Les chiffres du ministère de l’Alya et de l’intégration sont formels : en 2014 et 2015, Tel-Aviv arrive en deuxième position dans le choix des olim de France pour y établir leur résidence. À eux s’ajoutent les Francophones qui y vivent depuis plusieurs années et ceux qui ont fait leur alya depuis quelques temps, et qui décident d’emménager dans la « ville qui ne dort jamais ». LPH a enquêté sur les francophones installés à Tel-Aviv. Qui sont-ils ? Quels sont les endroits francophones de la ville ? Quelles sont les habitudes de ces Français ? Qu’ont-ils apporté à l’atmosphère de la ville ? Très rapidement nous nous sommes aperçus, comme nous nous en doutions, qu’il allait être impossible de parler de tout et de tout le monde… Voici donc un échantillon, quelques témoignages qui permettent de se rendre compte de l’effervescence francophone à Tel-Aviv !
J’ai choisi de vivre à Tel-Aviv parce que…
Fondatrice de la boutique en ligne www.conceptstore.com
Tel-Aviv ne laisse pas indifférent… Parce que même si on lui trouve tous les maux de la terre : vieille, moche, puante, sale, bruyante et fatigante, elle a le talent d’avoir des énergies que chacun peut sentir et s’approprier. On a posé nos valises à Tel-Aviv parce que c’est une grande ville de taille humaine, séduisante pour sa qualité de vie. En bord de mer, avec un parc qui borde la ville sur plusieurs kilomètres, elle offre la possibilité de tout faire à vélo, et d’éduquer ses enfants en leur offrant un choix d’activités et d’écoles. La ville nous fait vibrer au quotidien et on ne s’en lasse pas. Ce que je préfère à Tel-Aviv : il y a toujours quelque chose à découvrir, un coin, un café, une galerie…
(Photo: Marc Israel Sellem)
Membre du comité organisateur du Shabbos Project
Parce que c’est un lieu qui permet d’allier vie religieuse et vie professionnelle. J’ai décidé de m’installer à Tel-Aviv après avoir vécu à Jérusalem puis à Ramat Gan. À la sortie d’un shabbat passé là-bas, j’ai pris ma décision. C’est une ville différente. On y voit ce que l’on veut bien y voir. Personnellement, même si cela peut paraître étonnant, je me suis renforcée dans la religion depuis que je vis à Tel-Aviv. Quand on est jeune et célibataire, c’est un endroit fantastique : il y a énormément d’activités dont des shabbat organisés. Parallèlement, sur le plan professionnel, on sent que l’on est dans le cœur économique. On est branché sur ce qui se passe dans le monde des start-up, on vit tous les jours des nouveautés. Le niveau culturel aussi est agréable. Je ne sais pas si je vivrai toujours à Tel-Aviv une fois mariée, mais pour l’instant, c’est ce qui me convient le mieux.
Bernard Kalfon
Venant de Paris, Tel-Aviv est une bonne transition sur les plans économique et social. Cela fait quatre mois que nous avons fait notre alya et nous avons mûrement réfléchi le choix de Tel-Aviv comme lieu d’habitation. Tel-Aviv est dynamique, il y a beaucoup d’endroits pour sortir. De plus nous y avons trouvé les écoles pour nos enfants qui correspondaient à ce que l’on cherchait. L’autre aspect qui nous a fait pencher pour Tel-Aviv est religieux : nous avons trouvé une communauté francophone qui nous permet de retrouver le mode de fonctionnement auquel nous étions habitués à Paris, c’était important pour nous. Nous sommes très satisfaits de notre choix !
Des quartiers francophones à Tel-Aviv ?
Les Français ne viennent pas de débarquer à Tel-Aviv. Ils y sont de plus en plus nombreux, mais il y a toujours eu des Francophones. Ces derniers étaient plus ou moins regroupés dans les mêmes quartiers, surtout le centre (Ben Yehouda, Dizengoff). Aujourd’hui, aux dires des personnes avec lesquelles nous nous sommes entretenus, il est clair que le nouveau quartier en vogue chez les Francophones est celui de Neve Tsedek. Quartier historique puisqu’il s’agit du premier quartier juif en dehors de murailles de Jaffa, fondé en 1887.
Mais cela ne s’arrête pas là ! Les Tel-Avivim vous le diront : aujourd’hui les endroits francophones sont de plus en plus répandus à travers la ville. Ainsi le fameux quartier de la « Gordon Beach » est aussi prisé, mais pas uniquement. Le nord de Tel-Aviv voit aussi de plus en plus de Francophones s’y installer. Ils ont leurs coiffeurs, leurs bonnes adresses pour la manucure ou encore un choix de pâtisseries de plus en plus large. Bref, on entend bien parler français dans toute la ville, cela devient une réalité.
Un bouillonnement médiatique
Les medias francophones connaissent leur heure de gloire : des magazines papier ou en ligne voient le jour. Beaucoup sont l’œuvre de Francophones qui veulent apporter une fraîcheur dans le paysage médiatique de la communauté. Ainsi, Hervé Benhamou a créé, il y a trois ans, « tel-avivre.com ».
