Le conflit dans lequel nous vivons depuis la création de l’État d’Israël prend des dimensions plurielles. Les populations juives et arabes étant totalement imbriquées dans l’ensemble du territoire, les solutions pour remédier aux menaces qui pèsent sur notre sécurité sont difficiles à trouver. Nous voyons bien que le problème n’est pas qu’entre les Juifs et les Israéliens d’une part et les arabes d’autre part, mais bien de quelque chose d’autrement plus profond, comme nous l’avons vu dans les évènements tragiques de vendredi dernier en France. L’un des aspects du conflit, comme dans tout conflit, est le point de vue économique. Nous savons que nous sommes dans une guerre aux motifs religieux et territoriaux, mais qu’en est-il de l’économie ?
Ces dernières semaines, de plus en plus de voix s’élèvent pour dénoncer le fait que les Arabes travaillent dans notre société, que certains Israéliens, voire la majorité, font appel à des prestataires de service arabes. Qui ne s’est pas inquiété de voir les Palestiniens, outils à la main, travailler sur les chantiers ou tout simplement nettoyer des bureaux ? Dans ce contexte, quelle position convient-il d’adopter ? Existerait-il une solution économique au conflit israélo-palestinien ? Pour tenter de répondre à cette question, nous nous sommes adressés à Oded Levinson. Avocat spécialisé dans le droit civil et immobilier, il est également chroniqueur depuis de nombreuses années sur la radio la plus populaire du pays, Galei Tsahal, au sein de laquelle il dirige une chronique économique.
Le P’tit Hebdo : Face à la violence de ces dernières semaines, certains préconisent de couper nos relations économiques et commerciales avec les Palestiniens. Une telle attitude aurait-elle pour conséquence de décourager les terroristes ?
Oded Levinson : Il est vrai qu’aujourd’hui beaucoup plus d’Israéliens vont préférer travailler ou commercer uniquement avec des Juifs. Ceci dit, certaines conséquences sont à prendre en compte. Pendant Tsouk Eytan, un Général de réserve a déclaré que si nous nous sommes retirés unilatéralement de Gaza et qu’en retour ils nous lancent des missiles, alors nous n’avons qu’à couper tous nos liens avec ce territoire. Qu’ils se débrouillent tout seul ! Cette idée est problématique parce que si nous fermons toutes nos relations avec eux alors nous n’avons, du coup, plus aucun contrôle sur ce qui se passe à Gaza, sur ce qui y entre. Ceci est un exemple de l’aspect négatif que peut avoir la cessation d’activités économiques et commerciales avec nos ennemis.
LPH : Concrètement, des relations économiques sont-elles un facteur de rapprochement entre les deux populations ou au contraire un encouragement, voire une négligence face à la menace terroriste ?
O.L. : Dans un contexte plus apaisé, alors évidemment, les relations économiques sont un facteur primordial de rapprochement. Mais nous vivons dans une région où le climat est tendu et où il est impossible de raisonner avec les mêmes codes. Prenez l’exemple récent de cet employé de Bezek, qui malgré de très bonnes conditions de travail, a assassiné des Juifs… Il en va de même pour les attentats qui ont frappé la France il y a quelques jours. Ces derniers temps, le mythe selon lequel donner un avenir économique aux Palestiniens les rendrait plus disposé à la paix est en train de s’effondrer.
LPH : Faut-il alors couper tout lien de travail avec eux pour se préserver d’une éventuelle menace terroriste ?
O.L. : Une séparation économique entre eux et nous est tout simplement impossible. Nos deux populations vivent trop proches physiquement l’une de l’autre. Si, par exemple, vous décidez de ne plus monter dans un taxi dont le chauffeur est arabe, il y a fort à parier qu’un jour vous serez bien en mal de déterminer si le chauffeur est Juif ou Arabe… Par ailleurs, dans certains domaines, la main d’œuvre reste quasi-exclusivement une main d’œuvre arabe : l’hôtellerie, le bâtiment,…. Dans ces domaines, il est presque impossible d’employer des Juifs. Si nous n’embauchons plus les arabes, qui fera le travail ? Les Chinois, les travailleurs étrangers ? Cette solution n’est pas optimale quand on y regarde de plus près, parce qu’elle revient à faire entrer sur notre territoire une importante population de personnes qui n’a pas les mêmes codes culturels et sociaux que nous. C’est aussi un facteur de tension important, qu’il ne faut pas négliger.
