À propos du dernier livre du Rav Mordékhaï Chriqui « Tikoun Olam, la réparation du monde » aux éditions Auteurs du monde 2016.
Toute personne qui s’intéresse à la kabbale en général et au Ramhal en particulier connaît le Rav Chriqui. Il a publié près de 30 livres en hébreu et en français sur tous les sujets inhérents à la sagesse juive, en les éclairant à travers le prisme de la tradition métaphysique d’Israël, la kabbale. Il s’est focalisé sur le Rav Moshé Hayim Luzzatto, le Ramhal, car celui-ci est un des rares kabbalistes à dégager les implications philosophiques, historiosophiques et morales de la science kabbalistique. Oui, la science de la kabbale. De par son approche logique et systémique de la kabbale, il a fait de ce qui semblait de prime abord une mystique réservée à quelques ésotéristes illuminés une science absolue, avec ses axiomes, ses théorèmes, ses définitions et ses extrapolations, comme n’importe quelle autre science. Dans sa dernière facture, le Rav Chriqui va encore plus loin: il nous démontre que cette science est la tradition métaphysique qui contient toutes les autres métaphysiques, et qu’à ce titre elle peut prétendre au tikoun olam, à la réparation universelle du monde.
Il ne s’agit pas ici de tomber dans un langage hyperbolique où l’on enchaînerait les superlatifs pour mieux mettre en exergue une tradition à laquelle nous appartenons et à laquelle nous adhérons. Non, ce dont il s’agit, c’est de livrer le résultat d’études approfondies concernant les différentes spiritualités des mondes occidental et oriental et d’en tirer les conclusions opératives pour les gouvernances en place. Vaste projet, mais qui est d’une urgente nécessité quand on observe le degré de violence qui existe aujourd’hui aux quatre coins de la planète. Il est d’une absolue nécessité que se fasse entendre une voix qui puisse être comprise et écoutée par tous. Or quelle est la voix qui s’enracine dans une très longue tradition et qui sache allier le ciel et la terre pour mettre en avant des principes moraux universels? Le judaïsme biblique a déjà réussi ce tour de force, en faisant admettre à tous les peuples d’Europe les principes moraux de la Bible. Après 2000 ans, ce livre a malheureusement été trop mal interprété par les églises pour qu’il soit considéré par les Occidentaux comme encore pertinent. Nous proposons une réinterprétation du Livre des livres par le biais de la kabbale. Le Zohar, pour ne citer que lui, se présente comme une herméneutique du Pentateuque (et de quelques autres livres de la Bible) et permet de poser une méta-éthique valable pour toute l’humanité. Il n’y a qu’à lire par exemple les commentaires du Zohar sur le Décalogue pour se persuader de la valeur éthique et universelle de cette spiritualité.
Nous ne venons pas diminuer la valeur des autres traditions métaphysiques. Bien au contraire: chacune représente le génie propre d’une culture et à ce titre mérite toute notre attention et notre respect. Ainsi, nous avons trouvé aussi bien dans le soufisme que dans le bouddhisme ou l’hindouisme, mais également parmi les mystiques chrétiens, de grands textes qui ont traversé toutes les générations pour nous délivrer leur message trans-historique. Il est certain que nous devons apprendre de ces spiritualités pour ce qu’elles ont de moderne et de pertinent pour notre génération. Ainsi, le Rav Chriqui a égrené tout au long de son livre des enseignements venus de grands soufis, mais aussi de philosophes et scientifiques occidentaux. En particulier il faut noter l’intuition qu’eut le psychanalyste Carl Jung quant à l’universalité de la kabbale. Le 17 Février 1954, Jung écrit au Révérend Evans qu’il vient de découvrir de grandes idées dans la kabbale lourianique: « Dans un livre du Rabbin Louria, il y a l’idée remarquable que l’homme est destiné à devenir l’aide de Dieu pour essayer de réparer les vases qui se sont brisé lorsque Dieu a pensé créer le monde. Il n’y a que quelque semaines que j’ai eu connaissance de cette doctrine impressionnante qui donne un sens au statut de l’homme exalté par l’incarnation. » (in Stanford Drob Journal of jungian theory and practice, vol 7, New York 2005). René Guénon, abondamment cité par le Rav Chriqui, était aussi à la recherche de la métaphysique première.
Mais nous ne pensons pas que la solution soit dans le syncrétisme. Associer de façon artificielle des métaphysiques fondées chacune sur un arrière-plan bien particulier ne nous semble pas adéquat pour approcher la vérité. Il faut plutôt creuser vers ce qui a pu être une plateforme commune pour l’ériger en principes universels, auxquels tous les hommes peuvent se rallier. Et au-dessus de cette plateforme commune, chaque culture érigera son credo qui lui est propre. Ne revient-il pas à nous, peuple qui a donné la morale à l’humanité, de commencer ce travail de construction d’une nouvelle éthique universelle, à un temps où tout le monde semble dérouté et impuissant face à la montée de tous les extrémismes?
Dr Gilles Avraham Morali