Qu’est-ce qui peut pousser une mère de sept enfants à donner un de ses reins, à un illustre inconnu? Tehila Cohen vit à Maalé Adumim, entourée de son mari et de leurs 7 enfants. Enseignante à l’oulpena de la ville, elle mène une vie comblée et pourtant, il y a deux ans, elle a décidé qu’elle devait donner encore plus. Elle s’engage alors dans un processus afin de faire don d’un de ses reins.
Elle nous raconte son histoire, celle du don de soi au sens propre du terme.
Matnat Haïm (Le cadeau de la vie)
Tehila se définit elle-même comme une femme forte, qui ne craint pas grand-chose, à part D’ieu. »Je suis persuadée que nous naissons tous avec des forces. Nous ne les découvrons parfois jamais et parfois, elles apparaissent à un moment de notre vie ». En ce qui la concerne, faire du bien autour d’elle, a toujours été une motivation centrale: donner à ses proches, à ses élèves. La décision de subir une opération pour lui enlever un rein qui sera transplanté chez un malade qu’elle ne connaissait pas, elle la prend au hasard d’une lecture.
»L’association Matnat Haïm publie régulièrement des brochures. Un jour j’ai eu l’une d’entre elles entre les mains », se souvient-elle. Matnat Haïm est une association qui a vu le jour, il y a 10 ans. Elle a été fondée par le Rav Yeshayahou Haber, lui-même bénéficiaire d’une transplantation de rein. Elle vise à aider et à encourager le don de rein altruiste, c’est-à-dire pour des personnes qui n’appartiennent pas au cercle familial ou amical du donneur. L’association oriente et conseille les donneurs potentiels et agit auprès des autorités compétentes pour faciliter ce don et informer au maximum l’ensemble de la population.
« L’histoire du Rav Haber m’a beaucoup touchée. Il était sous dialyse pendant des années. Lors de ces séances, il s’est lié d’amitié avec un jeune de 19 ans, Pinhas, qui venait d’une famille qui avait déjà perdu un fils à l’armée. Les deux étudiaient en havrouta, trois fois par semaine, lors de leurs rendez-vous à l’hôpital. Le Rav Haber a reçu une greffe qui l’a sauvé. Il n’a eu, alors, de cesse, de trouver un donneur pour le jeune Pinhas dont l’état s’aggravait. Il a réussi dans cette mission mais malheureusement, Pinhas est décédé d’un arrêt cardiaque quelques jours avant la transplantation. Le jour de son décès, le Rav Haber a décidé de créer Matnat Haïm ».
Vous prenez alors la décision de donner un de vos reins. Pourquoi? « J’ai toujours voulu faire quelque chose qui aiderait de façon significative mon prochain. Peut-être était-ce aussi la fameuse crise de la quarantaine qui m’a poussée à aller loin dans cette envie. Il m’est difficile de l’expliquer mais j’ai su, que c’est ce que je ferai. La question était quand ».
La motivation mise à l’épreuve
Quand Tehila décide de commencer le processus, elle en informe son mari: »Il était sûr que je plaisantais! ». Face à la détermination de son épouse, il lui assure de son soutien. « Mes enfants aussi étaient derrière moi, ils ont été mes partenaires dans toute la démarche ». Ses parents sont inquiets, son père en particulier mais Tehila le rassure, en lui affirmant que si cette opération constituait le moindre risque pour elle, aucun médecin ne la pratiquerait.
En effet, pour donner un organe de son vivant, le processus à suivre est long, complexe et éprouvant. »J’ai été assez surprise », nous avoue Tehila, »Je pensais que cela serait rapide. Mais tout est vérifié avec minutie ». D’abord, pour donner un rein, il faut être en parfaite santé physique. Les examens médicaux à subir sont nombreux: prises de sang, échographies. Elle a même été hospitalisée à l’hôpital Beilinson pendant plusieurs jours pour subir toute une batterie de tests.
