Yaïr Lapid témoigne au procès de Binyamin Netanyahou

Le chef de l’opposition, Yaïr Lapid, est appelé à barre en qualité de témoin dans le dossier 1000, au procès de Binyamin Netanyahou.

Le Premier ministre est jugé pour avoir, d’après l’acte d’accusation, poussé à adopter une loi fiscale qui favorisait l’homme d’affaires Arnon Milchan, en échange de cadeaux de la part de ce dernier.

A l’époque des faits, Yaïr Lapid était ministre des Finances et c’est à ce titre que Milchan, avec qui Lapid entretient des liens d’amitié par ailleurs, s’était adressé à lui au sujet de cette loi. Lapid, après consultation des fonctionnaires de son ministère avait refusé d’agir pour aider au vote de cette loi. D’après l’acte d’accusation, Netanyahou aurait alors évoqué le sujet avec Lapid à deux reprises en lui disant que cette loi était bonne.

Lapid s’est présenté ce matin devant le tribunal en tant que témoin à charge. L’interrogatoire du procureur a été rapide, à peine plus de 30 minutes, pendant lesquelles il a été demandé à Lapid s’il était courant que le Premier ministre intervienne auprès de son ministre des Finances sur une loi fiscale. ”Ce n’est pas un sujet qu’aborde le Premier ministre avec le ministre des Finances, c’est marginal. J’ai mis ça sur le compte de notre connaissance mutuelle avec Milchan”, a répondu Lapid.

Le procureur a également demandé à Lapid s’il avait rencontré Netanyahou et Milchan : ”Oui, nous avons diné ensemble. A l’époque dont il est question, Milchan m’a invité avec mon épouse ainsi que le Premier ministre avec son épouse pour diner”, a raconté Lapid. Il a, par ailleurs, reconnu que lorsqu’il est retourné dans l’opposition, Milchan lui avait demandé d’être moins agressif envers Netanyahou et même de rejoindre le gouvernement, ce que Lapid a refusé.

L’interrogatoire de la Défense a ensuite commencé. Il doit durer trois jours. Pour aujourd’hui, Me Amit Haddad, l’avocat de Netanyahou, a interrogé Lapid sur la manière dont Netanyahou lui a présenté cette loi et a tenté de contester la fiabilité du témoignage du chef de l’opposition.
Me Haddad a ouvert ainsi son intervention: ”On a écrit que mon but serait de vous décrire comme un hors-la-loi pour sauver mon client. Alors je vous le dis dès maintenant: vous n’êtes pas un hors-la-loi, vous avez agi selon la loi. Je pense que vous avez fait ce que l’on attend d’un ministre des Finances”.

Me Haddad s’est intéressé à la demande de Milchan à Lapid de pousser la loi: ”A ce moment, vous n’avez pas dit à Milchan, écoute, nous nous connaissons depuis de nombreuses années, c’est problématique que nous ayons cette discussion?”. Lapid a reconnu qu’il ne l’avait pas fait parce que Milchan est venu le trouver avec des arguments macro-économiques. Il a expliqué qu’il a estimé qu’il devait avec ces informations consulter l’échelon professionnel.

Me Haddad: Les deux fois où Netanyahou vous a parlé de ce sujet était fortuites, il ne s’agissait pas de réunion de travail, il n’y a rien eu d’autre?

Lapid: Tout à fait.

Cette réponse de Lapid contredit l’acte d’accusation dans lequel il est écrit que Netanyahou s’est adressé à Lapid dans le cadre de réunions de travail.

Me Haddad: Il n’en a pas fait toute une affaire, n’a pas tapé du poing sur la table, n’a rien fait. 

Lapid: Exact

Me Haddad: Netanyahou voulait pouvoir cocher la case, qu’il avait dit ce qu’il avait à dire et c’est tout. 

Lapid: Oui

Juge Baram: Vous dites que Netanyahou s’est adressé à vous pour pouvoir dire à Milchan qu’il l’avait fait et être quitte.

Lapid: C’est l’impression que j’ai eue

Me Haddad: Vous avez déclaré lors de l’enquête que Netanyahou ne vous a pas caché le fait que c’est Milchan qui l’a sollicité sur ce sujet, vous saviez par ailleurs qu’ils étaient amis.

Lapid: Oui, je savais qu’ils étaient amis.

Me Haddad: Vous n’avez pas vu un problème au fait que Milchan s’adresse à vous en tant qu’ami?

Lapid: Non, je n’ai pas pris cette demande comme celle d’un ami mais comme celle de quelqu’un qui a une idée pour aider l’Etat d’Israël. 

