Le 03 octobre, Mihal Sela, z”l, était assassinée par son mari, Eliran Meloul. Ce meurtre a ému et ébranlé tout le pays, qui s’est retrouvé confronté à la violence conjugale dans ce qu’elle peut avoir de plus extrême. Soudain, le sort des femmes battues et maltraitées a refait surface, comme une piqure de rappel, pour nous signifier que nous ne pouvons plus ignorer cette souffrance et les conséquences dramatiques qu’elle a.
Afin de mieux comprendre les mécanismes de cette violence et la situation des victimes, nous avons interrogé Maitre Sophie Cohen, l’auteur du livre ”Le Conjoint Prédateur”, publié en 2012. Déjà il y a 7 ans, elle alertait sur les relations toxiques et ne cesse de se battre depuis pour que de vrais changements se produisent afin d’éviter les prochaines victimes.
Le P’tit Hebdo : Ce qui interpelle dans le cas tragique de Mihal Sela z”l, c’est que l’entourage ne semblait pas avoir remarqué le moindre signe de la violence dont elle était victime et qui a conduit à son assassinat par son mari. Comment l’expliquer ?
Me Sophie Cohen : Il n’y a rien de très surprenant. Ce type d’hommes peuvent être comparés à des caméléons. Ils savent parfaitement jouer un rôle et se montrer adorables lorsque le couple est en public. Il n’est pas rare que les hommes capables de tels actes soient considérés comme le mari idéal. Il y a un fossé immense entre l’image qu’ils donnent à l’extérieur et ce qui se passe dans le huis-clos familial.
Lph : Est-il possible alors de détecter la détresse de la femme, au moins par les proches ?
Me S.C. : Ce n’est pas évident. Les victimes ont souvent honte de ce qui leur arrive. Leurs bourreaux les manipulent à tel point qu’elles ont le sentiment qu’elles ont mérité ce qui leur arrive. Elles ont aussi peur des représailles si elles parlent et ne parlons même pas de déposer une plainte à la police. Il faut comprendre que ces hommes ont des moyens de pression sur elles, surtout lorsqu’il y a des enfants en jeu.
Par ailleurs, ces victimes ne veulent pas inquiéter leurs proches en leur racontant le calvaire qu’elles vivent au quotidien.
Enfin et surtout, elles ne réalisent souvent pas la gravité du processus dans lequel elles se trouvent, qui peut arriver jusqu’au meurtre parce que rien n’est fait pour prévenir ces femmes des dangers qu’elles encourent notamment au moment où elles décident de se séparer d’un tel conjoint.
Lph : Existe-t-il, tout de même, des signes qui doivent alerter sur la personnalité dangereuse de ces hommes ?
Me S.C. : Ces personnes savent se montrer charmantes au début de leur relation. Mais, il existe, en effet, des signes comme une personnalité infantile, ou narcissique ou une jalousie excessive. Par ailleurs, très souvent, l’un des premiers symptômes qui doit inquiéter est l’isolement progressif de la victime de son entourage familial, amical et professionnel. Le conjoint prédateur va empêcher sa victime d’avoir des contacts avec toute personne qui risquerait de lui ouvrir les yeux.
Lph : Le mari de Mihal Sela z”l a tenté de se suicider après l’avoir assassinée. Puis il a été déposé leur bébé de huit mois chez la voisine avant de perdre connaissance. Doit-on comprendre qu’il a eu des remords ?
Me S.C. : Les bourreaux tentent toujours de se poser en victimes. Ils ont besoin de se convaincre et de convaincre tout le monde que ce sont eux les véritables victimes. Ils sont incapables d’assumer leurs responsabilités. Dans le cas présent il s’est passé apparemment un grand laps de temps jusqu’à ce que le mari décide d’aller chez les voisins ce qui laisse peu de doutes quant à ses véritables intentions.
Lph : Peut-on dégager un profil type des victimes de ces violences conjugales extrêmes ? Très souvent, on s’aperçoit que ces femmes avaient une propension à aider leur prochain, Mihal Sela, z”l, était assistante sociale.
