propos recueillis par Cécile Benguigui
Photo: Arnaud Meyer/Leextra/Editions Grasset
Écrivain, chroniqueur à la télévision et dans la presse, prix Goncourt du premier roman en 1996 avec « Jubilation vers le ciel » (Grasset), Prix Renaudot en 2013 avec « Naissance » (Grasset), mais aussi auteur à succès, vient de sortir un livre, « Orléans », dans lequel il révèle les sévices qu’il a subis durant son enfance.
Vous avez dit plusieurs fois que ce qui vous rendait le plus heureux dans la vie c’était l’écriture. Comment expliquez-vous que l’on ressente un certain malaise en vous lisant ?
C’est assez paradoxal parce que ce que j’aime chez les écrivains, c’est lorsqu’ils semblent s’adresser à moi alors qu’ils sont en fait en train de ne parler que d’eux-mêmes et à eux-mêmes. Plus vous vous recroquevillez sur vous pour exprimer une parole intime, plus vous êtes sincère, plus les lecteurs ont la sensation que ça les concerne. La littérature n’est pas là pour séduire.
[ihc-hide-content ihc_mb_type= »show » ihc_mb_who= »3,4,5″ ihc_mb_template= »1″ ]
En 2017, vous avez sorti un livre, « Terreur » (Grasset), suite aux attentats du Bataclan, de Charlie Hebdo et de l’Hypercacher. Cinq ans après, l’assassinat de Sarah Halimi, la profanation de tombes juives en Alsace, Alain Finkielkraut insulté en sortant de chez lui… Que pensez-vous de la réaction de l’opinion en général ?
J’ai toujours trouvé inouï que lorsqu’un attentat était antisémite c’était considéré comme
«normal».
La société française est habituée à ce que les attentats visent les Juifs.
Regardez la phrase de Raymond Barre qui disait à propos de l’attentat de la rue Copernic « qu’il avait touché des Juifs et aussi des français innocents ».
Dans l’attentat de Charlie Hebdo, ce qui a choqué, c’est qu’on s’est tout à coup aperçu que des non-juifs pouvaient être aussi concernés par les attentats. Et si la France est sortie en masse pour manifester, c’est parce qu’il y avait des victimes non juives.
En France, y a-t-il derrière la caméra des directives, des consignes pour ne pas dire certaines choses, éviter d’appeler un chat un chat ?
Tout d’abord je constate que peu de gens prennent position publiquement. J’ai pris la position de défendre presque systématiquement Israël, pour des raisons d’honnêteté intellectuelle, parce que je me suis moi-même rendu en Israël et j’ai vu de mes yeux des gens aider les Palestiniens.
Ce que je constate régulièrement, c’est que le seul pays au monde qui n’a pas le droit de riposter c’est Israël. Longtemps les Juifs l’ont fait intellectuellement, intelligemment d’ailleurs, sans prôner la violence. Mais un jour ils ont dit « ça suffit ». La riposte sera intellectuelle mais elle sera aussi physique.
Et ça a été vécu comme une détonation. Les gens n’ont pas supporté. Ce peuple innocent n’était d’un seul coup plus inoffensif. Alors on le fait passer pour le pays le plus militaire et le plus agressif du monde, alors qu’il ne fait que se défendre de menaces perpétuelles et avérées.
Quelles ont été les conséquences du fait de la franchise avec laquelle vous exprimez vos opinions ?
Personnellement, à chaque fois que j’ai défendu Israël, j’ai été menacé. Non pas physiquement, mais sur les réseaux sociaux, il y a des petits malins qui me ressortaient certains dessins que j’avais fait il y a 30 ans, et envers et contre tout, j’ai décidé de continuer à assumer mes positions.
J’ai vécu avec cette menace pendant des années jusqu’à ce que cela advienne.
Le journal Le Monde a donné la parole à des antisémites notoires pour savoir ce qu’ils pensaient de moi, quelles étaient mes fréquentations, etc..
Des petits malins de l’Express ont sorti ces dessins de presse en publiant le premier numéro de mes publications, abject, pas drôle, infâme, et en se gardant de publier les autres numéros sur d’autres sujets.
