Pedouth Rotnemer rêvait de devenir
institutrice, un rêve que beaucoup partagent avec elle. Tout aurait dû se
dérouler comme pour n’importe quelle autre personne dont la vocation est
d’enseigner. Seulement voilà, Pedouth mesure 1,28m et ce ”petit” détail
va compliquer sa route vers l’accomplissement de son rêve.
Coûte que coûte, elle persévèrera. LPH a pu s’entretenir avec cette femme au
tempérament bien trempé, au moral d’acier et à la foi inébranlable et
communicative.
Faire comme tout le monde
Pedouth est née et a grandi en France, à Armentières, jusqu’à l’âge de 5 ans. Elle est issue d’une famille orthodoxe, son grand-père, le Rav Rotnemer a fait partie de ces illustres personnages qui, grâce à la fondation d’écoles juives, a fait renaître le judaïsme français après la Shoah.
Dixième d’une famille de 12 enfants, Pedouth nous raconte, sans aucun complexe, qu’elle est la seule à être naine dans sa famille: ”Tout le monde mesure 1,75m et plus”.
Comment vos parents vous ont-ils expliqué que vous seriez différente?
”Jusqu’à aujourd’hui, ils ne m’ont encore rien dit!”, nous répond-elle avec un humour qui la caractérise, ”Pour mes parents, ce n’était pas un sujet. Ils ont vécu cela comme une donnée, qui n’avait pas à être soulignée plus qu’une autre. A la maison, le mobilier a toujours été à la hauteur standard. Si j’ai besoin de quelque chose en hauteur, je monte sur une chaise ou je demande, il n’y a pas de quoi en faire toute une histoire”.
Et pour compléter le tableau, elle nous raconte en souriant, ce matin où elle s’est réveillée et qu’elle a constaté que ses pieds touchaient le bout du lit! Intriguée, elle a regardé de plus près: ”Je dormais dans la largeur du lit”! Elle s’en rappelle, amusée.
Cette philosophie a certainement beaucoup aidé Pedouth à se considérer égale aux autres. ”Quand on sortait en excursion à l’école, la maîtresse me proposait de rester dans le bus avec elle. Elle craignait que je ne me débrouille pas comme tout le monde. Mais pourquoi donc? J’ai toujours fait tout avec les autres, comme les autres”.
Elle ne nie pas, pour autant, avoir fait l’objet de moqueries. ”Quand nous avons fait notre alya, je me suis retrouvée avec une double gêne: ma taille qui inspirait quelques remarques et la langue, que je ne maitrisais pas”. Mais, déjà avant d’entrer à l’école primaire, Pedouth révèle une force de caractère qui l’aide à surmonter tout cela. ”Je me souviens que mon cartable me tombait sur les chevilles quand je suis entrée au CP. Pour rentrer chez moi, je faisais un détour, parce que sur le chemin, je passais devant une école maternelle, et systématiquement, les enfants se moquaient de moi”.
Ainsi, elle nous raconte aussi que même lorsqu’elle avait déjà plus de 10 ans, les passants ne la laissaient pas traverser toute seule et se proposaient de l’aider.
Pour autant, Pedouth conserve de beaux souvenirs de ses années d’école. ”Les filles du Beth Yaakov m’ont très bien accueillie. Lorsque j’avais besoin d’aide, pour arriver au robinet par exemple, elles étaient toujours volontaires”.
De toute façon, là encore, Pedouth pouvait compter sur ses parents pour passer outre les brimades, quand elles se présentaient. ”Ma mère m’a toujours expliqué que les remarques que les gens font en disent plus sur eux que sur l’objet de leurs propos. Cette approche me guide jusqu’à aujourd’hui”.
”La directrice a commencé à transpirer”
Déjà très jeune, Pedouth a un rêve, celui de devenir institutrice.
Pourquoi cette voie en particulier? La réponse est passionnante: ”Je suis convaincue que D’ieu offre un cadeau, un don à chacun d’entre nous. Nous devons l’utiliser et le mettre au service des autres. D’ieu m’a dotée de la capacité de montrer que l’on peut réaliser ses rêves, même si tout semble s’y opposer. Et quoi de mieux que l’enseignement pour transmettre ce message?”.
Malgré des études brillantes, l’entrée dans la vie active ne sera pas simple pour Pedouth. ”Je pensais trouver un poste directement à la sortie de mes études. Il n’en a rien été: j’ai essuyé 17 refus avant de commencer à exercer mon métier”.
Elle nous raconte ce jour où elle a reçu l’appel d’une directrice d’école, à la recherche d’une institutrice. Au téléphone, tout se passe très bien, elles commencent même à évoquer les horaires, les disponibilités. Bref, il ne manquait plus que l’étape de l’entretien en face à face. A l’instant où elle y est convoquée, Pedouth s’interroge: dire qu’elle est naine ou pas? ”Cette question m’a toujours travaillée. Est-ce que je dois prévenir mes employeurs potentiels avant de me présenter en entretien? Je n’ai toujours pas de réponse univoque à cette question”.
A ce moment, Pedouth décide de ne rien dire. ”Lorsque la directrice m’a vue, elle a commencé à transpirer. Elle m’a posé quelques questions classiques, puis m’a demandé, comment j’allais écrire au tableau, comment je réagirais si les enfants se moquaient de moi. Puis, elle m’a annoncé que finalement, ils n’avaient plus besoin de moi et s’étaient débrouillés”.
Le coup est dur à encaisser. Pedouth rentre chez elle, la gorge nouée. Et le scénario s’est répété plusieurs fois. A chaque refus, elle se répétait les mots de sa mère: ce n’est pas elle qui est en cause, mais les personnes qui lui ferment les portes vers la réalisation de son rêve.
