Les progrès de la médecine, une hygiène de vie mieux maitrisée et respectée ont permis de rallonger les années de vie. Du coup, les personnes âgées constituent aujourd’hui une part non négligeable de notre population. Avec l’allongement de la durée de la vie, de nouvelles questions se posent, notamment sur la façon dont nos sociétés doivent gérer leurs ”vieux” et sur ce qu’elles ont à leur proposer afin de faire de ces dernières années, que l’on souhaite encore longues, une période sereine et qui vaillent la peine d’être vécues.
Parmi les institutions qui œuvrent en ce sens, le Beit Frankforter à Jérusalem, est un exemple. Créé en 1981 par le Rav Isidore Zeharia et Léa Frankforter, z”l, il est depuis près de 40 ans, un foyer pour les personnes âgées. Ils n’avaient pas pour objectif de créer une énième maison de retraite mais d’offrir une vie plus agréable aux personnes âgées, notamment celles en situation de précarité. Le Rav Frankforter disait : ”Baroukh Hashem, les progrès de la médecine ont rajouté des années à la vie, mais ma mission c’est de rajouter de la vie aux années !”.
Aujourd’hui, le centre n’a pas failli à sa mission. C’est d’ailleurs une des raisons qui ont poussé le Dr Marc Cohen à s’investir précisément dans cette maison. Gériatre depuis de nombreuses années, il est le directeur du pôle santé à l’OSE, à Paris. Une semaine par mois, il vient, bénévolement, pour apporter son expérience aux personnes âgées du centre Frankforter: consultations gratuites, conférences, conseils, il accompli, ici, une mission d’utilité et de santé publiques.
Le P’tit Hebdo: Comment est né votre projet de bénévolat auprès du Centre Frankforter?
Dr Marc Cohen: Je travaille au sein de l’OSE et j’ai eu la chance de travailler toute ma vie au sein de la communauté juive en France. Il y a plusieurs années, en coopération avec Israël et sur le modèle de ce qui s’y faisait, nous avons créé en France les centres d’accueil de jour. Depuis, ce concept s’est beaucoup répandu.
Je voulais, d’une certaine manière, rendre à Israël, ce qu’il nous avait donné. J’ai donc décidé d’exporter notre façon de nous occuper des maladies neuro-dégénératives à travers la prise en charge des malades et leurs familles.
Lph: Pourquoi le Centre Frankforter?
Dr M.C.: Il s’agit d’une maison fondée par des Francophones et avec laquelle j’entretiens un lien particulier. Notre projet s’adresse aussi bien à des personnes francophones que non francophones, mais le lien avec la France et la communauté française est fondamental. L’idée est aussi de fournir en français, un service attendu.
Lph: En quoi consiste votre activité au Centre Frankforter?
Dr M.C.: Une semaine par mois je suis sur place. Pendant deux jours, je fais des consultations. J’ai bien sûr toutes les autorisations nécessaires pour cela. Par ailleurs, je participe aux groupes de parole destinés aux proches des personnes atteintes de maladies neuro-dégénératives (voir pp.8-9). Je travaille aussi en partenariat avec Melavev (voir p.10).
Par ailleurs, nous avons un grand projet, celui d’ouvrir un café où les personnes âgées et les moins âgées pourraient se rencontrer, pour échanger, casser la solitude. Ce concept de ”Bayit ‘ham” est né en Russie pour favoriser les échanges entre les personnes. Nous l’avons repris à l’OSE, à Paris. C’est le Café des Psaumes où pour 1 euro, jeunes et vieux, peuvent se retrouver et créer des liens.
Nous aimerions monter un café sur le même principe en Israël. Pour cela, nous avons besoin d’une vingtaine de bénévoles prêts à donner une demi-journée par semaine. Notre objectif est d’ouvrir le 1er janvier 2020.
Lph: La solitude est-elle très répandue chez les personnes âgées aujourd’hui?
Dr M.C.: C’est le paradoxe de notre époque. Les moyens de communication n’ont jamais été aussi développés mais l’isolement des personnes augmente très vite aussi. Pour les personnes âgées, c’est souvent dû à l’éloignement géographique des enfants ou parfois à la séparation des couples, les causes sont vraiment multiples.
Lph: Voit-on encore beaucoup d’enfants qui prennent leurs parents à domicile pour leurs vieux jours?
Dr M.C.: Cette époque est révolue. Nous ne pouvons pas nous placer en juges de cette évolution. On ne peut pas demander aux enfants de prendre cette charge de façon automatique. D’autant plus qu’en général, cela tombe sur la fille aînée, qui doit tout assumer. Et même si la fratrie décide de se répartir la prise en charge, cela suppose que la personne âgée change régulièrement de domicile. Mais à ce propos, il faut aussi souligner que bien souvent, ce sont les femmes qui assument tout. Elles vivent plus longtemps et en meilleure santé que leur conjoint, en général. Donc elles s’occupent de lui, quand il est malade. Mais elles s’occupent aussi souvent des enfants et des petits-enfants. Tout ceci est très lourd à gérer.
Lph: En quoi cette solitude influe sur la qualité de vie des personnes âgées?
Dr M.C.: Arrivé à un certain âge, on a besoin d’avoir une raison de vivre. Les enfants, les petits-enfants en sont une excellente. La solitude est un engrenage, quand on est seul tout concourt à ce que l’on soit de plus en plus seul. Et la précarité dans laquelle vivent nombre de personnes âgées ne fait rien pour arranger cela. Il faut empêcher les gens de tomber dans ce cercle infernal.
Lph: Comment?
Dr M.C.: La médecine sait soigner les pathologies, mais pas l’isolement. C’est la société qui doit se mobiliser pour cela. Bien entendu les familles sont les premières concernées, mais c’est la société dans son ensemble qui doit réfléchir à des solutions collectives pour que chacun puisse garder son intimité. Nous sommes ou serons tous concernés par cette question. C’est possible et à des coûts qui peuvent être réduits si l’Etat participe aussi. A notre niveau, pour ce qui est de notre action auprès des patients atteints de maladies neuro-dégénératives, on s’aperçoit que notre présence, le fait de rentrer dans leur monde, les aide beaucoup.
Lph: Vous qui êtes entre la France et Israël, quelles sont les différences dans l’approche à la vieillesse?
Dr M.C.: La France est un pays où les aides sociales sont beaucoup plus développées. Donc, l’offre faite aux personnes âgées est plus riche. En Israël, ces aides sont faibles et la société laisse peu de place pour la faiblesse ou l’échec. Heureusement, la durée de vie sans maladies, sans handicap s’allonge dans tous les pays riches, dont Israël. Ainsi, on attend jusqu’à ce que la personne soit dépendante pour lui proposer l’aide d’un travailleur étranger. Mais avant, peu de choses existent. Parallèlement, il y a tout un monde associatif très dynamique, qui vient compenser cette absence de l’Etat. Néanmoins, je crois que nous ne devons pas nous plaindre, loin de là. Nous devons simplement travailler pour changer les choses.
Kol hakavod Marc