Il a engendré un phénomène lors des élections à la 18e Knesset en créant un parti, Yesh Atid, qui avait obtenu 19 sièges. Yaïr Lapid, journaliste charismatique et réputé, s’est en effet lancé en politique, avec succès, il y a peu de temps. Certes, son parti a perdu plusieurs sièges dans la Knesset actuelle, mais il reste un acteur actif de l’opposition. Ces derniers temps, Yaïr Lapid est très présent sur le terrain de la « hasbara », la diplomatie qui vise à porter la parole et la vérité d’Israël dans le monde. Alors même qu’il est en désaccord avec le Premier ministre et le gouvernement actuel sur beaucoup de points c’est lui, entre autres, qui parcourt le monde pour défendre notre pays… Nous avons cherché à comprendre cette mission. Entretien avec l’homme qui prétend devenir le prochain Premier ministre de l’État d’Israël.
Le P’tit Hebdo : Vous connaissiez la politique de l’extérieur, en tant que journaliste et intervieweur. Avez-vous été déçu de ce que vous avez trouvé à l’intérieur ?
Yair Lapid : Non, je ne suis pas déçu. Mais je suis aujourd’hui plus sobre dans mes jugements. J’ai perdu mon innocence face à un monde qui demeure chargé d’ego. En effet, lorsque j’observe mes amis politiciens, je ne peux que constater que beaucoup d’entre eux ne sont mus que par des intérêts purement personnels. Ils ne sont pas là pour servir l’État mais pour mieux se servir eux-mêmes. Quand je vois que l’on veut annuler la loi sur l’enrôlement des haredim à l’armée ou octroyer des avantages financiers aux yichouvim qui ont voté Likoud, je ne peux que dénoncer cette politique des egos.
LPH : Cela vous fait-il regretter d’être entré en politique ?
Y.L. : Je ne le regrette absolument pas. J’ai trois enfants, l’un d’entre eux est aujourd’hui en poste à la frontière avec le Liban. Je veux leur garantir un avenir dans notre pays, à eux et à tout le peuple d’Israël. C’est pour cela que je suis entré en politique et c’est pour cela que je m’accroche aujourd’hui.
LPH : L’un de vos chevaux de bataille en ce moment est l’image d’Israël dans le monde. Est-elle réellement si mauvaise ?
Y.L. : Elle est très mauvaise, plus que jamais ! Nous avons perdu les Américains, le BDS en Europe lève la tête et prend une ampleur considérable. Et cela ne va pas aller en s’arrangeant… Sauf, si nous décidons d’agir autrement. Ce qui est exaspérant dans le statut d’Israël dans le monde, ce n’est pas seulement qu’il est mauvais, c’est qu’il pourrait en être autrement ! Seulement voilà, l’État ne fait rien ou presque.
LPH : Israël serait seule responsable de cette image discutée qui lui colle à la peau ?
Y.L. : Non, entendez-moi bien, les responsables ce sont ceux qui dénigrent Israël tout au long de l’année. Ce sont les islamistes, les antisémites. Mais vous savez, il y a une règle que j’ai apprise lors de ma carrière médiatique : si tu ne racontes pas ton histoire, quelqu’un d’autre le fera à ta place… Et la plupart du temps, il biaisera la réalité. Donc, la responsabilité d’Israël commence lorsqu’il ne réagit pas assez aux attaques contre son image.
LPH : Qu’entendez-vous par là ? Le gouvernement semble tout de même tenter de faire entendre sa voix. N’est-ce pas plutôt qu’on ne veut pas l’écouter ?
Y.L. : La voix d’Israël est inaudible pour la simple et bonne raison que nous n’avons pas de ministère des Affaires étrangères digne de ce nom ! Dans les faits, ce ministère fondamental est divisé entre six personnes différentes et ce, uniquement pour des raisons politiciennes. Savez-vous par exemple que la lutte contre le BDS relève du ministère de la Sécurité intérieure ? Guilad Erdan, qui le dirige, est un homme tout à fait respectable, mais entre les affaires à la police, l’intifada des couteaux et le reste, où peut-il encore trouver du temps pour s’occuper du BDS ? Tout ceci est une plaisanterie ! Israël n’a pas de chancellerie et n’a pas non plus de programme diplomatique coordonné par conséquent.