LPH : Pourtant beaucoup d’Israéliens bouclent difficilement leurs fins de mois. Est-il vrai qu’aucun d’entre eux ne serait prêt à faire ce genre de travail ?
O.L. : Apparemment le peuple d’Israël aime se lamenter mais la réalité semble beaucoup moins noire. Il n’y a qu’à constater le taux d’occupation des hôtels, le nombre de voitures en circulation dans le pays, le nombre d’Israéliens qui voyagent à l’étranger chaque année. Il faut croire qu’il n’y a pas tant que ça d’Israéliens pauvres au point d’accepter de faire n’importe quel emploi. On ne peut pas non plus ignorer ceux qui, parmi nous, vivent en-dessous du seuil de pauvreté. Il est difficile d’expliquer pourquoi il y a des emplois qu’eux aussi refusent. Mais ces populations ont besoin de solutions. Trop de personnes restent dans la pauvreté malgré le fait qu’elles travaillent. L’État doit réfléchir à des structures qui permettent d’éviter ceci. Une preuve supplémentaire : tous les efforts qui ont déjà été faits, que ce soit dans l’hôtellerie et le bâtiment, pour former du personnel et des ouvriers juifs. Une école des métiers du bâtiment a même été ouverte. Tout cela n’a débouché sur aucun résultat tangible.
LPH : Selon vous, il n’y a donc pas de solution économique au conflit, comme ont pu en trouver la France et l’Allemagne, par exemple, au sein de la Communauté européenne ?
O.L. : Ce modèle n’est pas transposable ici. Le conflit israélo-palestinien est totalement diffèrent dans sa nature de celui qui a déchiré l’Europe pendant des centaines d’années. En effet, au conflit classique territorial s’ajoute une lutte pour notre survie en tant que Juifs et pour notre droit de vivre en tant que tel sur cette terre. Prenez l’exemple des attentats de Paris : on voit bien que le territoire n’est pas la seule motivation des terroristes. Partant de là, il est aisé de comprendre pourquoi l’économie n’est pas la clé du problème et qu’il ne s’agit pas du bon levier sur lequel agir.
LPH : Pourtant c’est ce levier que les Européens ont décidé d’actionner en décrétant l’étiquetage des produits en provenance du Golan, de Jérusalem-Est et de Judée-Samarie.
O.L. : Je ne pense pas que cette décision soit le fruit d’une réflexion profonde sur les moyens d’influencer une solution dans la région. C’est de bon ton d’être du côté de celui qui se présente comme le faible. Ce pas de l’Union Européenne nous montre combien la mémoire collective est courte : a-t-on déjà oublié comment ont commencé la Guerre des Six Jours et celle de Kippour ? A-t-on oublié qu’Israël lutte pour sa survie et non pas dans une optique expansionniste ? Pourquoi ne se demande-t-on pas ce qui se passerait aujourd’hui si le Golan n’avait pas été annexé par Israël, mais laissé aux mains d’Assad ? Cette décision de l’Union Européenne prouve, une fois de plus, l’acharnement du monde contre Israël alors même qu’il existe tellement d’autres zones de conflit dans le monde, qui n’intéressent personne, comme le soulignait le Dr Ofer Haivri. En fin de compte, nous y trouvons l’antisémitisme qui existe depuis Avraham Avinou.
LPH : Cette décision aura-t-elle des conséquences sur l’économie israélienne ?
O.L. : Comme je l’ai dit précédemment, il s’agit d’une décision irréfléchie. Par conséquent, elle ne pourra qu’avoir une influence mineure. Notre État est si petit qu’il est facile de produire dans un endroit et d’emballer le produit dans un autre. Si influence elle a, cette décision impactera aussi et surtout les employés arabes qui constituent une très grande partie de la main d’œuvre dans ces régions. Les Européens, en prenant cette décision, n’ont pensé ni aux motivations, ni aux conséquences. C’est une décision déplorable qui est due à une ignorance totale du contexte et de la nature du problème politique dans la région. Ils l’ont prise parce que c’est de bon ton.
Propos recueillis par Guitel Ben-Ishay