Alors elle n’abandonne pas: ”Je ne voulais pas renoncer à mon rêve. J’étais persuadée qu’il se réaliserait, coûte que coûte”.
”Moi aussi, je veux cette institutrice”!
Ses premiers pas devant une classe, Pedouth les fait presque par hasard, et l’on sait que le hasard n’existe pas…
”Après plusieurs mois à la maison, je reçois un appel de l’école Ahavat Israël, à Jérusalem. La directrice avait un besoin urgent d’une institutrice, on me dit de venir tout de suite”. Et là, la fameuse question revient: doit-elle dire qu’elle est naine ou non? Elle demande conseil à son père qui lui répond le plus naturellement possible: ”Mais non, ça ne se voit même pas!”.
Alors, elle se rend sur place. Bien entendu, les regards sont surpris. Mais, face à l’urgence de la situation, on lui dit de se rendre tout de suite en kita beth (CE1). Pedouth n’est pas venue seule. Elle savait que les élèves seraient interpellées par sa taille et voudraient lui poser des questions. Alors elle a pris les devants, elle a amené avec elle, une marionnette – Monsieur réponse – qui répondra à toutes les interrogations des petites filles. ”Je les ai encouragées à me poser toutes les questions qu’elles voulaient, sans tabou”.
Ces questions ne vous blessent-elles pas? ”Non, les enfants interrogent avec naïveté, ils veulent savoir, c’est normal. C’est une curiosité saine”.
Une fois passé le stade des questions/réponses sur cette nouvelle institutrice, place à l’enseignement. Pedouth met en œuvre des méthodes pédagogiques qui font leurs preuves. Les élèves sont motivées, elles s’intéressent aux cours. Elle commence sa journée par un bonjour personnalisé pour chacune de ses élèves et la termine en leur demandant de lui dire quelle est la meilleure chose qui leur soit arrivé dans la journée. ”Je veux que les enfants arrivent et repartent avec une bonne impression”.
”Je regarde mes élèves à leur hauteur”, explique-t-elle, non sans une pointe d’auto-dérision, ”les messages sont directs”. Et au-delà, elle leur délivre le message qui est la mission de sa vie: peu importe les données de départ, tout est possible. Il faut monter sur une chaise pour écrire au tableau? Et alors? Quand on sait quel est notre potentiel, on n’a qu’une chose à faire, le développer, s’en servir pour atteindre ses objectifs.
”L’enseignement est un discipline qui peut construire un enfant ou au contraire le détruire. C’est pour cela que c’est si important”. Pedouth tient à impliquer l’enfant, mais aussi les parents dans la recherche et l’exploitation de ce potentiel qui se trouve dans chacun. ”J’ai déjà été témoin de changements radicaux”.
Pedouth tient à témoigner sa gratitude envers Miri, la directrice de l’école Ahavat Israël: ”Je considère comme un mérite le fait d’enseigner dans cette école. Miri m’a donné l’opportunité de montrer aux élèves que tout est possible”.
Une autre école a ouvert ses portes à Pedouth, il s’agit de l’école Shilo Hemed, à Ashdod. Elle y donne des cours de théâtre aux filles de kita alef (CP). ”Je ressens beaucoup de satisfaction à chaque fois que je vais à Shilo Hemed. L’équipe y est formidable, les parents aussi. La directrice, Naama, a ce don de déceler les opportunités et de donner sa chance à chaque personne. Elle montre ainsi à chaque élève qu’eux aussi sont capables. Je ne la remercierai jamais assez pour cela”.
Aujourd’hui, nombreux sont les élèves et les directeurs qui disent qu’ils aimeraient cette institutrice!
Qui mieux que soi?
Pedouth pousse toujours plus loin son rêve. Elle ne se contente pas d’enseigner devant des enfants, elle donne aussi des conférences en Israël et dans le monde, toujours autour du même message.
“Les gens sont souvent bloqués par un entourage qui les décourage: ”laisse tomber”, ”tu n’as aucune chance”. Ce qui nous induit en erreur sur nous-mêmes, parce que ces personnes nous parlent de leur place et de ce qu’elles perçoivent par rapport à ce qu’elles sont. Mais elles ne sont pas nous. Chacun possède des forces, des talents et c’est la base sur laquelle nous construisons notre vie, pas sur celle des autres.
Moi, je suis naine, je le dis, je n’en ai pas honte. La question est de savoir ce que j’en fais. Et la réponse, je suis la seule à la détenir, les autres ne peuvent pas la formuler pour moi”.
Par sa personnalité et la conviction qu’elle met dans ses messages, Pedouth, à seulement 24 ans, a réussi à aider de nombreuses personnes. ”Une mère d’une petite fille qui avait besoin de porter des appareils auditifs m’a appelée un jour. Sa fille refusait de mettre ses appareils, elle avait honte. Depuis qu’elle m’a vue, elle les porte. Je suis heureuse de pouvoir contribuer à faire accepter les données de base pour aller toujours plus haut, même quand cela parait difficile”.
Ce qui est valable pour les handicaps physiques, l’est aussi pour le reste. Les discours et les actes de Pedouth parlent à chacun d’entre nous.
Son prochain rêve? Celui de fonder une famille. ”Comme pour entrer dans l’enseignement, je sais que cela pourra prendre du temps. Mais j’y crois, je sais que ce rêve aussi se réalisera”.
Vivre ses rêves même s’ils tardent à se réaliser: une leçon de vie dont nous devrions nous inspirer.
Guitel Ben-Ishay