Depuis quelques semaines, Yoni Chetboun siège au conseil municipal de Netanya. Après une campagne réussie, il a modifié la carte politique de la ville côtière, qui repose depuis plus de 20 ans sur la même maire. Parallèlement, à ses activités politiques, il est consultant pour des questions sécuritaires auprès de différents organismes.
Sa popularité, il la tire de la passion qui l’anime dans les missions qu’il se fixe. Haut-gradé de réserve à l’armée, il fait partie des meilleurs éléments de Tsahal et s’y investit de toutes ses forces. Depuis qu’il a intégré le monde politique, il n’a pas renoncé à ses convictions et place en tête de ses préoccupations, l’Etat d’Israël, ses citoyens et en particulier les olim de France. Etant lui-même, fils d’olim de France, il leur accorde une importance particulière.
En cette période de changement à la tête de l’Etat-major israélien, il nous livre son analyse.
Le P’tit Hebdo: Tout d’abord, comment se passent ces premières semaines à la mairie de Netanya?
Yoni Chetboun: J’ai toujours vu comme un mérite cette mission de servir le public. Les dernières élections ont été très encourageantes, nous avons obtenu un beau résultat. Tous les espoirs sont permis pour le prochain rendez-vous dans cinq ans. Je considère avec gravité la tâche qui m’occupe et notamment l’intégration des olim de France et les questions sécuritaires, sujets auxquels je consacre beaucoup de mon temps.
Lph: Vous qui connaissez l’armée de l’intérieur, quel bilan tirez-vous de l’action de Gadi Eizenkot?
Y.C.: Avant tout, il ne faut pas perdre de vue que lorsque l’on parle de Chef d’Etat-major, quel qu’il soit, on parle de gens qui ont décidé de sacrifier leur vie familiale, personnelle depuis l’âge de 18 ans, pour se mettre au service de leur pays. Cela mérite notre admiration.
Gadi Einzenkot, avant d’être Chef
d’Etat-major, était mon commandant au sein de l’unité Golani. Il est un homme
très droit. Il est difficile de dire si son mandat a été une réussite ou pas.
En réalité, plusieurs points sont à relever qui laissent des questions en
suspens.
A son actif, il convient de relever un acquis fondamental. Il a très bien
préparé l’armée à une guerre dans le nord. Je suis, moi-même, en service dans
le nord et je peux affirmer que nous sommes prêts, que ce soit l’armée de terre
ou l’armée de l’air. La majorité des
ressources militaires a été mobilisée pour ce qui représente aujourd’hui la
principale menace à laquelle nous devons faire face: le Hezbollah et l’Iran. De
ce point de vue, Eizenkot a effectué un travail remarquable.
Lph: Quelles sont les questions qu’il laisse en suspens?
Y.C.: Elles sont liées à deux éléments qui sont, selon moi, des zones d’ombre du mandat du Chef d’Etat-major sortant.
Le premier est ce que l’on a appelé, l’Affaire Azaria. Cet épisode n’aurait jamais dû devenir une ”affaire”. Le jugement d’Elor Azaria n’était pas censé sortir du strict cadre de l’armée. Or Eizenkot a été poussé à sortir ce cas au grand public. Pendant deux ans, tout le pays s’est mêlé d’une affaire militaire. Cette publicité a fait du mal à l’armée et à la dissuasion que représente nos soldats. Aujourd’hui, beaucoup d’entre eux n’écoutent pas leur instinct, celui qui leur dicte de tirer sur un terroriste. Très récemment, on a encore pu le constater, lorsqu’un terroriste armé s’est introduit à Kiryat Arba et que les soldats n’ont pas fait feu. C’est un citoyen qui a permis d’empêcher qu’un drame ne se produise.
Si Eizenkot a bien préparé notre armée au défi sécuritaire à l’échelle macro, on ne peut pas en dire autant sur les missions de sécurité quotidienne, en Judée-Samarie, notamment.