À cette époque-là, on recherchait avec une bande de copains à briser tous les tabous pour transgresser. De ma part, il n’y avait pas de discours antisémite et cet écart de jeunesse fut tout à fait exceptionnel. J’étais un petit mariole un peu dépressif qui faisait n’importe quoi, et je me suis vautré dans cette fange-là comme d’autres l’avaient fait dans le magazine Hara-Kiri sauf que je n’avais pas leur talent. Et ce qui est tout de même étrange, c’est que la communauté juive n’en ait pas fait tout un plat, contrairement aux antisémites.
Vous vous sentez très concerné par les problèmes de la communauté juive. Est-ce une forme de repentir ?
Pour ma part je demande que la communauté juive soit respectée dans son intégrité intellectuelle, morale, physique, spirituelle, religieuse et biologique.
Et il faut savoir qu’à chaque fois que la communauté juive a été menacée, les années qui ont suivi ont été apocalyptiques. Lorsqu’on s’en prend un Juif on s’en prend à l’humanité toute entière.
Il se trouve que les Français aujourd’hui ne s’intéressent pas à cette question, ça ne les concerne pas, et on peut en venir à cette conclusion aberrante et nouvelle que les Juifs sont aujourd’hui les seuls à s’y intéresser.
Yann Moix, comment voyez-vous l’avenir les juifs en France ?
D’abord je voudrais dire qu’il faut relativiser, il y a eu des moments de l’histoire où les Juifs ont été beaucoup plus secoués, beaucoup plus en danger qu’ils ne le sont aujourd’hui.
Mais d’un autre côté, c’est la première fois depuis 70 ans que les gens ont peur de sortir avec une kippa dans la rue. C’est aussi la première fois depuis 70 ans que l’on entend le terme de « sale Juif » dans une manifestation. Donc je serais juif, je me poserais la question de savoir si mes enfants sont en sécurité dans ce pays. Et quand bien même je sentirais qu’ils sont en sécurité, je me sentirais assez peu désiré.
Récemment a été votée une loi qui assimile l’antisionisme à l’antisémitisme, pensez-vous que cette loi soit applicable ?
Pour moi en 2020, l’antisionisme est clairement un antisémitisme.
L’antisémitisme a toujours eu la caractéristique de muter en fonction des modes, de l’histoire, de la société et des tendances scientifiques ou pseudo- scientifiques.
Du jour où l’État d’Israël est né et alors que la notion de race était tombée en désuétude, l’antisémitisme a trouvé un nouveau jouet : le sionisme.
Quand l’État d’Israël n’existait pas, le sionisme était une sorte de compromis qui voulait éviter deux écueils – d’ailleurs les textes de Gershom Scholem y font référence – d’un côté on ne veut pas que les Juifs soient ultra-orthodoxes, et de l’autre on ne veut pas que les Juifs s’assimilent et disparaissent de manière passive. Le sionisme est né de cette idée-là.
Depuis que l’État d’Israël existe, le sionisme est la seule façon de pouvoir continuer à haïr les juifs.
Je suis en fait contre la loi Gayssot. S’il faut passer par les tribunaux pour établir une vérité historique incontestable, on affaiblit cette vérité. Les tribunaux appartiennent à l’histoire, l’histoire n’appartient pas aux tribunaux. C’est un aveu d’échec total. Cela veut dire que l’histoire a peur qu’on oublie un jour. Si la Shoah s’oubliait, c’est le pire qui pourrait arriver à l’humanité. Et c’est pourquoi les textes, les témoignages, les romans, les récits, les dessins doivent permettre que la mémoire soit préservée. Pour moi ce sont des lieux comme Yad Vashem qui préserveront la mémoire de la Shoah.
Yann Moix êtes-vous heureux ?
Un jour Michel Droit a demandé au Général de Gaulle, mon Général êtes-vous un homme heureux ? Et De Gaulle a répondu : « Vous me prenez pour un con ! ».
En partenariat avec Radio Tandem 2.0
Propos recueillis par Cécile Benguigui
Photo: Arnaud Meyer/Leextra/Editions Grasset
[/ihc-hide-content]