Comment avez-vous vécu tous ces examens médicaux? »Le plus difficile était l’attente des résultats. Cela prend beaucoup de temps et en réalité, ce délai est volontairement allongé. Quand j’appelais, on ne me répondait pas. On m’a laissée un long moment sans nouvelles ». L’idée est de donner au donneur potentiel, le temps de réfléchir encore, c’est aussi une façon de tester sa motivation.
Puis arrivent les tests psychologiques. Tout est mis en œuvre pour vérifier la stabilité mentale du candidat et ses motivations réelles. « L’épreuve la plus grande pour moi a été la commission nationale devant laquelle il faut passer. Nous sommes interrogés par une délégation du ministère de la santé, des médecins, des psychologues. Beaucoup de personnes voient le processus s’arrêter à ce stade. Pour ma part, ce qui risquait de me faire refuser, c’est le fait que j’avais un bébé d’un an et demi à la maison ».
Pendant tout ce temps, vous n’hésitez jamais? Après tout, les risques existent et vous êtes une mère de famille? « Bien sûr, j’ai eu des moments d’interrogation. A chaque étape du processus, les professionnels qui m’accompagnaient, soulignaient tous les risques que comporte cette démarche. J’en étais consciente. Parfois, je me demandais pourquoi, alors que j’étais heureuse et en bonne santé, je m’imposais une telle chose. Dans ces moments, c’est Ilan, mon mari, qui me soutenait. Il m’a toujours dit: »si ce que tu veux faire est bon pour toi, pour nous, pour le peuple d’Israël, alors D’ieu te permettra d’aller au bout. Si la démarche coince à un stade ou un autre, cela voudra dire que ce n’était pas pour toi ».
Tehila gravit toutes les étapes qui la déclarent officiellement apte à donner un rein.
Recevez-vous pendant toutes ces démarches et pour le don du rein en soi, un salaire ou une compensation financière? « Le don d’organe est très réglementé parce que les autorités craignent la marchandisation des organes. En 2008, une loi a été promulguée qui confère certaines compensations aux donneurs, mais pas un salaire. Etant donné que les démarches et l’opération nécessitent de prendre des jours de congés, le Bitouah Leumi accorde 40 jours supplémentaires de congés payés. Par ailleurs, les trajets vers l’hôpital pour tous les examens sont pris en charge. L’assurance santé est remboursée pendant les trois années qui suivent l’opération. Enfin, un »cadeau » est fait sous forme d’un petit séjour de vacances offert dans la limite d’une certaine somme ». Rien que de très normal et on ne peut pas dire que les avantages soient tels qu’ils suscitent des vocations malsaines.
Tehila lé David
La réglementation autour du don de rein ne permet pas au donneur de rencontrer celui ou celle qui recevra son rein. « Ils ne veulent pas créer une situation où le donneur se sentirait sous pression, où la démarche deviendrait affective », explique Tehila.
Pourtant, dans son cas, elle va connaitre, par hasard, la personne qui recevra son rein. »A mi-parcours, environ, je reçois un appel du centre médical pour me demander si j’accepterais de donner à un homme. Un père de famille de 54 ans avec trois enfants, qui vit l’enfer de la dialyse depuis des années. Et pour compléter l’histoire tragique, sa femme, qui était compatible, lui a donné un rein, mais au cours de l’opération de transplantation, une erreur l’a rendu inutilisable… ». Tehila accepte, sans hésiter.
Puis un jour où elle se trouve à l’hôpital pour des examens, elle entame la conversation avec un monsieur qui était aussi dans la salle d’attente. »Je lui demande si, lui aussi, vient pour donner un rein. Il me répond qu’il doit en recevoir un et que l’on vient de lui annoncer que l’on avait trouvé un donneur compatible. Je l’interroge sur l’identité du donneur. Et là, il me dit: »je sais juste qu’elle s’appelle Tehila ». Nous avons vécu un grand moment d’émotion avec mon mari à cet instant ».