Me S.C. : La violence peut toucher tous les milieux et tous les types de femmes. Mais, effectivement, on constate que les premières victimes sont celles qui présentent une grande empathie pour autrui et qui ont une propension à donner. Cela ne rend le drame que plus triste…
Je souligne aussi qu’il arrive fréquemment, que les femmes qui ont été confrontées à un parent toxique dans leur enfance se mettent en couple avec le même type de personne, reproduisant inconsciemment le schéma de leur enfance. C’est pour cela qu’il est indispensable d’agir afin d’aider à une prise de conscience pour endiguer ces phénomènes, il s’agit de l’avenir de nos sociétés.
Lph : Quelles solutions préconisez-vous ?
Me S.C. : La priorité doit être la prévention. Malheureusement il est déplorable de constater avec les années une augmentation constante des violences faites envers les femmes malgré tous nos efforts pour éveiller les pouvoirs publics et les médias face à ce véritable fléau de société. Depuis la publication de mon livre en 2012, dans lequel j’alertais face à ces problématiques nous n’avons cessé de nous battre en ce sens. Malheureusement rien n’est fait pour prévenir les candidats au mariage des dangers que représentent certaines relations amoureuses. Le livre contient des informations précieuses à ce sujet et a le pouvoir de sauver des vies. Combien de messages ai-je reçu en ce sens de victimes tant dans sa version en français qu’en hébreu. Beaucoup de professionnels se servent du livre aujourd’hui et pourtant ces informations n’arrivent pas au grand public.
C’est pourquoi, j’ai décidé de fonder une association ”Dror Lanefesh” (Liberté pour l’âme) afin de faire des campagnes de prévention et d’être une voix pour les victimes de violences psychologiques. Le mariage n’est pas un but en soi, il faut savoir choisir avec qui on va vivre cette aventure. Il est fondamental de mener son enquête et de vérifier dans le passé de la famille et du prétendant.
Les jeunes, filles et garçons, mais aussi les hommes et les femmes de tous âges, doivent être informés sur ces risques.
Par ailleurs, je milite pour une action législative donnant plus de moyens aux différents acteurs de la justice pour protéger les victimes. Les policiers doivent être formés à détecter les victimes de violences psychologiques et à être à même de juger de la dangerosité du conjoint, ainsi que tous les acteurs de la justice qui sont amenés à traiter ce type de dossier. Aujourd’hui, une femme qui porte plainte pour un tel motif n’est souvent pas entendue et écoutée en raison du problème de la preuve.
Il est fondamental que l’Etat mette plus de moyens financiers et humains pour la prévention et l’aide aux victimes.
Lph : Avez-vous le sentiment que nous sommes sur la bonne voie ?
Me S.C. : Je m’occupe au quotidien de femmes en souffrance, très peu de décisions sont prises pour améliorer leur sort. C’est pour cela que j’ai créé notre association, il faut agir au sein de notre société pour éveiller les consciences. Nous devons informer parce que c’est l’ignorance qui crée le danger. J’espère que grâce à l’association nous réussirons enfin à créer un noyau d’influence à la Knesset afin d’instituer des lois adéquates face à cette problématique.
“Le Conjoint Prédateur”, disponible en français et en hébreu à la Librairie Vice-
Versa de Jérusalem et à la Librairie du Foyer à Tel Aviv et sur Amazon pour la version en français.
Pour aller plus loin :
Sophie Cohen, avocate et médiatrice , spécialisée dans les divorces à l’amiable et conflictuels, droit immobilier et des successions , présidente de l’association Dror Lanefech
Cabinet d’avocats : 19 A rue Keren Hayessod Jérusalem
e-mail : [email protected]
Tel :054-6468157
Bravo SOPHIE COHEN. Ton travail est formidable et indispensable. Il faudrait faire des conférences dans tous les milieux sociaux, même dans les écoles.
Beatslaha pour ton association qui est d’utilité publique.
Très belle interview.
Merci LPH