L’avocat de Netanyahou s’est ensuite employé à prouver que Lapid a donné différentes versions de ces discussions avec le Premier ministre et rendre ainsi son témoignage peu fiable.

Ainsi, il explique que dans un premier temps, Lapid a déclaré à la police que les deux fois où Netanyahou s’était entretenu avec lui au sujet de Milchan était à Balfour, puis vers la fin de l’enquête, il a déclaré que l’une des deux fois était au début d’une réunion du cabinet.

A la barre, Lapid a réitéré cette dernière version. Le juge Baram lui a demandé pourquoi il existait deux versions du même événement, ce à quoi Lapid a répondu qu’il ne se souvenait pas précisément des lieux parce qu’il s’agissait d’une discussion marginale et informelle. ”Mais le contenu était important, parce que quand le Premier ministre s’adresse à moi sur un sujet fiscal, je me souviens du contenu de la discussion mais pas du lieu”.

Me Haddad a enfoncé le clou: Ce ne serait pas la première fois que vos propos n’auraient pas de lien avec la réalité. 

Lapid: Vous pensez à quoi par exemple?

Me Haddad: Par exemple, l’histoire de votre service militaire. Dans la biographie de votre père que vous avez écrite, vous racontez que vous avez commencé la guerre du Liban avec l’unité 500 des blindés. Ce n’est pas vrai, vous n’avez jamais servi dans cette unité.

Lapid: Pourquoi? Je n’ai jamais prétendu que j’y avais servi, j’ai dit que j’avais commencé la guerre avec eux. J’ai effectué un service militaire de trois ans, comme tout le monde, j’étais correspondant militaire dans ”Mahané”. Il s’agit d’une anecdote sur la deuxième guerre du Liban. C’est ce qu’on appelle la machine à distiller du poison, cela fait des années qu’elle est utilisée. Je ne coopérerai pas avec toutes ces médisances. 

Me Haddad: Vous inventez souvent des histoires, pour le dire gentiment.

Lapid: Je ne répondrai pas. Dommage, nous étions concentrés sur le sujet juridique. Dommage que vous alliez sur ce terrain.

Me Haddad: La fiabilité du témoin est un élément important. 

Lapid: Il y a des hommes politiques honnêtes qui n’ont jamais reçu de cadeaux et il y a ceux qui sont jugés.

Me Haddad: Vous êtes le spécialiste pour inventer des histoires. Dans ce procès, vous changez de version, une fois la rencontre a eu lieu à Balfour, une fois à côté. 

Lapid: Je ne répondrai pas. Il y a un problème: les menteurs croient toujours que tout le monde ment et les corrompus que tout le monde est corrompu. C’est votre client qui est accusé.

Me Haddad: Je suis certain que vous êtes un homme honnête, je n’ai jamais prétendu que vous étiez corrompu. Mais vous savez raconter des histoires.

Lapid: Pas devant un tribunal. Un homme se doit toujours de raconter la vérité. Je ne dis pas qu’ailleurs, je ne dirais pas la vérité. 

Lapid a assuré que sa rivalité politique avec Netanyahou n’entachait pas son témoignage.

Me Haddad a essayé ensuite de démontrer que Lapid aussi avait reçu des cadeaux de Milchan avant d’entrer en politique.

Me Haddad: Vous avez passé des vacances ensemble à l’hôtel Princess?

Lapid: J’ai dormi dans sa suite bien avant d’entrer en politique. Une fois j’ai été avec lui dans un restaurant de luxe et c’est moi qui ai payé. Il m’a dit ‘c’est bien la première fois qu’un Israélien me paie le restaurant’. 

Me Haddad: Pour le mariage où vous avez été à Paris, qui a payé la suite?

Lapid: Je ne sais pas, je me souviens que tous les convives dormaient au même endroit et Arnon a payé, bien avant que je n’entre en politique. Je ne me souviens pas si nous avions bu ou fumé des cigares, je me souviens que l’ambiance était bonne. Même avant d’entrer en politique, je n’acceptais pas de cadeaux, sauf dans des cas exceptionnels. Mais oui, Milchan recevait avec générosité.

Me Haddad l’a ensuite interrogé sur le fait que Elinor Milchan, la fille d’Arnon Milchan, faisait partie des fondateurs de Yesh Atid. Lapid a reconnu que c’était vrai mais il a assuré que jamais Milchan le père n’est intervenu dans des questions politiques.

L’audience a été levée à 15h. Elle reprendra demain matin (mardi) à 9h. L’interrogatoire de Lapid par la Défense doit se poursuivre jusqu’à mercredi.

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