LPH : Que proposez-vous ? Quelle parole portez-vous à l’étranger ?
Y.L. : D’abord il faut préciser que lorsque je me rends à l’étranger, c’est en coordination avec le gouvernement, en tant que député et membre de la Commission des Affaires étrangères. Je représente mon pays et je ne dirai jamais un mot de travers sur le gouvernement ou le Premier ministre lors de mes visites à l’étranger. C’est une règle de base à laquelle je me plie totalement. Ceci étant, Yesh Atid propose un programme diplomatique plus offensif. Israël est constamment dans la réaction, dans la défense. Nous attendons que nos adversaires argumentent ou agissent comme BDS et la décision européenne de marquage des produits, pour ensuite dire notre vérité. Nous devons attaquer, nous devons devancer les coups qui nous sont portés.
LPH : Pensez-vous avoir déjà obtenu des résultats ?
Y.L. : Dans ce domaine, chaque petite avancée est une victoire. Les choses vont prendre du temps, mais je pense que si nous adoptons une meilleure hasbara, alors en deux ans nous pourrons retourner l’opinion. Concrètement, j’ai déjà pu obtenir des garanties du ministre britannique des Affaires étrangères concernant la décision souhaitée à l’UNESCO de déclarer le Kotel comme appartenant à l’Esplanade des Mosquées. Même Laurent Fabius m’a accordé une oreille attentive en ce qui concerne ce qui se joue contre nous à l’ONU. En Allemagne, nous avons réussi à convaincre la chancellerie de ne pas voter pour le marquage des produits en provenance des territoires au-delà de la ligne verte. Ce sont de petits exemples, mais comme je l’ai dit, chaque petit pas est important.
LPH : Vous écoute-t-on davantage parce que vous êtes Yaïr Lapid et que vous n’êtes pas étiqueté à droite de l’échiquier politique ?
Y.L. : Je pense que dans l’absolu, lorsque l’on va expliquer les faits, les vérités, la plupart des personnes sont prêtes à écouter. Ensuite, mon statut, le fait qu’il est connu que je suis un candidat sérieux au poste de Premier ministre, joue certainement en ma faveur.
LPH : De vos séjours à l’étranger, avez-vous le sentiment que le niveau politique est moins anti-israélien que les medias ?
Y.L. : C’est certain. Les medias sont vendus aux images et les images sont contre nous. Les politiques ont d’autres éléments en main et réfléchissent différemment.
LPH : Ce que traverse l’Europe en ce moment est-il un argument valable dans la hasbara israélienne ?
Y.L. : Le terrorisme est le même partout, les Européens doivent le comprendre. Nous devons aussi leur expliquer que ceux qui militent au sein de BDS sont motivés par la même idéologie que les islamistes. Il me semble néanmoins que les attentats de Paris vont inciter l’Europe à être encore plus méfiante, à se replier sur elle-même et à penser que nous sommes aussi une partie du problème. À nous de montrer le contraire.
LPH : Si demain Binyamin Netanyahou vous propose d’entrer au gouvernement et de prendre le poste de ministre des Affaires étrangères, accepterez-vous ?
Y.L. : Cela m’a déjà été proposé et ma réponse a été non. Je ne crois pas dans ce gouvernement et dans sa politique. Je n’y rentrerai pas.
LPH : Un message aux Francophones d’Israël ?
Y.L. : Je fais partie de ceux qui se réjouissent de voir arriver de nombreux olim de France. Les Francophones arrivent avec une culture, une intelligence, un amour du travail et de l’État admirables. Je veux les assurer de mon soutien et de mon affection.
Propos recueillis par Guitel Ben-Ishay