Son but était de donner des informations nationales avec une touche régionale : « Nous traitons l’essentiel de l’actualité en mettant l’accent sur tout ce qui bouge à Tel-Aviv et dans la région », explique Hervé. « Nous souhaitons ainsi aider les Francophones, de plus en plus nombreux ici, à vivre dans la ville et dans la région ». Parce qu’il ne faut pas s’y tromper, Tel-Aviv n’est pas qu’une ville de vacances, malgré son soleil, ses plages et son ambiance de détente : « C’est un peu comme le Canada Dry », plaisante Hervé, avant de reprendre plus sérieusement, « Tel-Aviv ressemble à une ville de vacances, mais c’est la capitale économique et culturelle du pays. Beaucoup de choses s’y passent, c’est un peu Cannes avec la vie parisienne ».
Dans la longue liste de medias que l’on trouve à Tel-Aviv, il y a l’incontournable chaîne de télévision i24news. L’une de ses journalistes phares Valérie Perez a, elle, quitté Jérusalem pour se rapprocher de son lieu de travail.
« Je n’avais aucune intention de quitter Jérusalem », confie-t-elle, « pendant six mois je faisais les allers-retours tous les jours. Mais ce n’était plus possible, je ne voyais plus mes enfants ». Valérie et son mari hésitent avant de déménager : « On appréhendait, on ne voulait pas retrouver « Paris ». Et contre toute attente, nous nous y sommes vite faits. Finalement notre vie n’a pas changé. On pensait qu’on risquait de s’éloigner de notre judaïsme, eh bien pas du tout ! On sent l’ambiance de shabbat, nos enfants vont dans des écoles qui nous correspondent. Tel-Aviv a une énergie extraordinaire, je comprends que de plus en plus de Français s’y installent. Le seul bémol est le coût de la vie, il faut vraiment avoir conscience de cela ». Le fait de travailler dans un media localisé à Tel-Aviv influence-t-il sa façon de travailler ? « Ce qui influence ma façon de travailler, c’est le fait d’exercer maintenant mon métier en Israël ! Le choix d’i24 d’être à Tel-Aviv est dicté par des considérations stratégiques qui se veulent le reflet de ce que représente la chaîne : un mélange de nationalités, de religions. Ceci dit, un projet d’ouverture d’une antenne à Jérusalem est dans les tuyaux ».
Des idées, des projets : le monde francophone qui ne dort jamais
Les Français de Tel-Aviv sont à l’image de leur ville : dynamique, toujours dans l’action. Ainsi on y trouve des jeunes entrepreneurs qui osent mettre en œuvre des idées parfois classiques, parfois originales, mais toujours avec beaucoup d’entrain et un avenir prometteur. Évidemment, les Francophones de Tel-Aviv s’illustrent dans le monde de la gastronomie. Demandez aux Français sur place s’ils connaissent « Gourmet Shop » sur Ibn-Gvirol. Ils vous répondront tous oui, soit parce qu’ils en sont clients, soit parce qu’il est impossible, tout simplement, de ne pas en avoir entendu parler dans le microcosme francophone de Tel-Aviv.
Créé par Michael Raphael en 2003, on peut s’y fournir en vins et en fromages, les emblèmes de la France à l’étranger ! Michael y vend aussi des saucisses, du saumon fumé, le tout strictement cacher. « J’habite à Tel-Aviv depuis l’âge de 18 ans. Après l’armée j’ai décidé d’ouvrir ce type de commerce parce qu’à l’époque il n’y avait pas d’offre dans le domaine. Personnellement cela me manquait, alors j’ai pris les choses en main ! Et apparemment, il n’y a pas qu’à moi que cela manquait. La clientèle française est importante, mais on a aussi su attirer des Israéliens à la recherche de produits de qualité ».
Dans un autre registre, nous avons rencontré Alexandre, à l’initiative d’un projet original. Son entreprise baptisée Urban Place existe depuis quelques mois et rencontre un succès fulgurant. Le principe ? « Nous nous sommes appuyés sur la mode actuelle du co-working. Nous louons des bureaux en open space avec des parties communes (salles de réunion, lounge) ». Mais ce n’est pas tout : Urban Place propose aussi des bureaux « première classe » et un espace de rapprochement professionnel. En effet, le fait de côtoyer d’autres personnes qui évoluent dans des corps de métier différents permet de nouer des contacts, de se faire un réseau.
Il s’agit d’une aide à l’intégration accélérée en quelque sorte puisque les clients d’Urban Place sont aussi bien franco-israéliens que non francophones. Et il y a plus, Alexandre nous l’explique : « Nous nous rapprochons de la Chambre de commerce, nous proposons aussi à nos clients des contacts avec les start-up en vogue, nous leur organisons des évènements, des rencontres pour leur faire connaître des technologies et pour favoriser la constitution d’un cercle professionnel ». Urban Place ne se veut pas qu’un loueur, il veut aussi jouer le rôle de mentor de ces entrepreneurs.