Lph: On se souvient de son discours sur ”une jeune fille armée de ciseaux” où il demandait une réponse plus ”proportionnée”. Serait-ce simplement une vision du combat militaire, qui pèse davantage l’usage de la force?
Y.C.: En effet, c’est sa vision. Personnellement, en tant que père et que combattant, je ne la partage pas. Pour moi, c’est un mauvais état d’esprit qui a été introduit.
Lph: Quel est le deuxième élément négatif que vous évoquiez sur le mandant d’Eizenkot?
Y.C.: La deuxième grave erreur qu’il a commise a été de créer une scission entre le sionisme religieux et l’armée. Il n’a pas compris à quel point cette population était une composante primordiale de Tsahal. Par une série de décisions qui remettait en cause le statu quo religieux à l’armée, il a construit un climat de défiance chez des gens, parmi les plus motivés pour défendre leur pays.
Nous devons maintenir une armée avec une base religieuse, parce que c’est notre héritage et que c’est ce qui nous donne la motivation nous nous battre.
Lph: Les conséquences de ces erreurs que vous pointez pourraient-elles être graves pour notre armée?
Y.C.: Je suis très optimiste pour une raison simple: notre armée est l’armée du peuple. Contrairement à ce qui se fait aux Etats-Unis ou en France, par exemple, nous n’avons pas des soldats professionnels, mais ce sont des gens du peuple. C’est ce qui fait notre force. Lorsque nous traversons des moments difficiles, tout le monde se rassemble autour de Tsahal, parce qu’elle appartient à tous. Un fils, un père, un mari, tout le monde y est rattaché. Alors même si l’Etat-major peut s’égarer, finalement, c’est sur le terrain que l’on gagne les guerres. On a pu le constater lors de la deuxième guerre du Liban. L’échelon décisionnaire n’a pas été à la hauteur mais sur le front, les soldats ont gagné les combats. L’Etat d’Israël est entouré d’ennemis et le fait que nous ayons une armée du peuple est notre force. Un des défis d’Aviv Kohavi sera de préserver cette caractéristique.
Lph: Quel est le principal atout du nouveau Chef d’Etat-major, Aviv Kohavi?
Y.C.: J’ai connu Aviv Kohavi pendant la deuxième Intifada, dans les années 2000. Il a fait partie, à cette période, des gradés qui ont inventé une nouvelle méthode de combat: entrer dans les villages palestiniens et pénétrer dans les maisons pour y trouver des armes, des terroristes. Ce qui fait la force du nouveau Chef d’Etat-major, c’est sa créativité. Il pense vite et amène de nouvelles idées. C’est une caractéristique très importante à notre époque.
Lph: Quels seront les grands défis d’Aviv Kohavi?
Y.C.: Il devra apporter de la fraîcheur, de la nouveauté et restaurer la confiance des soldats dans leur armée. L’Etat-major apporte au gouvernement des décisions stratégiques, tactiques. Celles-ci se reposent sur les mêmes piliers depuis David Ben Gourion: la dissuasion et la prévention. Ces notions méritent d’être dépoussiérées.
Le niveau militaire doit reconquérir son autorité, ces dernières années, il a trop hésité à donner son avis, de peur d’être tenu comme seul responsable des événements. C’est ainsi, que Benny Gantz, ancien Chef d’Etat-major, a reconnu avoir mis en danger des soldats de Golani, pour préserver des vies ennemies. Cette crainte d’avancer doit disparaitre. A mon grand regret, le commandement de Tsahal n’est pas assez force de proposition aujourd’hui. Je pense qu’Aviv Kohavi osera davantage aller de l’avant et sera vraiment force de proposition. C’est en tout cas, l’une des qualités qu’il devra prouver.
Propos recueillis par Guitel Ben-Ishay
Vos articles m’intéressent beaucoup car ici, à Bruxelles, nous ne sommes certes pas au
courant de tout (même si je suis à l’écoute tous les matins de “Radio Judaïca” mais je n’ai
pas fait d’études de sciences politiques et donc je vous lis tous les jours et vous remercie de
me les communiquer.
Lucie Malichmann