Steve Maman est un homme d’affaires canadien, qui a fait de sa passion pour l’automobile son métier. Pourtant depuis presque une année, c’est une toute autre occupation qui remplit ses journées : il se démène pour délivrer des femmes et des enfants yezidis et chrétiens, prisonniers et esclaves sexuelles de Daech. Tout est organisé et financé par la fondation que Steve Maman a créée : Liberation of Christian and Yazidi Children of Iraq, CYCI. Les yezidis kurdophones sont l’une des principales cibles de l’État Islamique. Un rapport de l’ONU, publié en août, fait état de plus d’une centaine de femmes et jeunes filles yezidis qui auraient été transférées en Syrie « pour en faire des récompenses destinées aux combattants de l’État Islamique, soit pour être vendues comme esclaves sexuelles ». À Mossoul, un « marché aux femmes et jeunes filles » a même été créé, sur lequel les victimes sont exposées avec des étiquettes indiquant leur prix… Aucune n’est épargnée, même les fillettes de moins de douze ans subissent ce sort atroce. L’action de Steve Maman pour sauver ces esclaves sexuelles, saluée dans le monde entier, n’échappe pas pour autant à la critique et aux suspicions. Steve Maman nous a accordé un entretien : il nous explique son projet, sa réalisation et répond à ses détracteurs.
Le P’tit Hebdo : Votre générosité vous a poussé à aider des personnes dans la détresse la plus totale. Malheureusement, les malheurs sont nombreux sur la surface de la terre : pourquoi avoir décidé de porter secours aux yezidis ?
Steve Maman : J’ai été éduqué à être sensible à la détresse de mon prochain. En tant que Juif, nous ne pouvons pas demeurer indifférents lorsqu’un peuple est menacé dans son existence. Nous savons mieux que quiconque ce qu’est être persécuté. Ce que vivent les yezidis en Irak, avec l’État Islamique, me fait beaucoup penser à la Shoah : des femmes, des enfants torturés, brûlés, victimes des méthodes les plus inhumaines…
LPH : Comment parvenez-vous à sauver ces femmes et ces enfants ?
S.M. : Mon travail m’a permis de nouer des relations avec plusieurs personnes dans le monde, y compris en Irak. Parmi elles, le Révérend Canon Andrew White, grâce auquel j’ai pu me créer un réseau sur place. Avec son aide, j’ai pu monter une équipe, constituée d’experts en négociation, ex-employés de l’ambassade américaine, ex-employés du gouvernement irakien. Ils jouent le rôle de courtiers à l’intérieur du califat. Tout a commencé il y a 8 mois. Nous sommes parvenus à faire sortir trois familles chrétiennes et à les mettre à l’abri en Turquie. Au départ, je finançais tout moi-même, mais vu l’ampleur de l’action à mener, j’ai lancé un appel aux dons. C’est pour cette raison que j’ai rendu mon action publique. Cela nous a permis jusqu’à aujourd’hui de libérer près de 130 personnes. Certaines fois, nous parvenons à sauver des familles entières, d’autres que deux ou trois personnes à la fois. Mais nous tâchons toujours de regrouper les familles par la suite.
LPH : L’argent est le nerf de la guerre, c’est bien connu. D’aucuns vous accusent de financer le terrorisme et Daech par les sommes versées pour libérer les otages. Finalement, ne faites-vous pas le jeu des terroristes ?
S.M. : Absolument pas ! L’argent qui est nécessaire pour ces opérations de sauvetage n’est pas versé à Daech ! Nous n’avons aucun contact direct avec cette organisation terroriste. Les sommes récoltées servent à payer les besoins logistiques et de sécurité de notre équipe sur place. Il faut compter en 1500 et 2000 euros par prisonnier libéré.
LPH : L’autre critique qui vous est faite est carrément une remise en cause de vos accomplissements. Les chiffres que vous avancez sont contestés. Qu’avez-vous à répondre ?
S.M. : Malheureusement, même si notre projet est noble, il s’en trouve pour nous critiquer et chercher à mettre à mal notre volonté d’aider. Ce que je peux répondre c’est que les personnes à l’origine de ces doutes n’ont aucun contact en Irak et ne connaissent pas la réalité du terrain. Et puis à part critiquer, que font ces gens face à l’horreur dont sont victimes les Chrétiens et les Yezidis en Irak ? Moi, au moins, j’agis. S’il s’agissait de leurs filles qui étaient entre les mains de ces hommes barbares, violées plusieurs fois par jour, considérées comme des objets, ils ne se poseraient pas tant de questions. N’oublions pas ce que l’indifférence du monde a coûté au peuple juif : 6 millions de morts… N’attendons pas ! Plusieurs milliers de yezidis sont encore dans les griffes de l’État Islamique. Par ailleurs, nous avons constitué un véritable réservoir d’informations et de témoignages : chaque opération de sauvetage est filmée, les victimes sont invitées à raconter leur histoire. Plusieurs journalistes qui se sont rendus sur place ont confirmé tout ce que j’avance. Toutes les victimes sont enregistrées au sein du « bureau du génocide », un bureau situé dans le Kurdistan irakien, qui tente de recenser et d’identifier tous les otages yezidis de l’État Islamique.
LPH : Que deviennent les femmes et les enfants une fois libérés ?
S.M. : J’avais pensé faire venir au Canada les premières familles libérées. Mais cette opération s’avère couteuse et difficile à mettre en œuvre. Nous tachons donc de regrouper les familles et de les placer en sécurité. Nous nous renseignons sur chacun afin de lui permettre de retrouver ses proches.
LPH : Plusieurs milliers de femmes sont prisonnières de l’État Islamique. Avez-vous un objectif chiffré dans votre action ?
S.M. : Je pense souvent au chiffre 613, comme les 613 mitsvot. Cela me donne un objectif, un moteur. Mais honnêtement, je ne pense pas qu’il faille limiter notre action. CYCI va continuer son travail jusqu’au maximum de ses capacités, tant que nous aurons les moyens, les donations pour pouvoir agir.
LPH : Bénéficiez-vous du soutien du gouvernement canadien ?
S.M. : Ils apprécient mon action, j’ai rencontré le Premier ministre Stephen Harper. Mais je ne reçois aucune aide, de quelque nature, de la part du gouvernement canadien.
LPH : On vous a surnommé le « Schindler juif ». Est-ce ainsi que vous vous voyez ?
S.M. ! Il n’y a aucun rapport entre Steve Maman et Oskar Schindler ! Cette comparaison a été faite par un journaliste, au début de la médiatisation de notre projet, et depuis je m’évertue à la corriger… Oskar Schindler était sur le terrain, négociait directement avec les nazis, il a risqué sa vie ! Moi, je suis dans mon bureau climatisé, avec certes de bonnes intentions mais pas du tout le même courage. Ceux dont il faut saluer le courage, en revanche, ce sont les membres de mon équipe en Irak. Eux prennent des risques et réalisent à chaque sauvetage une mission de la plus haute importance. Cette mission, celle qui est mon moteur, s’inspire directement de la philosophie juive, cette phrase du Talmud qui dit que « qui sauve une vie, sauve un monde ».
Guitel Ben-Ishay