Marc Weitzmann est romancier, essayiste et collaborateur régulier du Monde et de Tablet (NYC). Dans nos sociétés – la France n’y échappe pas, loin s’en faut – « l’honnête citoyen » est confronté à la désinformation, aux fake news, au politiquement correct et au prêt à penser. Son essai/enquête (publié il y a un peu plus d’un an mais toujours d’une brûlante actualité) constitue une magnifique antithèse aux logorrhées que nous subissons au quotidien et cette occasion qui nous est donnée d’échapper au manichéisme ambiant fournit une véritable et bénéfique bouffée d’oxygène.
L’écrivain explique que quand les attentats ont commencé en France, il s’est senti incapable d’écrire quoi que ce soit. Il a lu une prose florissante à l’époque, a trouvé certains écrits intéressants, mais a ressenti une forte insatisfaction face à des tentatives d’explications qui s’inspiraient toutes d’une seule et même grille de lecture, théorique et réductrice. C’est ainsi que lui est venue l’impérieuse nécessité de prendre de la hauteur et d’introduire dans le débat la complexité qu’il mérite ainsi qu’une pluralité de regards et de voix. Et le résultat est véritablement passionnant. Il est le fruit d’un travail minutieux de quatre ans. Écoutes des services secrets, comptes-rendus de procès terroristes, rencontres avec des familles de djihadistes, rôle du numérique (des réseaux sociaux, des jeux vidéo dans tout le processus) certes, mais aussi et surtout des gros plans sur la manière dont les gens s’approprient et verbalisent la haine. Il nous livre ainsi une remise en perspective de toute l’histoire de la haine des débuts jusqu’à aujourd’hui, assortie d’un panorama très complet des différents facteurs d’explication.
La construction du livre rend sa lecture passionnante, haletante. La pluralité des voix, celles d’adolescents radicalisés, de familles de djihadistes, de djihadistes eux-mêmes, en alternance avec les voix d’écrivains, de journalistes, « d’humoristes », tout ceci croisant une analyse très fine de l’histoire qui a conduit la France là où elle en est aujourd’hui (histoire d’Ismaël Urbain, fonctionnaire de l’empire, le bourbier algérien, la position française face au dédale post-impérial…) fait de ce livre une exception dans ce qui se publie aujourd’hui. Il nous propose sans coup faillir une analyse brillante et implacable du « pourquoi » la France en est arrivée là.
Toujours au centre du propos, dans cette société qui va mal, une sorte de volonté de « transformation » qui caractérise la « quête » de nombreuses personnes évoquées dans le livre, qui cherchent à devenir l’autre, ou un autre, en tout cas à fuir à tout prix ce qu’elles sont, si tant est qu’elles soient capables d’être pleinement conscientes de qui elles sont. On ressent en permanence l’incapacité des personnes dépeintes à faire la différence entre le réel et le vrai, entre le bien et le mal. Y compris de « brillants intellectuels » qui auraient pu, ou plutôt dû, être nos guides dans l’étendue de ce marasme.
Un temps pour haïr. Marc Weitzmann.
Essais et documents. GRASSET. 03/10/2018.
Librairie française Vice Versa Jérusalem.
Nathalie Hirschsprung