Tel-Aviv la juive
Tel-Aviv la laïque : c’est ce que l’on a l’habitude d’entendre. Quand on y regarde de plus près, on s’aperçoit que cela s’apparente plus à une idée reçue qu’à une réalité absolue. En effet, les Francophones avec lesquels nous nous sommes entretenus nous ont tous confirmé qu’ils n’avaient pas perdu un gramme de leur pratique religieuse en s’installant à Tel-Aviv, au contraire. C’est d’ailleurs l’un des apports aussi de cette population à la ville : depuis que les Français choisissent Tel-Aviv, la ville est devenue plus « traditionnaliste ». Ils apportent dans leurs bagages une approche au judaïsme étrangère aux Israéliens. Pour beaucoup d’entre eux, le vendredi soir n’est pas pensable sans kiddouch et sans… télévision, ou le shabbat midi sans dafina et sans… une baignade à la mer. Cet attachement aux traditions, à une certaine pratique, a laissé des traces sur la ville. Ainsi, on voit fleurir les teoudot cacherout dans des endroits où aucun restaurant n’était cacher il y a encore quelques années, afin d’attirer une clientèle francophone qui ne transige pas sur la cacherout.
Rivka Hecht, la fille du Rav Matusof de Toulouse est, avec son mari, responsable d’un Beth Habad au nord de Tel-Aviv. Pour elle, « bien entendu, l’ambiance est moins religieuse à Tel-Aviv qu’à Jérusalem mais la ville est devenue beaucoup plus ouverte à la religion ». Au sein du Beth Habad, la famille Hecht reçoit des Francophones mais pas uniquement : des cours, des shabbat, les tfilot mais aussi des conseils, des orientations pour s’intégrer et trouver du travail, voici autant de missions que se donne le Beth Habad. Les loubavitch sont bien entendu présents dans beaucoup d’autres endroits de Tel-Aviv, et notamment on relèvera la présence d’un Beth Habad francophone rue Trumpeldor (près d’Allenby et de Ben Yehouda). Tenu par le Rav Mendy Attal, il rapproche depuis neuf ans maintenant tous les Francophones à la recherche d’une communauté. « J’insiste toujours sur le fait que pour réussir son alya, il faut trouver une communauté dans laquelle on se sent bien », martèle le Rav Attal, « c’est ce que nous proposons avec des offices, des cours, des conférences, un kollel mais aussi des shabbat organisés et des repas tous les vendredis soirs pour ceux qui n’ont pas où aller ».
Au début le Beth Habad accueillait beaucoup de jeunes de passage. « Aujourd’hui nous ressentons le changement apporté par une alya française de plus en plus importante : le Beth Habad est davantage fréquenté par des familles installées ». Pour le Rav Attal « on a encore plus de liens avec la Torah à Tel-Aviv, parce qu’on est à sa recherche, on s’y attache d’autant plus fort ».
Et si l’on parle de vie juive francophone à Jérusalem, il faut absolument évoquer l’action des centres LEV, sous l’égide du Rav Elie Lemmel et de son association LEV. Joy, l’une des responsables nous décrit l’historique de ces centres devenus célèbres en très peu de temps : « fin 2013, le premier centre LEV a ouvert près du Kikar Rabin, partant du constat qu’il manquait des structures pour la communauté francophone à Tel-Aviv. LEV a une vocation spirituelle mais aussi sociale, c’est-à-dire que nous espérons que par notre biais les gens se rencontrent et créent des liens. Très rapidement les cours organisés le soir étaient pleins ; la journée les gens venaient étudier et les repas de shabbat étaient plébiscités. Nous avons alors ouvert un deuxième centre afin d’être présents dans différents quartiers de Tel-Aviv. Ce centre se situe rue Karlicher et a ouvert il y a six mois. Pendant toute la journée on peut venir y étudier, les offices sont organisés, un kollel composé d’étudiants franco-israéliens y a été établi et des shabbat pleins sont organisés. Le centre attire tous les publics.
Puis nous avons ouvert un centre sur Yona Hanavi qui, lui, n’a pas de vocation religieuse. C’est davantage un centre communautaire, nous y avons ouvert un gan (en hébreu), une école des parents avec des pédopsychiatres. Des matinales pour femmes sont organisées avec cours et sport combinés. Nous avons aussi mis en place les « jeudis de LEV » : un cours est proposé aux jeunes avant leurs soirées. Nous avons même des participants qui viennent d’autres villes pour des évènements et qui prévoient d’arriver avant pour assister au cours » ! Aujourd’hui le centre du Kikar Rabin a fait peau neuve, il a été déplacé quelques mètres plus loin sur Modigliani « pour faire comme à Karlicher, et nous disposons maintenant d’un espace de 300 mètres carré ». Afin de répondre à leurs objectifs, les centres LEV choisissent minutieusement leurs intervenants. « Ils doivent être suffisamment ouverts d’esprits », précise Joy, « notre but n’est pas d’aller contre le mode de vie des personnes qui vivent à Tel-Aviv. C’est d’abord de leur expliquer pourquoi ils suivent les traditions auxquelles ils sont attachés ».
Guitel Ben-Ishay