Ce malade, David, leur raconte son quotidien et Tehila prend profondément conscience de la souffrance de cet homme et du sens que revêtait l’acte qu’elle s’apprêtait à faire. « La maladie l’affaiblissait considérablement, sa femme et ses enfants en subissaient, bien sûr, les conséquences. C’est tout un monde qui changerait lorsqu’il serait transplanté ».
Un Yom Kippour individuel
Tehila arrive à l’opération sans crainte. »Je savais que je faisais ce que je devais. Je me sentais comme Yom Kippour, ou avant le mariage, lorsque l’on sait que l’on s’apprête à s’engager dans une autre vie, meilleure ». Entourée de sa famille la plus proche, elle prie avant d’entrer en salle d’opération mais elle a confiance, pour elle le but de cette intervention dépasse de loin les risques qu’elle comporte.

Le réveil est supportable, elle ne ressent pas de tout de suite l’ampleur des douleurs. Puis, celles-ci se manifestent, les premiers jours sont difficiles. Finalement, après 4 jours d’hospitalisation, elle peut rentrer chez elle. « J’était un peu faible, mais je me sentais bien. Au bout de 2 semaines, je nettoyais déjà la maison! Et après 3 semaines, je suis retournée au travail ». Toute sa maisonnée s’est mobilisée pendant sa convalescence et les voisines se relayaient pour lui apporter les repas pour toute sa famille, un élan incroyable.
A l’oulpena, ses collègues et amies l’ont reçue avec une petite fête organisée en son honneur: »J’ai tenu à remercier Hachem de m’avoir donné ce mérite et d’être en bonne santé ».
Le jour d’après
Avez-vous une vie tout à fait normale depuis l’opération? « A tous les points de vue, oui. Je vis comme avant, je fais du sport. La première année, j’avais une dispense pour les jeûnes, mais c’est tout ». Et se dire que vous avez un rein en moins, qu’est-ce que cela vous fait? « Le seul moment où j’y pense, c’est quand je me demande comment je pourrais faire du bien autour de moi. Là je me dis, ah mais oui, c’est vrai que j’ai donné un rein! Mon rein est toujours là, c’est juste qu’il est dans un autre corps ».

Et cet autre corps, celui de David, va bien aujourd’hui. Il a pu reprendre, lui aussi, une vie normale. Pendant la première année, Tehila prenait régulièrement de ses nouvelles. »David et sa femme sont partis en vacances récemment, la première fois depuis des années. Ils m’ont envoyé un message très touchant ». Tehila les a invités à la bat-mitsva de sa fille, ils ont plaisir à se voir, mais ne sont pas en contact permanent.
Et si votre rein restant s’arrêtait de fonctionner, à D’ieu ne plaise? « Les donneurs sont les premiers sur la liste d’attente pour les transplantations ainsi que les membres de leur famille. Mais à vrai dire, les études montrent que ceux qui ont donné un rein, vivent plus longtemps en moyenne… ».
Un exemple à suivre?
A cette date, Matnat Haïm a réussi à mobiliser 630 donateurs, en Israël mais aussi aux Etats-Unis. Les progrès médicaux permettent une réussite presque systématique de ce genre d’intervention. Des pères et des mères de famille, mais aussi des enfants ont pu être sauvés grâce à cette générosité, ce don de soi au sens propre.
Tehila ne cache pas son envie de voir plus de gens se porter volontaires ces dons. Les donateurs ne sont pas si nombreux. Mais elle ajoute tout de suite: »L’essentiel est de trouver une façon de faire du bien autour de soi. C’est une décision très personnelle et chacun la prend en fonction de ses forces et de ses capacités. Personnellement, je suis heureuse de me dire que j’ai sauvé une vie. Mais je comprends que ce ne soit pas évident pour tout le monde. Et il est important de se souvenir que nos Sages nous enseignent qu’entre donner la tsedaka tous les jours ou donner une fois une grande somme, il est préférable de la donner quotidiennement. Donc même si donner un rein est un acte grand et important, les petits actes du quotidien n’en sont pas moins essentiels », conclut-elle avec modestie.
Pour aller plus loin:www.kilya.org.il
Guitel Ben-Ishay